Sous le lampadaire : Préparez vos mouchoirs


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Gerhard Lamprecht.


On peut certes souvent sourire à cette histoire « réelle », édifiante, exemplaire, nous avertit le carton liminaire. La pauvre Else, qui ne saurait assurément pas égaler la Elsie de M le maudit, ne cesse de dégringoler l’échelle sociale de l’Allemagne de la fin des années 20, presque à point pour l’ogre hitlérien. Dans cette sorte d’anti-Loulou, filmé avec un soin impersonnel, Jules et Jim investissent La Rue sans joie où mourra un ersatz de La Petite Marchande d’allumettes. Assez intelligemment, Sous le lampadaire introduit le son au sein du muet, chanson à boire ou requiem de jardin à l’ouverture et à la fermeture, scansion prophétique évidemment du futur parlant, chantant, musiquant. L’héroïne meurt à la Molière, au pied de l’immonde immeuble, entourée par la solidarité, la curiosité des prostituées, des clients, des passants, du petit peuple de studio, ailleurs saisi à l’air venté des extérieurs. Le grand air, Else désespère de le sentir, elle rêve littéralement de se « mettre au vert », idéalisme naturel propre à la psyché outre-Rhin, bientôt annexé par les corps problématiques, disons protonazis, de Force et Beauté puis Les Dieux du stade. « J’aimerais tant revoir l’été » confie-t-elle à la logeuse crasseuse à son chevet, avant de se faire délester de sa planche de salut, liasse salvatrice de billets aussitôt empochée par son mac à la masse, qui lui fout un coup de poing en pleine face, de quoi renverser les féministes de notre minable modernité. Lamprecht signe-t-il pour autant un film contre les mecs, ces « porcs à balancer », olé, ces « prédateurs » nés confortés dans leurs méfaits par la « culture du viol », et gare aux collabos du « deuxième sexe » qui s’aviseraient de les défendre, rétives au manichéisme, à la victimisation, à l’instrumentalisation de truismes, surtout si elles s’illustrèrent naguère dans le X honni, à défaut de les brûler ou de les tondre, on les pourrira à plusieurs sur les réseaux sociaux, en souhaitant pas si secrètement qu’elles se suicident, bon débarras, cf. aux USA le cas d’August Ames ?


Oui et non, car le moralisme prégnant équilibre son apparente misandrie d’un déterminisme diégétique, psychologique, d’une fatigue idiosyncrasique, historique, encore plus létale que le patriarcat impitoyable à gros cigare cassé, l’escroquerie de l’imprésario suicidaire ou l’aveuglement d’un amant repentant. Le réalisateur doté d’une carrière riche, même durant le Reich, entre autres avatars projectionniste juvénile, soldat scénariste, artisan prisé, collectionneur acharné en rime à Henri Langlois, fondateur-directeur de cinémathèque nationale, je renvoie vers la synthèse consciencieuse de Michael Fox, ne filme pas à plat, présage du style de la DEFA, avec un professionnalisme frisant l’insipide, amnésique de Lang, de Murnau, de Pabst, de Wiene et compagnie, des salauds insupportables, sexués, il cadre en une dizaine d’actes, en surprenants, élégants raccords dans l’axe en fondus enchaînés, des individus discutables non dénués d’humanité, y compris, tant mieux, tant pis, le cogneur-détrousseur précité. Certains trouveront l’ensemble médiocre, anecdotique, trop long, trop convenu, mais l’on pardonnera toujours beaucoup à une œuvre capable de proférer, de faire entendre parmi son silence, le « cri du cœur » assourdi supra, superbe résumé de l’irrésistible météorologie mélancolique du mélodrame. L’été teuton, nul ne l’ignore, ne surviendra pas, une longue nuit d’hiver, nourrie de misère, de ressentiment, d’hubris à insigne, s’abattra sur l’Europe, portée par un délire aryen dont les gamins eugénistes de la fin paraissent témoigner en avance. Avec sa modestie, son succès, son oubli exhumé, restauré, sa neutralité politique, sa transparence expressive, son réalisme économique et choral, Sous le lampadaire parvient à transmettre des instants insouciants de l’époque et, en dépit du happy ending solaire, à la Voltaire, à laisser entrevoir le puits de désespoir d’un pays qui nous entraîna tous dans sa folie, dans son obscurité jamais vraiment éteinte. Un film admirable et méconnu ? Un film aimablement mineur à découvrir, peu importe l’âge, le sexe, la cinéphilie, allez.

            

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