Blink : The Eye
Voir avec le cœur, Antoine idoine, échapper au tueur déformé, récupérer
son canidé.
Qui se souvient de Madeleine
Stowe ? Il suffit d’un battement de cils pour disparaître de la vue des
cinéphiles, pour s’évanouir loin d’un art amnésique, pour se consacrer à la
maternité avant de reparaître longtemps après à la TV. Madeleine, tant pis pour
Judy prise de vertiges selon Hitch, connut son acmé d’actrice durant les années
90, et je me la remémore surtout pour son rôle dans L’Armée des douze singes
de Gilliam, parmi une filmographie qui lui fit croiser Badham, Tony Scott,
Nicholson, Kaplan, Michael Mann, Altman, parcours estimable, sinon supérieur à
beaucoup de consœurs. Trop forte, trop fière, trop intelligente et dilettante
pour Hollywood ? Sans doute. Quelque chose de Linda Fiorentino ou Faamke
Janssen se retrouve en elle, irrigue-innerve en partie son personnage d’aveugle
vite guérie, femme indépendante, amante autonome usant des hommes,
confesse-t-elle en matant un match de
Michael Jordan, en purs fantasmes, en sex
toys tactiles, découvrant in fine l’amour tandis qu’elle recouvre
la vue au cours d’une enquête policière à propos d’un serial killer fort
courroucé par le dispatching de sa
copine, de son obsession, puisque celle-ci, dans son infinie générosité
humaniste, céda sa dépouille à la science, survivante à travers un puzzle d’organes fatals pour les violées/trucidées
porteuses, quelles malheureuses. Ce brouet scénaristique, médiocrement
féministe, péniblement psychanalytique, car la mal-voyante, outre se coltiner
des hallucinations temporelles et un chirurgien chauve énamouré, fissa
soupçonné, guérira d’un trauma de
miroir maternel maquillé, on le doit à Dana Stevens, productrice exécutive du
peu ragoûtant Julie et Julia, par ailleurs auteur des mémorables arguments de
La
Cité des anges, le remake
statistiquement con des Ailes du désir de Wenders, ou de Pour
l’amour du jeu, un Raimi sportif méconnu.
Ici, on se désape à l’incipit, pour en vain attirer
l’attention de la violoniste aux cataractes surnaturelles de pythie
irlandaise ; ici, on cite Longfellow afin de baiser avec une explicite avidité ;
ici, Chicago devient l’espace abstrait, spectral, d’un jeu du chat et de la
souris dont l’issue armée ne provoquera aucune surprise. Cela s’éternise tout
au long de cent dix minutes, cela retravaille de manière assez risible la
poursuite en métro de Blow Out, cela se vit refusé par Julia
Roberts. En réalité, pour résumer, il s’agit d’un thriller pépère, voire anémié, ponctué par les dispensables apparitions
en chansons des Drovers. Le métrage rentra dans ses frais, Robert Shaye de New
Line respire, fais gaffe à Freddy, Bobby, mais ne laissa guère de trace
critique, y compris numérique. Personne ne s’en étonnera, ne s’en plaindra.
Néanmoins, Aidan Quinn, aux faux airs de Mel Gibson, se débrouille pour infuser
sa silhouette bâclée de flic embarqué dans une love story un brin gory, meurtre à la Marat avec croix
orthodoxe inclus, d’une vulnérabilité de bon aloi, a fortiori lorsque positionné en levrette, chouette, il demande à
Emma/Madeleine de le regarder, contact oculaire itou important dans le X américain.
La meilleure part de Blink, ou la moins mauvaise, disons,
réside peut-être dans cette relation sexuelle égale, déjà sentimentale, où l’on
apprend à ne plus se marrer entre mecs, à ne plus dominer, à s’apprivoiser, à
s’abandonner, une pensée pour les CD éclectiques du célibataire délaissés dans
la poêle à crêpes, passons ensemble à la casserole, allez hop, sur les notes un
peu falotes de Brad Fiedel. Pour le reste, Michael Apted, encore signataire
d’un portrait de femme après l’émouvant Nashville Lady porté par Sissy, loué
par bibi, Gorilles dans la brume et avant Nell, filme son récit peu passionnant,
pas non plus déshonorant, en pilotage automatique, en Scope agréable, en effets
brouillés de POV, épaulé par le solide Dante Spinotti à la direction de la
photographie, alors occupé à un tandem
de Mann, Le Dernier des Mohicans + Heat, ainsi qu’à un Olmi auparavant
secondé sur La Légende du saint buveur, aussi son DP en compagnie de la
chère Jodie Foster.
Si vous prisez Miss Stowe, laissez-vous tenter, cependant, sans aveuglement, Madeleine
demeurant presque dans chaque plan, dans sa beauté de trentenaire au rire
sonore, à l’armure équilibrée de fragilité, à la chevelure baudelairienne et au
regard au départ emprunté à une héroïne de Lucio Fulci : à défaut d’être
une fable affable et méta sur la cécité, féminine ou masculine, en mode Lang,
Chaplin, Buñuel, Powell, Penn, Young, Risi ou Kitano, liste chronologique inexhaustive,
évidemment, Blink, titre très anecdotique, immortalise par procuration son
élégance, sa trivialité, son immanence et sa versatilité, CQFD.
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