Messiah of Evil : Kiss Tomorrow Goodbye

 

Ulysse & Télémaque ? Eurydice en Amérique…

Un mec court, une porte apparaît, une piscine scintille, la fille l’assassine : après un prologue inspirant et inspiré, nocturne et coloré, la suite ne démérite. Item littéraire et d’atmosphère, film cinéphile tout sauf futile, opus poétique et politique, Messiah of Evil (William Huyck & Gloria Katz, 1973) associe deux récits, retravaille Lovecraft, s’approprie Shakespeare, se souvient de L’Invasion des profanateurs de sépultures (Siegel, 1956) et cite Sueurs froides (Hitchcock, 1958), développe et démultiplie la subjectivité tourmentée de Carnival of Souls (Harvey, 1962), s’inscrit au sein du sillage insensé de Shock Corridor (Fuller, 1963) et Sœurs de sang (De Palma, 1972), repeint Pierrot le Fou (Godard, 1965) puis prépeint Suspiria (Argento, 1977), verrière vénère brisée en sus, présage Zombie (Romero, 1978), devine Démons (Bava, 1985), revisite le western et remont(r)e le mélodrame paternel. Fissa transformée en maison de fous, en cimetière à ciel ouvert, munie du romantisme maritime et solitaire de tombeau à la Poe, Annabel Lee ne le nie, cette partie des États-(dés)Unis réserve à la pauvre Arletty, prénom emprunté d’hommage amusant et amusé, mille et une nuits de magnifiques maléfices, en compagnie de plusieurs complices. La galeriste aveugle, tactile et lucide, autant que le marchand de ballons de M le maudit (Lang, 1931) ou la mère guère joviale du Voyeur (Powell, 1960), incarne avec son corps, sa mimine « d’araignée livide », bigre, l’argument de dessillement, traversée du miroir et du mouroir racontée par une internée, coucou au Cabinet du docteur Caligari (Wiene, 1920). Sis parmi un « cauchemar climatisé » (Henry Miller) made in USA, au moyen du métrage matérialisé, Messiah of Evil franchit la frontière, pas seulement celle, majuscule optionnelle, de l’expédition Donner, cannibalisme matriciel ensuite illustré par l’assez intéressant Vorace (Bird, 1999), puisque les murs domestiques deviennent tableaux explicites, car les rues à la Edward Hopper affichent leur facticité mortuaire.

La fifille d’asile, à la poursuite de son père épistolaire, diariste disparu, in extremis retrouvé, par elle-même illico cramé, roule sur la route en déroute de sa sienne autoroute perdue, sa psychique et fatidique Lost Highway (Lynch, 1997), CQFD. Elle va vite croiser le chemin un brin malsain d’un pompiste au tapis, d’un albinos ravi de Wagner, avide de rats, d’un trio de soi-disant portugais aristo, expert en légendaire, flanqué de deux femmes faibles et fortes, affranchie de San Francisco, ersatz de Lolita en immaculée culotte. Pas de sexe, please, pas de partouze de petit groupe, plutôt un lit suspendu + une couverture à la Klimt, un alcoolique prophétique, des flics fratricides, sinon xénophobes et rétifs au tourisme, des bestioles dégobillées de lavabo, applaudissez au passage la double « oralité » pour ainsi dire abouchée, un parricide express, reprise de celui, tout aussi symbolique, anthropophagie en famille, de La Nuit des morts-vivants (Romero, 1968), une noyade improbable, une religion de malédiction, aux disciples silencieux, en série et, last but not least, une artiste placée en hôpital psychiatrique, témoin incertain, traumatisée que personne n’entend en dedans crier, qui (tré)passe ses journées faussement apaisées à peindre sans doute d’invisibles atrocités, en parallèle au personnage de justicière près de la mer interprété par la regrettée Sondra Locke (Sudden Impact, Eastwood, 1983), similaire et différenciée victime d’un irréversible et inguérissable choc. Envoûtant et stimulant, tragique et sarcastique, Messiah of Evil documente un monde en effet « fatigué et désabusé », une décennie (et bien sûr un ciné US) déjà dépressive, patraque, paranoïaque, une nation sous l’emprise d’un dérisoire démon dénommé Nixon, dont la majorité mutique, presque satanique, ne supportait, on le sait, ni l’hédonisme ni le pacifisme, ni la promiscuité ni la spiritualité, de la protestataire et pileuse jeunesse des sixties, aussitôt passée de la liesse à la tristesse, certes délestée de larmes écarlates aux allures de laïcs stigmates.

En plus de comporter la subite obscurité de Los Angeles 2013 (Carpenter, 1996), coda cynique délocalisée du côté d’une station-service iconique, une main humide et ensablée à Pandora (Lewin, 1951) chipée, une seconde très rouge levée en vain contre l’écran trop blanc, motif retouché de la fameuse affiche de Evil Dead (Raimi, 1981), cet excellent mauvais songe sur le mensonge du cadre/calme commercial et provincial, du vacancier délassement, du caramélisé divertissement, s’avère un vivant voyage jamais arty au cœur et au bout de la nuit infinie, une réflexion en action sur la contamination, un requiem modeste et majeur, où la magnétique Marianna Hill (House chuchote la chère « sorcière » Shirley Jackson) dérive à l’instar de Sylvia Kristel chez Chabrol (Alice ou la Dernière Fugue, 1977). En widescreen (sur)cadré au cordeau, éclairé avec brio par de Gloria le frérot, Messiah of Evil mérite donc son immédiate exhumation et sa reconnaissante célébration.

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