Steel Trap : Réveillon chez Bob
Des invités à décimer, une bande d’enfoirés dans une bande emballée à
l’allemande.
Toujours produit par Oliver Simon,
cette fois-ci associé au vétéran Pierre David, pour Abnormal Pictures, quel
sympathique intitulé, tant l’insaisissable normalité, au cinéma, au-delà,
effraie, à part les présidents transparents, évidemment, Steel Trap évoque
davantage, hélas, The Choke que Bloody Trails. Pareillement slasher en huis clos sur fond de
vengeance féminine, co-écrit par une scénariste par ailleurs compagne du
réalisateur et chanteuse de comptine accompagnée à l’accordéon teuton, le
métrage accumule les étages, les couloirs, les coups de Trafalgar, sans sucrer l’ascenseur
et sa cage abyssale, lieu anxiogène au moins depuis De Palma & Dick Maas.
Les mecs de Spokane envahirent une
ancienne usine de pain de mie, ceux de Cologne investissent un immeuble
désaffecté, glacé. Même modicité de budget, même vitesse de rédaction, d’exécution,
même tarissement d’inspiration et même ratage ou presque, bien que le casting choral britannique relève le
niveau, qu’un soupçon d’humour sexué, sexuel, accommode le menu réchauffé de
l’argument de massacre. Résumons : un chef au féminin trucide méthodiquement
ses détestations et ses admirations d’adolescence, quand elle affichait une
surcharge pondérale, quand elle s’amourachait d’un blondinet désobligeant. Dorénavant
grandies, actives dans l’industrie du divertissement, les victimes se voient
cuisinées de près, cuites à petit feu odieux dans la haine sereine du stratège
insoupçonnable. Luis Cámara et son équipe conviviale ne font preuve d’aucune
inventivité particulière dans la mise en scène des assassinats, usant d’une
tête de porc, pas celle de Harvey Weinstein, non, empruntée à Sa
Majesté des mouches, d’un seau ensanglanté chipé à Carrie au bal du diable,
accessoirement d’une pendaison à la Suspiria, la verrière en moins, et
d’une roue de la Fortune issue d’une fête foraine, hache substituée au couteau,
lui-même usité in fine, afin de
trancher la gorge du béguin blessé d’une flèche par le supposé tueur masqué, en
fait un fan serviable de la
gastronome médiatique.
N’omettons pas le trépas de sa rivale
jugée sans cœur, ligotée en robe grise de soirée dans la cuisine sur un meuble
de travail inoxydable, avec dans la bouche d’abord une boule SM puis son propre
cœur palpitant un instant, rime inconsciente à celui offert au spectateur par
Tsui Hark en coda de Histoires de cannibales. Le ragoût
relou, saupoudré d’impersonnalité, s’orne cependant de la présence d’actrices
complices et discrètement sexy, les
décolletés consistants de Julia Ballard & Georgia Mackenzie pouvant un peu
réchauffer la vieille veille du nouvel an et le surgelé des plans,
l’espièglerie éméchée de la belle Annabelle Wallis, vue dans La
Momie et Annabelle, bis, ici
réduite quasiment à un caméo de « fucking slut », plutôt que de
« fucking housewife », je me contente de citer en VOST, point de
procès en misogynie, please, sexe
oral de came sur les marches inclus, rajoutant une couche, ou une louche, de
médiocrité à l’ensemble généralisé. Un script
pareil, uniquement commis par un mâle, ferait défaillir les féministes cinéphiles
d’aujourd’hui, déjà bien énervées à l’époque de l’anecdotique Liaison
fatale. Ne développons pas la polémique inique et précisons que les
historiens spécialisés font disons remonter le sous-genre à La
Baie sanglante de Mario Bava, insurpassable parangon de sauvagerie
misanthrope, tandis que le Dix petits nègres, pardon aux
associations de saison, aux communautés orientées, aux VRP autoproclamés de la
peau colorée, de Miss Christie
présente la formule de base, représente un prototype incontournable, boucle
bouclée à l’anglaise, même en Allemagne, pays du Krimi. Changement de mœurs, le
massacreur devient massacreuse et le slasher
constituerait désormais une forme inoffensive, ironique, graphique, de girl power, avec regard caméra terminal en
guise de recette suspecte. Tout ceci ne parvient néanmoins à pimenter
l’insipidité du plat, concocté dans un climat de colo immortalisé par le making-of durant la moitié du vraiment
long métrage, comprendre une quarantaine de minutes.
À défaut du Piège de cristal
germanique promis par le titre en acier trempé de gore mesuré, il faudra donc se contenter de ce mets ressassé, à
l’image assez soignée par son DP nommé Patrick Popow, qui conjugue
harmonieusement, via une modestie
amène, la pauvreté de ses moyens avec celle de son imagination, de son
ambition. Finalement, pourquoi fait-on du cinéma, pourquoi visionne-t-on des
films ? Par fascisme, par narcissisme, par mercantilisme, pour se payer à
prix réduit de l’évasion à la con, pour s’astiquer sa nostalgie rassie, pour se
vider la tête et parfois un autre organe, génital, parce que la réalité, ce
qu’il en reste à notre ère du virtuel, ne saurait nous suffire, nous blesse
suffisamment pour la mettre en veilleuse dans les salles obscures trop sûres,
dans l’intimité tamisée, technologisée, du foyer ? Certes, pas seulement –
les films devraient mordre plus souvent, a
fortiori ceux qui se targuent de
pratiquer l’hécatombe, ludique ou tragique, de manipuler une imagerie codée, de facto conservatrice, narrativement et
symboliquement, de divertir avec le pire, même dépourvu des « petites
cellules grises » de Poirot, pur cerveau parmi la bienséance insulaire
vite restaurée, rationalisée, premier de la classe à moustaches moqué par la
malice de sa créatrice. L’inconnu Cámara, s’il ne se prend pas totalement au
sérieux, ne manquerait plus que cela, malheureux amateur, auteur de premier
film tout sauf auteuriste, au moins ça, merci, contrairement au Juan A. Mas
arrogant au creux de son néant, voulant se démarquer des minables séries B,
affirmait-il sans rire, sans s’étouffer, en marge du tournage de The
Choke, ne semble pas supputer une seule seconde les puissances
naturellement mortifères de la machine cinématographique, à embaumer, à
momifier le mouvement à la Bazin ou Cocteau, à découdre selon Mocky, oh oui. La
mort, explicite ou implicite, le cinéma s’en repaît, il ne mange rien que la
vie, les soucis, les visages et les paysages. Car le cinéma, que tu le veuilles
ou pas, n’existe pas pour les estomacs délicats.
Il existe mille et une façons de
baiser le ciné, de le trahir, de se divertir alourdi de vide, de démissionner
de soi-même, de perdre son temps, aux prises avec le temps, majuscule optionnelle,
increvable et pas même vénère serial killer à chaque heure. Avec son générique
épileptique, sa vidéo-surveillance rance, son catastrophique concert liminaire,
ses lèvres scellées, ses portes de secours verrouillées, ses néons forcément clignotants,
ses énigmes de maternelle, sa cabine dentée castratrice en écho au Maître
des illusions, son circuit fermé de vrai-faux split screen et son crâne fracassé à terre par un rockeur trompé, Steel
Trap relève de l’artisanat, a
priori préférable aux lobotomies
industrielles, planétaires, impunies, de Besson, Lucas et compagnie. Malgré
tout, il s’impose en symptôme de la mauvaise santé de l’horreur contemporaine,
millésimée de 2007, et plus largement des officielles, voire festivalières, filmographies nationales mondialisées,
essorées par la paresse rassurante, le professionnalisme scolaire, l’innocuité
congénitale, les subventions étatiques, télévisuelles. Descendu par ses soins,
desservi par son absence d’envie, suriné par son manque de talent(s), le slasher de naguère et de maintenant ne
poignarde que son cadavre ranimé artificiellement, outre-Rhin ou ailleurs, même
pas peur, même pas dérangeant. De la beauté, de la radicalité, de
l’intelligence, de la désobéissance, tu n’en trouveras, guère, mon frère en
cinéphilie, dans ce produit de série, assurément, économiquement B, dans ce
rendez-vous manqué avec des convives aux rivalités intempestives, à la
solidarité déficiente. Steel Trap, film très imparfait,
parfait exemple de tailladage à deux doigts de se faire tailler, paraphe in extremis
l’emprise asphyxiante, asphyxiée, du personnel passé, en sus de l’atomisation
sociale des sociétés occidentales, royaume infernal et hivernal du capitalisme
triste, dépressif, où chacun s’empresse d’occire son voisin, pour de bon ou par
procuration. Étonnamment, la lame pourrait ainsi alimenter en mode psy l’esprit
du marxisme enfui.
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