Tarzan : Another Day in Paradise
S’esbaudir devant Bo ? No
way. La maudire ? La
mettre à nu.
Après les cannibales amazoniens,
l’homme-singe africain ; avant Lorenza Izzo joliment filmée par son
compagnon Eli Roth, John Derek immortalise sa Bo homonyme – ainsi va ma
cinéphilie, oh oui, ainsi s’étoffe ma DVDthèque, chouette. Le film possède une
réputation atroce, et alors ? Depuis quand convient-il d’évaluer une œuvre
en suivant les avis spécialisés, datés, la « rumeur aux mille
bouches » dont parle Homère dans l’Odyssée ? Tu t’intéresses au
ciné, tu souhaites écrire sur et avec lui, l’ami(e) ? Va et regarde, me
souffle Elem Klimov, utilise ta sensibilité, ton cerveau, ton style et
moque-toi de ce que l’on en/te dira, voilà, voilà. Ce préambule posé, Tarzan, troncation de galette, constitue un ratage signifiant, un médiocre métrage avec de stimulants éléments
dedans, au-delà. Méritait-il son gros succès en salles, d’être descendu par
tout le monde, à la notable exception de l’indulgent, sinon généreux, Roger
Ebert ? Non, deux fois non, mais il me semble valoir quelques lignes
disons de clarification. Premièrement, Tarzan repose sur une erreur
d’intitulé assortie d’un malentendu de réception, « d’horizon d’attente »,
comme péroraient naguère les universitaires en Lettres Modernes. Il devrait, il
devait, s’appeler Jane, puisque Derek, précédant le Stephen Frears du
remarquable Mary Reilly, renverse la perspective et narre l’histoire du
point de vue féminin, ce qui à la fois change tout et rien. Miles O’Keefe,
sympathique, athlétique, totalement transparent, doublure d’un boxeur vite
congédié, à l’instar d’ailleurs de plusieurs Sri-Lankais durant le tournage, de
quoi un peu entamer notre capital sympathie envers le couple en autarcie,
apparaît au bout de la quarantième minute et s’avère aussi taciturne que
Christopher Lee dans Dracula, prince des ténèbres, vraie-fausse
suite dispensable du chef-d’œuvre de Fisher.
Tant mieux, rajoutent les mauvaises
langues, peu convaincues, nous non plus, par ce solitaire sculptural doté d’un
je ne sais quoi de pasolinien, au moins à certains instants. Tarzan
n’existe que par et pour Bo Derek, qui interprète, tu parles, corrigent les
râleurs supra, qui produit, qui se
dénude et se réjouit, qui occupe en solo le poster
infidèle sous son nom en surplomb. En matière de nudité, justement, Tarzan
ne relève pas du « genre » érotique, et ce pour un raison simple et
complexe. L’érotisme, je résume, participe du corps, de la mort, de
l’organique, du ludique et du mélancolique ; je renvoie vers les travaux
de Bataille & Brass, bon. Ici, et en cela il s’agit d’un film et d’un tabac
seulement possibles aux États-Unis, le priapique cède sa place à la plastique,
la chair perd sa lourdeur et sa grandeur, le simulacre paradisiaque occupe tout
l’espace de la géo et de la libido. Avec
Tarzan,
Bo Derek élabore un écrin édénique pour sa silhouette gracile, presque asexuée.
Seule une native de Californie, pourtant terre de fornication, demandez donc à
David « L’orgasme est ailleurs » Duchovny, a fortiori de Long Beach, remarquez la multitude des son of a bitch dans la bouche de Dick Harris,
pouvait se baigner avec autant d’aisance, d’innocence, dans une mer en effet
« intérieure », pur mirage psychique et scopique. La féminité
associée à l’humidité, noces anatomiques et culturelles, il caro Tinto en fera
usage à son tour dans La Clé, peut-être son meilleur
effort, porté par une Stefania Sandrelli audacieuse, valeureuse, souvent
amusante et finalement bouleversante. L’érotisme, spécialement au cinéma, ne
saurait s’embarrasser d’une pitoyable et supposée « perversité », mot
que Bo/Jane emploie, malicieuse, pour définir son désir d’être désirée, sa
poitrine alors palpée par un Tarzan s’interrogeant, notion morale,
moralisatrice, qui empeste la frigide filmographie US, foncièrement puritaine,
y compris lorsque des étrangers nommés Hitchcock & Verhoeven se piquent de
l’illustrer, de la pervertir, justement.
Aux USA, on ne bande pas, on
n’imagine pas, on ne se confronte pas à l’autre, à son altérité ravissante et
inquiétante, en vue d’une étreinte magique et tragique ; par contre, on
baise, on fabrique du X en ligne à la chaîne, on accomplit les figures imposées
d’un empire triste et désenchanté, cf., SVP, mon essai sur le sujet. Sans
surprise, reprenez vos calendriers, Tarzan accompagne et conjure l’essor
de la VHS pornographique, en propose le parfait opposé policé, consensuel, au
pays des merveilles du safe sex
entièrement tenu hors-champ, même si un singe suçote gentiment le téton de Bo,
heureux animal, même si celle-ci, cariatide sans maquillage ni chirurgie,
demeure une sorte de vestale virginale entièrement intacte, hors d’atteinte du
spectateur et de son sauveur silencieux, in
fine souriant, auquel elle apprend à sourire, devant lequel elle se tient
une banane à la main, tandis que son explorateur de père succombe discrètement
éventré par une défense éléphantesque, de quoi régaler les cinéphiles épris de
psychanalyse et de symboles phalliques, qui noteront en outre que Bo figure sa
maman en photo, embrassée par son géniteur rugueux, sentimental, bonjour à
l’inceste implicite par procuration. Ne me faites pas dire ce que je n’écris
pas, un Cassavetes et quelques autres, davantage dans le système des studios,
surent filmer le corps, ce qu’il provoque, ce qu’il suffoque. Néanmoins, cela, Tarzan
ne s’en soucie pas, il échoue à susciter l’émoi d’une Maureen O’Sullivan si
sensuelle dans son bikini artisanal en noir et blanc, il lui substitue la
vacuité irréelle et aérienne de l’enveloppe de Bo. Pas une once de nostalgie
rassie sous mon clavier à la Polnareff, ni une remise en cause de la beauté de
Bo : je me contente d’identifier une femme à la Antonioni, de sonder une
surface rendue star par le Elle
de Blake Edwards puis tombée dans l’oubli en compagnie, à sa propre mesure,
d’Ursula Andress & Linda Evans, épouses précédentes du jalousé John.
Quelque chose des Femmes
de Stepford ressurgit dans ce film au fond inoffensif, familial, très
bancal, parce qu’il met en place, non sans un humour à son crédit, porte à son
acmé, un régime d’image promis à un grand avenir, dans la publicité, dans les
brochures touristiques. Derek évacue le rousseauisme sexué, sexualisé, idéalisé
du mythe popularisé avec raison par Johnny Weissmuller dans les années 30,
quand il fallait divertir, faire voyager, relire le récit originel d’Adam &
Ève loin des infernales désunions individuelles et collectives de la Grande
Dépression, avec bien sûr le sommet méta de King Kong atteint en 1933,
nanti de l’irradiante Fay Wray. Il congédie en sus la dimension sociale de la
fable libidinale sur la civilisation, magistralement traitée par Hugh Hudson & Robert Towne
dans le très britannique Greystoke, la légende de Tarzan.
Plus de classes ni de luttes, so,
plutôt le portrait, par une caméra énamourée, d’un modèle, éventuellement au sens
bressonien du vocable, d’un fantasme, dans la double acception italienne du terme,
apparition et représentation au service d’elle-même, de son plumage-ramage
parmi les paysages outrageusement sages, héritage du New Age. On pourrait penser à la méticulosité
sucrée de David Hamilton, à l’eugénisme onaniste de Playboy, repris en mode
ironique par le De Palma pré-SIDA de Dressed to Kill, cependant Derek, DP
flanqué d’un Wolfgang Dickmann nommé camera
associate, bientôt transféré à la TV teutonne de polar, déploie surtout une
expressivité téléfilmée afin de magnifier sa muse, de la saisir en robe légère,
topless ou pas. Anti-Kathy Hepburn,
Bo ne veut ni ne peut porter un pantalon, elle affiche sa finesse de traits,
énoncée en voix off dès le prologue
en forme de conte entre mecs de club,
un brin grivois, elle occupe quasiment chaque plan, même en son absence,
présente en pensée dans l’esprit de son papounet récalcitrant, in extremis vaincu par sa venue, son
amour pour elle, de son assistant victime d’un coup de foudre, on compatit, on
comprend, d’un film de photographe, mise en abyme diégétique, en aucune façon
de cinéaste.
Le gros plan et le plan d’ensemble élus
en cadres préférés, paupérisés, Tarzan se traîne sur cent dix
minutes sans turlute, sans culbute, carburant à son exotisme de pacotille,
épousant son scénario de néant, commis par le Gary Goddard des Maîtres
de l’univers, voui. Que raconte-t-il exactement ? Rien de moins,
rien de plus, que l’éducation sexuelle in
situ d’une progéniture abandonnée en bas âge, qui soldera son « complexe
d’Électre » en maternant, en déniaisant, en dépucelant un célibataire
adepte de la liane, voire de la zoophilie. La honte de la jungle, ce primate à
la peau mate, en écho à l’obsédé du dessin animé de Picha & Boris
Szulzinger, qui irrita itou les héritiers d’Edgar Rice Burroughs ? Que
nenni, et pas non plus le spectre d’un des pires films de l’histoire du cinéma,
car Tarzan
pourra offrir un plaisir du pire, un second degré assumé, je pense en particulier
aux combats du protagoniste spolié avec un python dans une mare ou avec le chef
hilare, colosse peinturluré couronné d’une crête d’Iroquois, deux séquences
affligeantes et renversantes utilisant un ralenti risible, idem manipulé pour les traversés suspendues entre les arbres, rares
moments où Tarzan pousse son célèbre cri, auparavant entendu sur le logo léonin de la MGM en clin d’œil
taquin. Bo recroise Richard Harris, son complice de Orca, dans un numéro
horripilant et convaincant de cabot modelé sur le Brando de Coppola enculant
Conrad, leurs retrouvailles et son trépas parvenant à suggérer une mince
émotion, mini miracle en soi. James Parker, père prolifique, putatif, d’une
nuée de gamins naturels réunis par leur énergie, la noirceur de leur peau, vit avec une Massaï surnommée Africa, espère
trouver le fameux cimetière des éléphants, vlan.
Il hisse une étoffe de trèfle, vert
de l’Irlande retrouvé dans les yeux de Bo, sur ses lèvres et dans ses cheveux
une fois blanchie par des indigènes ennemis, coloration au carré reprise par
Roth dans The Green Inferno pour une cérémonie en rime, dès le début
blonde hypnotisant un petit Black, en
zigouillant deux adultes, matelots patibulaires, qui ne connaissaient sans doute pas Touche
pas la femme blanche ! de Ferreri, tant pis, et récite des
bribes de l’Alice de Lewis en évasion d’occasion. John Philip Law, le bandit de
BD du dispensable, bis, Danger :
Diabolik ! de Bava et l’aveugle de Barbarella, similaire
loupé régi par une égérie, seconde Jane, Fonda, cette fois, fait de la
figuration intelligente, ou pas tant que ça, réduit à être l’amoureux
impuissant, le barde survivant des aventures de Bo. Avec son carton des Svengali
Productions, Bo allongée nue sur une verdure génitale, qui tire les ficelles d’un
pantin à pellicule, signé, admirez, Frazetta, avec ses volets désuets, ses
recadrages au zoom, ses reflets, ses
contre-jours, ses jeux de lumière ancrés dans la grammaire du glamour hollywoodien, avec sa réplique riquiqui
de parité dont ricaneront les féministes actuelles, guère sensibles à une
émancipation estimée exhibition, avec sa fontaine artisanale, entre femmes, où
l’écuyère se fait doucher tel un cheval, Tarzan se moque implicitement de la
masculinité musclée, décérébrée, irresponsable et pardonnable, contemple une sirène
sereine, déesse de fitness davantage
que vase de Saxe, une jeune fille affirmant vivre un livre éveillée, même lors
d’un coucher de soleil de conclusion, même quittée en compagnie de Tarzan et
d’un orang-outang ressemblant à celui du Doux, Dur et Dingue d’Eastwood, tous
les trois occupés, en interminables fondus enchaînés, sur la soupe
orchestrale de Perry Botkin, à faire les cons caniculaires, sur un bout de terre
ouvertement en dehors du scénar. Un film, encore ? Une célébration
narcissique doublée d’un objet historique.
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