Joey : Contact
Histoire de désespoir ? Télémaque teuton…
Avant de délivrer du spectacle à
succès, par exemple Independence Day (1996) ou Le Jour d’après (2004), par
mes soins esquissés, Emmerich filme en catimini et en majorité en Germanie ce mélodrame
méconnu et domestique. Ouvert sur un cimetière, trépas d’un parent, achevé à la
maison, décès du fiston, l’opus pâtit
certes d’un script médiocre, d’un cast ad
hoc, d’effets spéciaux assez approximatifs, d’une résurrection consensuelle
et concon in extremis. Néanmoins, il ne vaut pas rien, parce que d’une part sa
bonne forme se tient, voire se maintient, au nez des années amoncelées, d’autre
part il ne procède au hasard, s’apparente plutôt à un apologue œdipien.
Emmerich rêve d’Amérique nordiste, surtout de son ciné dit de divertissement,
il s’autoproduit de sa sœur Ute en compagnie, il s’acoquine aux Corman
maintenant et ici, il nous narre le récit, à base d’outre-tombe téléphonie, de
soudaine télékinésie, de malveillante ventriloquie, d’un gosse orphelin à demi,
quand même capable de contacter son parti papa depuis l’au-delà, en tout cas le
moutard y croit. Pareillement privée de père par procuration pour d’autres
évidentes raisons, la précédente allemande génération, celle de Herzog et
consorts, choisit des origines une généalogie, donc redécouvrit Murnau, Lang,
Pabst et tutti quanti, héritage hommage, hors outrage, célébré, sinon légitimé,
par la spécialiste Eisner Lotte. Celle du sieur Roland, née de la décennie
cinquante au mitan, regarde au-dessus de l’océan, veut suivre le CV de Wolfgang
Petersen le désormais vétéran, lui-même itou issu de la guerre très sévère.
Sous ses allures de série B un peu paupérisée, presque stylisée, Joey
(1985) s’inscrit ainsi davantage au sein du sillon d’une fantasmée nation que
d’une imagerie à la patine pédophile déjà rassie, tendance lucrative d’un
certain ciné US des eighties.
Par conséquent, pas si surprenant, il
dialogue à distance avec Poltergeist (Hooper, 1982) et en
filigrane avec Il était une fois en Amérique (Leone, 1984), sonnerie
d’esseulé combiné à l’unisson, à répétition. Emmerich paraît se chercher un
papounet, Spielberg (& Lucas) adopter, l’optimisme étasunien adouber. Il ne
se limite à ceci, il procure à l’ensemble une sensibilité européenne, une
inquiétude identitaire en rime rajeunie aux tourments point cléments de Magic
(Attenborough, 1978). Outre comporter des clins d’œil à Psychose (Hitchcock,
1960) et au Retour du Jedi (Marquand, 1983), Joey s’apprécie à la fois
en film méta, en simulacre cinéphile, cf. la barrière blanche emblématique, métonymique,
fondamentale, provinciale et parfois rurale, de la small town, territoire
géographique et mythique traversant le ricain écran, du Magicien d’Oz (Fleming,
1939) à Blue Velvet (Lynch, 1986), placée à l’avant-plan d’un panorama urbain quadrillé, plongé au
creux d’une électrique obscurité, censé représenter L.A. vue d’au-dessous de
Mulholland Drive, et en fable affable où un Petit Poucet improvisé, délocalisé,
à l’école harcelé, ensuite par des adultes en parapsychologie spécialisés
étudié, puisque doté des modestes puissances de la gamine mutique de Stalker
(Tarkovski, 1979), in fine défait encore un ogre à la face de
marionnette suspecte, pantin possesseur de l’esprit de son propriétaire, ironie
hégélienne, cruelle, mes amitiés à la pas belle Annabelle (Leonetti,
2014). Unis, réunis, les enfants prisonniers d’une vraie-fausse piaule hantée affrontent
leurs peurs, leur enfer intérieur, à la Ça de Stephen King, ils en terrassent
le(s) monstre(s), ils assistent à un franchissement de porte et le spectateur à
une épiphanie jolie, à un survol dimensionnel à la 2001, l’Odyssée de l’espace
(Kubrick, 1968). Au bout du couloir onirique se dessine une silhouette
séraphique, pure lumière peut-être de son (Notre) père (Père), amen.
Même sur le marché américain raboté,
retitré, une vingtaine de minutes en moins, l’explicite Making Contact à la
place, lorsque le montage originel, aussi disponible en ligne, disséqué sur ce
site comparatif, s’avère pragmatique et suggestif, Joey conserve une coda
convaincante, cohérente, en dépit des réserves énoncées supra, car jamais malhonnête, relecture en mineur (double sens) de Ordet
(Dreyer, 1955). La moralité du conte rappelle qu’il faut mourir afin de
grandir, que seul survivra celui lesté de foi, dans l’existence, dans ce qui
l’excède, dans le cinéma, d’ailleurs ou de là-bas. Et le film imparfait, fantastique (classé),
fervent, bien servi par le lyrisme musical de Paul Gilreath, la direction de la
photo idoine d’Egon Werdin, tire de cela, du constat, sa beauté, sa sincérité,
comme il se doit au générique final par l’auteur à ses propres géniteurs dédié,
CQFD.
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