Les Aventures de Rabbi Jacob : Yiddish Connection
Papillotes à la flotte ? Persévérance de la tolérance…
À la mémoire de Claude
Giraud (1936-2020)
Comédie politique moins didactique
que Le
Dictateur (Chaplin, 1940), moins théâtrale que To Be or Not to Be
(Lubitsch, 1942), Les Aventures de Rabbi Jacob (Oury, 1973) cartographie une
France en fuite et enfuie. Danièle Thompson l’affirme en effet impossible à
refaire aujourd’hui, en raison de (dé)raisons de saison. Entre chabbat et chewing-gum, le cinéaste lui-même
sémite, ici aussi en famille, flanqué de sa scénariste de fifille, déploie une
course-poursuite very seventies, doublée d’une œcuménique
moralité, à base d’hassidisme, d’antisémitisme, de racisme et de terrorisme.
Ouvrage à la genèse presque piège, opus
alors d’actualité, à la sortie compliquée, au rassurant succès, Les
Aventures
de Rabbi Jacob comporte une célèbre scène de danse, démonstration par
l’image et le son que si l’habit ne fait pas le moine, il ne défait le
vrai-faux rabbin, le transforme fissa, sous la pression de la situation et du
licencié Salomon, en spectaculaire pantin, en irrésistible imitation. Certes,
seul un comédien serein, studieux, physique et doté du sens du rythme, tel que l’ex-pianiste stakhanoviste de Funès,
pouvait accomplir avec finesse la prouesse de ce « miracle » laïc, à
drolatique réplique catholique, issu du cinéma d’autrefois. Toutefois Giraud ne
lui fait défaut, l’acteur/doubleur de Un roi sans divertissement
(Leterrier, 1963), Angélique, Marquise de anges (Borderie, 1964) ou L’Ange
noir (Brisseau, 1994), au départ spectateur désolé puis amusé, en
reflet au jeu silencieux de Henri Guybet, in
fine affilié à la folle farandole. Porté ou plutôt emporté par le thème
tonique de Vladimir Cosma, dont la version disque inclut un prologue folk, Louis aussitôt séduit, la foule
positionnée derrière lui, assemblée à Saint-Denis, par conséquent, ironie
jolie, surtout composée de musulmans, toujours dixit Danièle, miroitant celle, invisible, placée devant l’écran,
petit ou grand.
Oury filme la chorégraphie purement
masculine d’Ilan Zaoui, ensuite retrouvé sur le set de L’As des as (1982), Lévy et Goliath (1987), par ailleurs
fidèle collaborateur d’Arcady, en partie en plan d’ensemble, en gros plan, en
caméra portée, commence par un zoom
arrière, procédé daté, le Visconti de Mort à Venise (1971) valide, varie
les axes et change les échelles, profite de la perspective en ligne de fuite,
géographie ainsi à l’unisson du récit, opte en plus pour une contre-plongée sur
les multiples pieds légers. Mélange de l’expressionnisme du décor et de la
gymnastique des corps, la séquence grisante s’achève sur une chute, le vénère
Pivert cherchant à corriger dans la foulée le séduisant Slimane, de
Miou-Miou miam-miam, ravisseur bientôt bienfaiteur. Cependant Oury réussit son pari, ne
sermonne jamais, divertit souvent, tandis que de Funès développe de manière
mémorable, délectable, sa figure de Français assez détestable, à l’instar
disons d’un Sordi en Italie, n’en déplaise à Pasolini. Autodépréciation
caractéristique de notre nation, prodiguée par une star sur le tard, aux origines castillanes, elle-même passée par le
milieu de la fourrure ? Lucidité de satiriste, bien sûr, qui sut en sus
exprimer sa pas si discrète tendresse, cf. L’Aile ou la Cuisse (1976), Coluche
en complice + La Zizanie (1978), en duo avec Annie Girardot, diptyque d’époque,
gastronomique, écologique, dû à Zidi, ou La Soupe aux choux (Girault, 1981),
mélodrame rural dissimulé en farce pétomane. Sept ans après le ballet classique
et casseur du Grand Restaurant (Besnard, 1966), son
homologue des Aventures de Rabbi Jacob, sorte de conte de fées effréné
piquant au Peau d’âne (1971) de Demy sa coda d’hélico, envol de pétrole,
romantisme sentimental et musical, insiste in
situ, rue des Rosiers pas encore par un attentat ensanglantée, sur la
nietzschéenne nécessité de danser sa vie, c’est-à-dire, à l’occasion de pareil
contexte, d’envoyer valser la sinistre et séparatrice idéologie, au profit
d’une fraternité même éphémère et entachée de facticité.
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