La Grande Bouffe


Un métrage, une image : Massacre à la tronçonneuse (1974) 


Le sieur Hooper nous invite à un festin nu en famille : au menu de sa très américaine satire de l’Amérique d’alors, un voyage au bout de l’enfer où l’on ne chassera guère le cerf, mais plutôt du gibier humain, quelques hippies en goguette, l’occasion faisant le larron, dans le jeu le plus dangereux, à l’ombre de la guerre du Vietnam et sous le soleil exactement, celui, écrasant, du Texas impitoyable, peint au vitriol, quelques années plutôt, par un certain Jim Thompson, cet autre, davantage cosmique et mythologique, sur lequel s’ouvre le film, dont les éruptions rendent fou des Terriens pas encore envahis par les Rouges (d’ici ou d’ailleurs) ; en toute logique météorologique et figurative, ce long voyage au bout de la nuit, ponctué par les cris inouïs d’une sirène récemment disparue (Marilyn Burns, passée « de l’autre côté », comme chantaient les Doors), s’achève à l’aube d’un nouveau jour aux allures crépusculaires – le géant anonyme, armé de son improbable outil sylvestre, boucher au chômage, autiste au dépit d’enfant – « Tout ce sang, Mère ! » s’écriait déjà le petit Norman Bates – se lance dans une danse macabre et solaire, tourne et tourne en astre du désastre, son visage recouvert d’un masque de cuir humain, sa tronçonneuse bien dressée, tendue vers le ciel vide de l’ère du soupçon tel un pénis absent, nanti d’une grâce vraiment folle, icône de beauté saugrenue, grotesque, dans un monde damné, dépossédé de son innocence (qui jamais n’exista, ainsi que le disait justement Bill Burroughs), sa fin advenue en présage des crises économiques et morales déclenchées par l’embrasement du choc pétrolier – le lecteur d’Artaud, habitué au petit théâtre drolatique et tragique de la cruauté (celle des Atrides avant les Texans) reconnaît la cérémonie chorégraphique à base de peyotl des Tarahumaras, dite du soleil noir ou Tutuguri, avec son « septième homme/qui est le soleil tout/cru/habillé de noir et de chair rouge ». Nerval le mélancolique pendu à son réverbère, qui jadis entendit « les soupirs de la sainte et les cris de la fée », rejoint donc les primitifs dans leur offrande animiste de la force de vie… Que pouvons-nous offrir aux massacreurs contemporains pour nous prémunir de leur absurde vindicte, sinon un peu de peau humaine reflétée au miroir des fantômes ? 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Les Compagnons de la nouba : Ma femme s’appelle Maurice

La Fille du Sud : Éclat(s) de Jacqueline Pagnol

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot : Le Trou noir