L’Île du docteur Moreau

 

Un métrage, une image : Ravage (2020)

Merci à Billy (la Dorade)

L’art forcément et parfois férocement funéraire du film raffole de femmes défuntes, d’un même élan à meurtrir et immortaliser, à démolir et magnifier. Les féministes fustigent une dichotomie masculine, mais la dialectique fatidique et filmique d’idéalisation, de destruction, au-delà de son romantisme désenchanté, de sa manipulatrice lucidité, on renvoie à nouveau vers Vertigo (Hitchcock, 1958), donne à voir, à s’émouvoir, via une présence-absence, une manifestation à la fois physique et fantomatique. Sur le miroir des images, des mirages, surgit ainsi le souvenir de nos mères, de nos chimères, de nos aimées, de nos admirées, de nos décédées. Ce filigrane familier, ce drame intime, revient dans Ravage (Buso & Lannelongue), troisième ouvrage d’un collectif incisif, après François et le Gilet (2019) suivi de Zombiphosate (idem), (re)lisez-moi ou pas. Au cœur du vrai-faux slasher à contexte écologiste réside donc une Eurydice de Biscarosse, un docteur Moreau d’abord et en coda audio, à laquelle Virginie Lannelongue sait conférer son autorité, sa spectralité. Comme le Michael Myers increvable de Carpenter (La Nuit des masques, 1978), l’agriculteur étrangleur, moins abstrait, ne saurait succomber ; au contraire, il écoute et arrête du dictaphone la cassette. Chez Paul & Virginie (Lannelongue), n’en déplaise à Bernardin de Saint-Pierre, pas trace de rousseauisme ni d’amateurisme, davantage un étui d’arme vide, une cigarette suspecte, un twist logique, un chat pas si rasta. Si Les Raisins de la mort (Rollin, 1978) possédait sa propre ivresse funeste, Ravage envisage les raisins et surtout les raisons de la colère. Ouvert sur du vent, tourné pendant le « monde d’avant », il documente un deuil disons élargi, il effleure deux faits divers, survenus en 2004 et 2016. Se déroulant au lendemain de la Saint-Valentin, adressant un clin d’œil domestique et téléphonique à Scream (Craven, 1996), le valeureux Ravage (re)visite une violence hors-champ, délestée du moindre sang, interroge au lieu de répondre, en surface et sourdine séduit de sa mélancolie. 

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