Dangereusement vôtre : Rémy et le Réel

 

En mémoire de Rémy Julienne (1930-2021) et en adieu à Nathalie Delon (1941-2021)...

Transporteur puis pilote, champion récompensé en sus de cascadeur adoubé par Bond & Disney, (anti-)héros malgré lui d’un dramatique et judiciaire feuilleton dû à une dispensable (pléonasme) production Besson (Taxi 2, Krawczyk, 2000), désormais décédé des suites de la pénible pandémie, deuil discret, moins médiatique que celui de son mentor Gil Delamare, Rémy Julienne sut exercer ses « scientifiques » et savants talents pendant plus de quarante ans, sa filmographie conséquente, débutée via Fantômas (Hunebelle, 1964), associant cinéma estampillé populaire, classé d’auteur, d’ici et d’Italie ou d’ailleurs. Ainsi Rémy se mit au service, souvent complice, de Gérard Oury (La Grande Vadrouille, 1966) & Jacques Besnard (Le Grand Restaurant, idem), de Jean Girault (Les Grandes Vacances, 1967) & Georges Lautner (Le Pacha, 1968), de Peter Collinson (L’or se barre, 1969) & Sergio Sollima (La Cité de la violence, 1970), de Serge Korber (Sur un arbre perché, 1971) & Henri Verneuil (Le Casse, idem), de François Truffaut (La Nuit américaine, 1972) & Robert Enrico (Les Caïds, idem), de Claude Lelouch (L’aventure c’est l’aventure, 1972) & Claude Zidi (Le Grand Bazar, 1973), de José Giovanni (Deux hommes dans la ville, 1973) & Claude Pinoteau (La Gifle, 1974), de John Frankenheimer (French Connection 2, 1975) & Claude Makovski (Il faut vivre dangereusement, idem), d’Alain Corneau (Police Python 357, 1976) & Claude Miller (Dites-lui que je l’aime, 1977), de Vincent McEveety (La Coccinelle à Monte-Carlo, 1977) & Jean-Jacques Annaud (Coup de tête, 1979), de Jacques Deray (Trois hommes  à abattre, 1980) & John Glen (Rien que pour vos yeux, 1981), d’Alain Delon (Le Battant, 1983) & Sergio Leone (Il était une fois en Amérique, 1984), d’Andrzej Żuławski (La Femme publique, 1984) & Joy Fleury (Tristesse et Beauté, 1985), d’Alexandre Arcady (Hold-up, 1985) & Leos Carax (Mauvais Sang, 1986), de Jean-Marie Poiré (Twist again à Moscou, 1986) & Roman Polanski (Frantic, 1987), de John Woo (Les Associés, 1991) & Martin Campbell (GoldenEye, 1995), de Jaco van Dormael (Le Huitième Jour, 1996) & Ron Howard (Da Vinci Code, 2006), liste subjective non exhaustive, de carrière chronologique, sans omettre ses travaux à la TV, de motorisées publicités, ni sa pédagogique portée, école créée.

Toutefois l’héritage de Julienne, disons sa trace cinéphile et citoyenne, excède les salutations de saison, la nostalgie pas si jolie, d’une sécurité maximale son estimable souci. Avec lui disparaît en partie, en effet, une façon de faire du ciné, pas uniquement dit d’action, doté de cascades à (minutieuse) répétition. Homme de son époque, artiste analogique, cet expert du spectaculaire, in extremis consulté/rattrapé par le fait divers, logique symbolique, affrontait à chaque instant, à chaque plan, la matérialité de la réalité, défi rempli d’une raisonnable folie, dorénavant rendu caduc par la numérisation généralisée des images, donc, par contamination actée, croisée, des imaginaires, pas seulement celles projetées en salles aujourd’hui fermées ou (re)visionnées sur la multiplicité des écrans du présent. Fils de cafetiers, gamin timide, adolescent rural d’exode hexagonal, l’adulte adulé, ni casse-cou ni suicidaire, davantage lucide et sincère, pratiqua ses accélérations et ses collisions animé par le désir d’expérimentation, le soin de la précision. Sorte de Colt Seavers délocalisé, une pensée pour L’Homme qui tombe à pic et surtout à la TV, Rémy Julienne incarna avec éclat du mimétique cinéma une dimension à sensation(s), dédiée aux délices de la destruction, à la tôle qui n’entôle, qui affole, on en raffole, aux véhicules révérés, vandalisés, double mouvement éloquent, contradictoire, tout sauf illusoire, d’un art (funéraire) de la vitesse et du funeste, au-delà, d’une société incivique et hygiéniste. Affilié à l’enfance, à ses modèles réduits d’automobiles, à ses circuits de courses électriques domestiques, le cascadeur disposa de tout son cœur et de l’ensemble de son savoir afin de vérifier le caractère à la fois ludique et tragique du film, jadis souligné par exemple par Orson Welles et son célèbre « greatest train set a boy could ever have », amitiés aux Lumière, à La Ciotat ou pas. On sait que Brigitte Lahaie définissait ses confrères et consœurs en « cascadeurs », aux dépens du « hardeurs » dénué de saveur, d’ardeur, justement. D’une cascade à la suivante, d’une imagerie tout public à une seconde explicite, aux mineurs a priori interdite, le corps accomplit un ultime effort, terrassé de l’intérieur par les simulacres des ordinateurs. Si le X s(t)imule aussi, parcourez, SVP, mon petit essai thématique attristé, empirique, pas impérial, la pornographie, l’horreur, le mélodrame et les cascades carburent à la sueur, au sang et aux larmes, aux coups et à la casse, savent à notre force fragile, agile, rendre du réel l’hommage. 

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