Tirez sur le pianiste
Notes sur (de) Claude Bolling…
Décédé en décembre dernier, le
compositeur ne (se) meurt, puisque sa musique (lui) survit. Durant une
cinquantaine d’années, au ciné, à la TV, Bolling bossa beaucoup, comme le
démontre l’anthologie jolie du précieux spécialiste Stéphane Lerouge, en clin d’œil
explicite, patronymique, baptisée Bolling Story, qui constitue avec American
Movies un diptyque discographique et cinématographique presque
exhaustif. Soixante-dix-huit morceaux permettent au spectateur auditeur de
confirmer que ce corpus possède un cœur
et une vraie valeur. Au-delà de l’éclectisme des items, des formats, des textures, ces tonalités, demeure une ligne
unique, unificatrice, celle bien sûr du jazz,
même si le maestro à son piano paraît méconnaître la liberté expérimentale d’un
Ornette Coleman, lui-même annexé en intense Interzone par son homologue Howard Shore, à l’occasion de la somptueuse partition du Festin nu (Cronenberg,
1991), passons. Outre vadrouiller avec Vian, s’encanailler en compagnie de
Keaton, Bolling retrouva souvent les mêmes gens, famille professionnelle de tandems franco-français tamisés par des participations
à l’étranger, comprendre, en bonne logique, en nordiste Amérique. Les noms de Boisrond
Camus, de Broca, Girault, Molinaro, Morris & Goscinny, Pollet, d’Averty, Barma,
Ceccaldi, Foulon, Grimblat ou Vicas établissent ainsi une constellation
d’occasion(s), de saison(s), au centre de laquelle résident ses notes
personnelles et plurielles, de mélodiste précis, accompli, studieux, heureux,
d’arrangeur habile, d’instrumentiste sans (mauvaise) malice. Cependant, son
partenariat le plus stimulant (et le plus sombre) se situe au côté de Deray, donc en partie de
Delon.
Très inspiré par AD, Bolling signa
les thèmes mémorables et remarquables de Borsalino (1970), Borsalino
and
Co. (1974), Flic Story (1975), Le Gitan (idem), Trois hommes à abattre (1981). On conseille aussi d’écouter ses
compos pour Doucement les basses (1971), Un papillon sur l’épaule
(1978), On ne meurt que deux fois (1985) ou Netchaïev est de retour
(1991). De l’ami et portraitiste (en 1982) de la désormais « orpheline »
Brigitte Bardot, mollo sur le trémolo, il faut enfin retenir ses travaux
évocateurs sur Le Magnifique et Les Brigades du Tigre (1973), les méconnus
Dis-moi que tu m’aimes (1974), California Hôtel (Ross, 1978), L’Homme
en colère (Pinoteau, 1979), La Malédiction de la vallée des rois
(Newell, 1980). En solo ou en duo, par exemple avec Les Parisiennes, Dee Dee
Bridgewater, Régine Crespin, Edda Dell’Orso, Philippe Clay, Bolling ne cessa de
prendre du plaisir à écrire, à exécuter ce qu’il écrivait, cela se sent et
s’entend à chaque instant. Moins audacieux qu’un François de Roubaix, moins
mélancolique qu’un Georges Delerue, itou expatrié (prolongé), moins tendu qu’un
Antoine Duhamel, moins romantique (et ludique) qu’un Michel Magne, moins versatile qu’un Philippe Sarde, l’effort
filmique de Claude Bolling se caractérise par son élégance, sa distance, sa
classique influence, incontournable Bach, sa volonté de décloisonner, cf. sa
pratique du crossover à succès, un
désir assumé, intact, jamais cynique ni patraque, d’accompagner des ouvrages de
visages et de paysages d’un autre âge, pourtant rendus pérennes, persistants, grâce
à un style singulier, d’entrain et de vitalité doté, parfois d’une sourde
tristesse solaire et en définitive toujours sincère.
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