Ma vie avec Liberace : Le Pianiste


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Steven Soderbergh.


Pas de boogie-woogie avant de faire vos prières du soir

Eddy Mitchell

Ni Fassbinder, ni Friedkin, ni LaBruce, ni Molinaro, Soderbergh mit du temps à concrétiser son projet de biopic de dix années ramassées sur cent dix minutes, et Ma vie avec Liberace vient parfois longtemps après Le Droit du plus fort, Cruising, Gerontophilia, La Cage aux folles, deux opus importants, une jolie réussite itou sortie en 2013 + une comédie indubitablement dispensable. S’il s’autorise quelques afféteries arty au piano, en avion, durant un bad trip, l’ensemble fait profil bas et s’apparente davantage à du filmage qu’à un long métrage rempli d’audace(s). Que ce littéral téléfilm de luxe connut les honneurs d’une exposition cannoise, que son auteur stakhanoviste passe auprès de certains critiques pour un styliste, laisse songeur et renseigne autant sur les exigences de Monsieur Thierry Frémaux que sur la dévaluation du vocabulaire. Résumons : rien d’original ou de de renversant dans cette aimable histoire d’amour condamnée par les personnalités, par le SIDA, voilà, voilà. Soderbergh peut bien inclure une une sur le décès médiatisé de Rock Hudson, il ne possède pas une once du regard acerbe, lucide et bouleversant de Douglas Sirk. Débuté sur du Moroder pour Donna Summer, achevé par une quêté étoilée rendue célèbre en français par Brel, Liberace repose principalement sur le scénario au cordeau de Richard LaGravanese, qui sut semble-t-il transformer un roman tire-larmes en Sur la route de Madison, suprême et similaire « film d’amour » éphémère, impossible, accessoirement l’un des meilleurs Eastwood, qui contrairement à Dustin Hoffman sur Kramer contre Kramer ne gifla pas sa partenaire, souvenir de saison à l’heure du féminisme doloriste. Sans jamais égaler celles d’un Mankiewicz, les répliques ne manquent pas d’esprit et les situations d’émotions.


Dans la bouche et le corps de Matt Damon & Michael Douglas, professionnels, irréprochables, oscarisables au carré, car l’Académie anecdotique raffole de ce genre de performances avec postiches, transformisme et maladie, amen, tout ceci passe très bien, n’ennuie à aucun moment, merci,  amuse souvent. Bien sûr, les adeptes du communautarisme sexué pourront s’émouvoir de voir trois hétéros devant et derrière la caméra retracer les dernières années d’un pianiste doué ouvertement homo, fantaisie d’hypocrisie comme seuls les États-Unis savent en concocter. Mais l’avis de « ces gens-là », un salut à Jacques, à vrai dire ne nous intéresse pas, pas plus que le cinéma dit de niche, conçu pour et destiné à un public ciblé, a fortiori classé gay, tandis que l’on assure pouvoir se préoccuper, en bon cinéphile straight, d’une icône queer, et pas uniquement depuis notre lecture adolescente de Bill Burroughs, lui-même guère client des ornements exubérants du protagoniste. N’en déplaise à ceux qui professent le contraire, hors du « placard » ou point, un individu ne se réduit pas à son « orientation sexuelle », elle-même existentielle, culturelle, complexe, par conséquent en mouvement, et Soderbergh, avec intelligence, s’adresse à tous, au moins à ceux disposant d’un cœur et d’un cerveau, dépourvus d’œillères idéologiques, esthétiques. Ma vie avec Liberace séduit ainsi par son sérieux, sa modestie, son empathie transgenre. Le Steven ne réalise pas un mélodrame militant, une satire hollywoodienne sise entre Los Angeles et Las Vegas, paradis empoisonnés des apparences, du clinquant à l’américaine, il n’inscrit pas son récit à l’intérieur d’une imagerie précise, en opposition au Ang Lee de Brokeback Mountain et son secret de polichinelle congénital au western, il suit avec une tendresse retenue l’itinéraire de son couple mal assorti et cependant attaché, attachant.


Curieusement-logiquement, Ma vie avec Liberace remémore Volte-face, notamment lors d’une scène de chirurgie esthétique saisie elle aussi à distance. Dorian Gray du Nevada, Lee rêve en partie de se cloner, de s’immortaliser dans son blond giton peu épris de sodomie, la sienne, en tout cas, heureusement que les cinés pornos existent encore afin de satisfaire les « plaisirs inconnus », à la Joy Division, du catho miraculé en chromo. Le filigrane homosexuel de la filmographie de John Woo, remember The Killer ou La Dernière Chevalerie, apparaît ici en plein jour de désamour et de modélisation par procuration, effectuée par un Rob Lowe à la peau tirée comme au bon vieux temps de Joan Crawford. Remarquable dans Le Fléau télévisé, l’acteur cristallise la nature anxiogène d’une fable sur les apparences, les séductions, les désillusions du spectacle, de l’intimité, du capitalisme. À défaut de déployer l’appétit physique, toxique, du Chéreau de L’Homme blessé, Ma vie avec Liberace se clôt à la manière de All That Jazz, par une assomption imaginaire au cours d’une cérémonie religieuse. Scott sourit à son mentor mort, père adoptif et adversaire de procès, autre marqueur de la psyché US, « peu importe le sexe », en effet. Les femmes se limitent à des silhouettes de danseuses, à des mères discrètes, suspectes, administratives ou accentuées, écoutez le caméo de Debbie Reynolds réjouie puis refroidie par ses gains à domicile. Tourné en numérique, éclairé/monté avec soin par les propres soins du cinéaste sous pseudo, dédié à feu Marvin Hamlisch, compositeur récemment célébré sur La Septième Note et pour l’occasion brillant arrangeur, Ma vie avec Liberace nous parle gentiment d’aveuglement, canin ou masculin, d’addiction, aux godes ou aux médocs, de solitude partageable, confortable et insupportable, de fidélité in fine trompée, détrompée. Il s’insère donc dans le sillage positif de Hors d’atteinte et L’Anglais, préférables grâce à Jennifer et Terence au bouffi Traffic, aux bruyants Ocean et au segment en noir et blanc raté de Eros, surtout comparé à l’envoûtement manucuré de Wong Kar-wai.       


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