État de siège

 

Un métrage, une image : Judith de Béthulie (1914)

Deux ans avant la grosse Babylone de Intolérance (1916), voici disons la modestie de Béthulie. Plaisant péplum presque pionnier, puisque précédé en France par Feuillade (Judith et Holopherne, 1909), le film de Griffith affiche son biblique féminisme. En ce temps-là, celui de l’Antiquité, celui du ciné muet, les professeurs de collège encore on ne décapitait pas, cependant on décollait les envahisseurs assyriens, rien de malséant ni de malsain, parce qu’ils le valaient bien. Pourtant la veuve intrépide et déguisée se voit vite aux prises avec un dilemme idoine. Entre la passion et la patrie, son cœur et son esprit hésitent, point sa main. Holopherne, affalé sur son lit magistral, blasé par des bacchanales, spectateur à la Sardanapale, en tout cas en écho de Delacroix, à Ninive se projette, au propre puis au figuré y perd la tête. Rentrée au bercail à muraille assiégé, Judith aussitôt devient une héroïne, sinon une sainte laïque, tandis que l’armée étêtée, déroutée, file vite. Les mains sales, les yeux au ciel, majuscule optionnelle, elle vient de délivrer ses affamés, ses assoiffés, Nathan s’occupant de sa mimi Naomi, amour près du puits, sur le point, attachée, de cramer, de son salvateur côté. Le réalisateur irrite le studio cynique, à cause du (sur)coût, le quitte ensuite, signe une quasiment méconnue réussite, un item jamais blême, de mouvement et d’immobilité, de spectacle et d’intimité, de solitude(s) partagée(s), en parallèle opposés, en montage alterné(s), en profondeur de champ et parfois en gros plan. Si Miss Sweet (La Captive, DeMille, 1915) assure, la fidèle Lillian (Gish, mère + fifilles) ne se fiche de son caméo à marmot. Séductrice cendrée, pécheresse rédimée, assassine sentimentale, la Judith gentiment mélodramatique et sudiste de Griffith en définitive mérite notre moderne estime.

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