Atlantique, latitude 41° : Les Femmes… ou les enfants d’abord…

 

Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Roy Ward Baker.

On le sait, le ciné anglais excelle à esquisser les classes, héritage artistique et bien sûr sociologique. Aussi insulaire, il peut a priori dépeindre la mer amère. À raison renommé, le métrage remarquable et remarqué de Baker (The Vampire Lovers, 1970 + La Légende des sept vampires d’or, 1974) cristallise ces deux courants stimulants, les appareille, sens duel, en plein océan. Si La Règle du jeu (Renoir, 1939), autre opus d’une société en train de sombrer, certes moins au propre qu’au figuré, s’avère un (s)avant-(dé)goût de la guerre, Atlantique, latitude 41° (1958) se souvient à l’évidence du Blitz, tout en anticipant, au passé, la Grande Guerre, déjà (dé)passée. Délesté de sentimentalité, évidé de vains CV, écueils récurrents de l’imagerie catastrophique, cf. par exemple l’idem maritime L’Aventure du Poséidon (Neame, 1972), doté d’un titre d’avertissement un brin moralisateur, A Night to Remember tamise le spectaculaire épique de sa réserve very britannique. Au sein de cette réussite authentique, qui un certain James Cameron sut séduire ensuite, rien de tragique, seulement un rassemblement d’éléments, rien de pathétique, uniquement de l’action et de l’émotion. Après une demi-heure d’exposition dynamique, le naufrage s’affiche, s’affirme, le corpus choral et collectif – apports importants du scénariste Eric Ambler, du directeur de la photographie Geoffrey Unsworth, du producteur William MacQuitty, des effets spéciaux de Bill Warrington (La Bataille du Rio de la Plata, Powell & Pressburger, 1956) et, of course, d’un casting impeccable, impliqué, ad hoc, à la flotte, où reconnaître Honor Blackman & David  McCallum – se déploie sur un mode documenté, affectif. Tandis qu’à l’extérieur s’expose une forme de grandiose morose, le plan au restaurant mourant d’un petit meuble (im)mobile, surmonté d’un plat désormais inutile, apparaissant à trois reprises, de plus en plus rapide, incliné, suffit à faire ressentir, aussitôt, l’angoisse ainsi objectivée, symbolisée.

Ailleurs, du côté des frigorifiés naufrageurs, une brève scène, sans l’once d’un requiem obscène, bouleverse en sourdine, celle du cadavre caché d’une enfant, qu’il faut, par conséquent, laisser glisser, avec une douceur terrible, parmi la nuit liquide, l’eau noire du désespoir, l’obscurité pudique d’un fondu furtif. Chorégraphe du désastre, chef d’orchestre du joyeux, courageux, local orchestre, in fine funèbre, le master (and commander, amitiés à Peter Weir) Baker dévoile des cadrages idoines, c’est-à-dire débullés, s’autorise en sus deux ou trois travellings évocateurs, sur le bâtiment, sur les survivants. Force de la fresque funeste : tout respire, tout fait frémir, à proximité du pire, du (dé)faillir. Dense et lucide, dramatique et drolatique, Atlantique, latitude 41° demeure de surcroît une assez enchanteresse moralité désenchantée, au sujet de l’hubris et de l’iceberg, de l’insubmersible et de l’insensé, de l’indifférence et de la solidarité. Glacé, dégrisé, dessillé, le personnage pragmatique et combatif de Kenneth More philosophe in extremis, énonce son relativisme. Au-delà de l’hécatombe, de la concentration du monde, dit beau ou cru nouveau, la coulée à pic du Titanic davantage implique, remet en cause l’arrogante certitude et matérialise la contingente finitude. Nef des fous et des friqués, des fidèles et des déracinés, le bateau trop gros, à court de canots (de sauvetage, dommage), vite éventré par un obstacle signalé, resté de glace, en effet, à présent presque un plaintif ersatz, un simulacre in situ de réchauffement climatique malvenu, accouche d’un réalisme dépressif, de mesures de sécurité renforcées, coda du carton, allons bon, vous renvoie vers les contes d’autrefois, ceux de Jonas, Achab ou Pinocchio, trio d’anti-héros à métaphysiques cachalots. Et l’ouvrage d’un autre âge, pas un modèle (réduit) de ratage, nous ramène à l’humilité, à l’égalité, à la fraternité, face à la grandeur néfaste d’un malheur mémorable, fable affable, effroyable, (sise) sur l’esquif du fier capitalisme.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Les Compagnons de la nouba : Ma femme s’appelle Maurice

La Fille du Sud : Éclat(s) de Jacqueline Pagnol

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot : Le Trou noir