Naissance des pieuvres

 

Un métrage, une image : Une vraie jeune fille (1975)

« Je n’aime pas les gens, ils m’oppressent », « Je me déshabillai, hideusement », « Je ne peux pas admettre la proximité de mon visage et de mon vagin », « Mon sexe laissait sur la pierre une boue gluante », « Je m’enculai avec la bouteille contenant la vinaigrette pour bronzer », « Je regardai son vit, agonisant comme un poisson mort » : la comédie noire de Catherine Breillat ferait presque passer À nos amours (1983) de Maurice Pialat pour une sitcom à la gomme et les douceurs polissonnes de David Hamilton, à présent pourries, merci Flavie, pour d’insupportables tromperies. La co-scénariste de Bilitis (Hamilton, 1977), de Police (Pialat, 1985), de Zanzibar (Pascal, 1988), signe ainsi un premier essai remarquable et quasi remarqué, puisque invisible de longues années, en raison d’une faillite, des situations explicites. Certes, voici déjà le dispensable dolorisme de Romance (1999), cf. la scène à bicyclette, parfait opposé dépressif de celle, ludique, de Monella (Brass, 1998), mais la débutante Breillat, en tout cas au cinéma, sait se servir d’une caméra, observer la trivialité, radiographier avec radicalité, voire virtuosité. On devine vite que ce portrait d’une adolescence en souffrance, placé en période pré-pompidolienne, ne carbure à la complaisance, au désir de scandaliser, davantage à une volonté de sincérité, de mise à nu, au propre et au figuré, d’une fille forte et fragile, que personne, cet été landais, ne dépucellera, le piège à sanglier in extremis elle ne remerciera. Porté par une Charlotte Alexandra courageuse, boudeuse, aguicheuse, malheureuse, porté itou par Cathy cumulant les postes, parolière y compris, Une vraie jeune fille, titre ironique et véridique, programmatique et pragmatique, le rêve (éveillé) au réel (désenchanté) entremêle, jamais ne s’emmêle. Tourné en muet puis postsynchronisé par la propre sœur de la cinéaste, ex aequo Madame Molinaro, l’opus de son temps, pourtant à contre-courant, possède une patine onirique et une tendresse (pas si) discrète. Prise entre un papa un peu palpeur et une maman « aux soucis d’argent », Alice sans Lewis, au miroir mouroir, abhorre son corps, pisse à la limite en public, son bulletin de notes trafique, se gave de TV à vomir, vomit aussi, s’épuise à la scierie, à espionner, à l’insu de son plein gré, un apollon qui lui dit non, obsédée par l’organique, la bite, imposée ou fantasmée, vive l’égorgement de poulet, remarquez le caméo de la Shirley Stoler des Tueurs de la pleine lune (Kastle, 1970) en acerbe épicière. Pendant la séquence la plus triste et symbolique, Alice & Jim se masturbent ensemble et séparément, solitudes en tandem en rime à celle des adultères parents, pas séparés cependant – chez Breillat, on se branle, on ne jouit pas, on se raconte, on ne se rencontre…

Commentaires

  1. Le Guérisseur 1953 https://www.youtube.com/watch?v=6c6IqMtdK74

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    1. http://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2021/06/les-enfants-du-marais.html?view=magazine

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