Les Dents de la mer : Le Fils du requin
La baleine divine de Moby Dick ? Un gros ogre de blockbuster horrifique…
Avant le gosse à vélo (E.T.,
l’extra-terrestre, 1982), les gosses et les dingos (Indiana
Jones et le Temple maudit,
1984), le gosse et les fachos (Empire du Soleil, 1987), les gosses
et les dinos (Jurassic Park, 1993), la gosse du ghetto (La Liste de Schindler, idem), le gosse et le robot (A.I.
intelligence artificielle, 2001), les gosses d’apocalypto (La
Guerre des mondes, 2005), le gosse de Morpurgo (Cheval de guerre, 2011),
voici le gosse à l’eau (Les Dents de la mer, 1975). En moins
de cinq minutes, le spécialiste à succès de la souffrance de l’enfance, de sa
résistante résilience, réussit une remarquable et remarquée d’infanticide
séquence. Pour la première fois, l’enfant ne survit pas, présage du Petit
Chaperon rouge vite évanoui(e) de Varsovie. Bien servi par le savoir-faire du
directeur de la photographie Bill Butler, sorti de Conversation secrète
(Coppola, 1974) et bientôt au boulot sur Vol au-dessus d’un nid de coucou
(Forman, 1975), qui assortit l’ensemble d’une aura à la fois réaliste et fantastique, Spielberg donne au
spectateur, en partie via son acteur,
impeccable Roy Scheider, une leçon de tension et d’émotion. D’humeur morose,
Brody broods et boude devant la
couvée/brood des vacanciers, amitiés somatisées
à Chromosome 3 (Cronenberg, 1979). Il sait d’instinct que la victime d’origine, n’en
déplaise au maire mesquin, succomba à un putain de requin. Sur la plage
d’enfantillages, de batifolage, d’emmerdeur demandeur, il scrute la surface, il
aspire presque au pire, il veut voir l’invisible, identifier la menace puis la
prendre en chasse. Un travelling
latéral assez magistral associe l’individu névrosé à la communauté insensée, insouciante,
souriante, juxtaposition de saison, perçue parfaitement en profondeur de champ.
À « dix minutes » près, Alex s’en sortait ; pour l’instant, il
va chercher son matelas, de la mer amère vers sa mère ensuite solitaire il ne
reviendra.
Un clébard noir et funeste à la Faust
précède un raccord axé, avec des silhouettes suspectes alterné, en trois plans
nous rapprochant du guetteur impatient, décalé sur la droite du large écran. Après
la fausse piste et alerte d’un bonnet de bain porté par un vieillard alerte, à
proximité d’un nageur ensommeillé, un regard par-dessus l’épaule de l’importun
précité affole. Si l’amorce reste floue, le contrechamp point relou affirme une
mise au point sur la fille au loin et le type de près, permise par d’une
lentille bifocale – l’un des jouets préférés de l’ami De Palma – le juste
emploi. Mais le cri féminin n’amène à rien, pas trace du vorace requin !
Tandis que les gamins en masse se précipitent sans boire la tasse, l’épouse du
chef de la police d’Amity décide aussitôt de masser son très nerveux mari.
Annoncé par la subite disparition du canidé, appréciez le plan à deux
personnages, aux deux extrémités du cadre postés, l’homme debout, le minot assis, visez le centre
évidé, l’attaque survient alors, et le point de vue fissa se différencie.
Jusqu’à ce moment sous-marin, POV de requin, jambes de festin, la caméra
s’occupait d’un espace terrestre et mental dédoublé, délesté de la moindre note
apposée sur la flotte. À présent, le maestro Williams s’exprime, donne à
(ré)entendre son leitmotiv de mausolée maritime. Les images de (Rexford) Metz
offrent le retour du gosse apparu en contre-plongée, sur sa rectangulaire et
précaire bouée. Dans le sillage du geyser de sang, un célèbre travelling
compensé sur le flic empathique écrase et souligne la distance, incarne l’incrédulité
personnelle de l’indiscuté pluriel, manifeste de manière optique, poétique et
pratique, une attraction/répulsion d’occasion, accessoirement un mal de mer
d’impuissante et saisissante immobilité sur terre.
Au terme de la scène, le cinéaste
retravaille la latéralité initiale, la dynamise et la démultiplie, chaque coupe
du montage, signé Verna Fields (Le Cid, Mann, 1961 ou La
Cible, Bogdanovich, 1968), en écho aux mâchoires de l’animal et du
titre original (Jaws). Longtemps avant le mélodrame maternel et militaire de Il
faut sauver le soldat Ryan (1998), autre opus épique d’humidité fatidique, Les Dents de la mer nous
montre donc un deuil immédiat, débarrassé de tout pathos, réalisé avec une adulte cruauté
de conte de fées défait. Face à la détresse d’une maman désormais damnée, ne
demeure en définitive qu’à filmer la tragique trivialité d’un accessoire
dérisoire, signe inversé de jeux dangereux, doucement agité par un indifférent ressac
en sourdine et cependant encore ensanglanté.
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