Black Mask 2: City of Masks : La Bête humaine
Masque immaculé chez Franju ou Francis Delia, contre loup en caoutchouc
oriental et pas vénal – retour aux corps dans l’espace, à leurs arabesques
célestes…
On ignore à quoi carburaient Julien
Carbon & Laurent Courtiaud – le duo commit le très arty Les Nuits rouges du Bourreau de Jade, coulé par la transparente
Frédérique Bel, subi pour la sublime Carrie Ng – lors de la rédaction du
scénario mais ce devait être de la bonne (ou pas). Les anciennes plumes de la
luxueuse et défunte revue HK (Orient extrême cinéma) nous
concoctèrent en 2001 (déjà ? Mon Dieu !) un cocktail à base de justicier masqué asexué, de génie du mal réduit
à un cerveau parlant (remember le
professeur en apesanteur de Capitaine Flam), de séide moustachu
aux lunettes à la Montand dans L’Aveu, de méchant nommé Moloch
(héros estampillé « fils prodigue » : surprenantes allusions
bibliques, possiblement involontaires), de catcheurs mutants (oui, comme les
tortues nippones), de scientifique sexy,
frigide et pétrifiée par un trauma
opératoire, au prénom masculin (Marco Leung), de gamin provisoirement orphelin
(son gentil papa, travesti en méchant Hellraiser – Clive Barker dut apprécier
ou non le clin d’œil – se fait rétamer par le suicidaire Iguana, détenteur d’une
mémorable réplique à la John Merrick : « Je ne suis pas un
monstre ! » et passe par conséquent la quasi-totalité du film hors-champ dans sa chambre d’hôpital), d’un
troupeau éléphants chipé au Voleur de Bagdad et d’une bombe
bactériologique boostée à l’ADN (donnez-moi le nom de votre fournisseur fissa,
les gars). Cette fable foutraque et infantile sur l’animalité intérieure, la
lutte intime à mener pour juguler la bête en chacun de nous, repose sur un
argument manichéen exsangue, à la minceur insigne, résumé en quelques minutes
durant l’exposition sous-marine (aspect de jeu vidéo du nocturne océan
tempétueux).
Zeus, avatar désincarné de Nemo, veut
retrouver/capturer/liquider le Masque Noir du titre, sa créature OGM
traîtreusement transfuge car ex-mercenaire
désormais au service du Bien. Il faudra pour cela occire une poignée de
chercheurs, traverser l’arène moderne de B City (une pensée pour Leni, Riefenstahl,
who else ?), lorgner vers le bestiaire zoophile de L’Île
du docteur Moreau (la version avec Brando, surtout). Au gré d’un
parcours qui finalement et nonobstant nous agrée (on va vite voir pourquoi), le
cinéphile assez sidéré croise l’inoubliable diablotin pour adultes de New
Wave
Hookers
(pas encore la mère psychorigide selon Excision), ici rebaptisé Traci
Elizabeth Lords (un métrage avec la Miss
mérite toujours d’être maté) et transformé en caméléon roux aux allures de Mystique
dans X-Men,
pense un peu à Jason Scott Lee en découvrant l’innocent et anodin Andy On,
succombe volontiers à la beauté gentiment sensuelle de l’éphémère Teresa Maria
Herrera (elle se fait arracher ses habits dans une bagnole, porte une mini-jupe
noire et un haut court à la Pretty
Woman
en guise de vêtements de rechange, puis une robe légère d’été avec des bottes
ébène et une perruque à la Louise Brooks – ah, quand les costumes d’une
actrice, ou leur absence, nous émoustillent autant que ses yeux et son sourire,
quand le jeu se limite, tant mieux et tant pis, à des froissements d’étoffes, à
un baiser d’essai). On galèje et on se moque amicalement, mais l’œuvrette,
située à la hauteur d’un serial
d’antan, d’une BD décérébrée (The Shadow, par exemple, que le
sympathique Russell Mulcahy adapta naguère avec soin), se garde heureusement de
nous infliger le moralisme nationaliste et consumériste (détruire en série,
pour mieux le reconstruire, le rétablir, le pays supposé de la libre entreprise
et de la sécurité mondiale) des super-héros hégémoniques du Hollywood de 2016
(et d’avant, tellement navrant).
Tu voulais de l’action, de la
romance, du spectacle, du divertissement ? Pacte cinématographique conclu
et tenu, pas plus déshonorant qu’un autre et même davantage intéressant,
séduisant. En effet, derrière l’objectif se trouve l’unique Tsui Hark, et ce
nom suffit à emporter (presque toujours) notre conviction, à susciter notre
admiration (à un niveau moindre que John Woo ou Ringo Lam, certes). Film de
grand géomètre (le méchant se nomme Lang, référence explicite au stratège
sentimental et politique de M le maudit), d’acrobate irréaliste,
de calligraphe énergique, la plaisante plaisanterie démontre à chaque putain de
plan la maestria du maître de HK (formé aux USA). Non seulement les
affrontements néantisent le tout-venant ricain – magnifique chorégraphie
automobile du début, le corps humain se glissant sur et sous les monstres
métalliques lestés de conducteurs assassins –, atteignent une grâce de ballet
imagé, de tableau vivant en mouvement, offrant au célébrissime Yuen Woo-ping un
billet retour après L.A. et la Matrix des frérots (transsexuels)
Wachowki, dans le sillage de Tigre et Dragon et La
Légende de Zu, mais encore ils constituent la « preuve par
l’absurde », évidente et contradictoire, que l’on peut réaliser un film à
la fois grisant et stupide, épuisant et serein, n’allant nulle part avec une
vitesse et une ivresse absolues (même la moto à la Top Gun de l’épilogue paraît
faire du surplace face à la célérité de la caméra de Hark). Si l’on évitera de donner
en pâture aux futurs cinéastes les subtilités inexistantes de son script, il conviendrait de projeter l’opus dans toutes les écoles de cinéma
pour les persuader définitivement, magistralement, des puissances de cet art
poétique et narratif, musical et figuratif, rythmique et allégorique (l’ordre
des adjectifs m’importe et souligne la dimension sensorielle, tandis que la
portée sémantique commence à m’ennuyer sérieusement, à l’instar du Kubrick
lyrique et métaphysique de 2001, l’Odyssée de l’espace).
Cas d’école schizophrène, échec commercial et critique adapté en cantonais
avec les voix d’Andy Lau et de Louis Koo, leçon de réalisation, de montage
(Angie Lam & Marco Mak), de
lisibilité constante et d’enthousiasme fraternel, Black Mask 2: City of Masks
(quel joli sous-titre !) enivre à la manière d’une bouteille de grenadine,
emporte dans son élan irrésistible toutes nos réticences et nos remontrances,
nous donne à éprouver, durant une heure quarante, ce que signifie être vivant,
présent, doté d’une anatomie et d’un esprit (sollicité différemment, en
esthète, disons). Dans Blue Velvet, Dennis Hopper,
diable rural et régressif, se shootait au gaz (peut-être du nitrite d’amyle, matrice
des « festifs » poppers) :
le film de Tsui Hark produit une similaire euphorie physique (on pense à
Jacques Demy, en plus hardcore et
moins incestueux, quoique, la famille recomposée pouvait offrir une piste
diégétique perverse, hélas abandonnée, comme à peu près tout le reste, par
notre tandem de Frenchies si fans de
l’icône hongkongaise), une allégresse de chaque instant, et malgré les maladresses citées supra, on se surprend à en
redemander au générique de fin arrivé, devenu accro à cette voltige addictive,
à cette liesse de déliés, de flux sonores et visuels entrelacés. Sous ses
enfantillages d’un autre âge (cf. le martial et mélancolique Le
Syndicat du crime 3, avec la très regrettée Anita Mui), empêtré dans sa
candeur ectoplasmique de no man’s land
(au sens propre de l’expression), son goût acidulé d’utopie cosmopolite
(tournage en anglais en Thaïlande et post-production
en Australie), Black Mask 2: City of Masks vaut sa redécouverte imparfaite et
sa célébration reconnaissante, parce qu’il donne à voir et à ressentir une
cinéphilie pratique (au sens de praxis), fertile, immanente, dépourvue d’une
once de nostalgie.
Tsui Hark, génie fragile possédé par
les défauts de ses qualités (ou l’inverse, of
course), filme comme personne (« le
Spielberg chinois », osaient assimiler les ignares aveuglés de la décennie
90), filme mille idées de cinéma à la seconde, comme si la mort l’attendait au
bout de la prise, au terme de l’aventure collective (un salut à tous les
collaborateurs de Film Workshop). En cela, sa filmographie – retenons
particulièrement un triptyque suprême, liminaire et en colère : The
Butterfly Murders, Histoires de cannibales, L’Enfer
des armes ; l’éblouissant Zu, les guerriers de la montagne magique,
loué où vous savez ; Le Syndicat du crime 3 en parfaite
coda d’une mémorable trilogie ; Il était une fois en Chine (Jet Li for ever) ; le merveilleux Green
Snake ; le poignant The Lovers ; l’eschatologique The
Blade (trio foutrement héroïque, avec ou sans les supergirls de Johnnie To) ; un demi
échec (Double Team, pour la trop rare Natacha
Lindinger) et un semi ratage à main armée (Time and Tide) ; l’épique et
drolatique Détective Dee : Le Mystère de la flamme fantôme – nous ébahit
et nous fatigue, nous déçoit et nous bouleverse, nous éloigne et nous rapproche
d’un homme amusant, cassant, généreux, furieux, tyrannique et ludique (un vrai
réalisateur, donc). Sous le masque (le véritable artiste s’avance masqué, en
bon adepte de la devise cartésienne) et par-delà les œuvres (en elles, par
elles) se tient un cinéaste majeur, doublé d’une figure historique de
l’industrie d’Asie bien-aimée par votre serviteur, cependant tout sauf idolâtre
– nous lui témoignerons ainsi, jusqu’au bout de ce blog et de notre vie, une estime sincère et un ravissement
exaltant.
je t'avoue que j'ai bien rigolé en lisant ton article qui dit tout. Le cinéma va dans tous les sens a te lire et pour finir ce que je voulais te dire, c'est bien ce que je disait le cinéma Coréen qui vont nous faire maintenant des western d'antan des américains à l'époque ou c'était le genre, la preuve j'ai regardé un film 26 years que je voulais voir depuis longtemps (j'ai trouvé une mine de film asiatique ou ils y sont a peu près tous) et cela renvoie a MAY 18 film Coréen aussi et qui c'est passez en vrai en 1980, les enfants ont attendu 26 ans pour se venger de l'oppresseur et maintenant comme des films comme MASQUERADE, THE FACE READER et surtout ROARRING CURRENT (THE ADMIRAL)ils s'attaquent a leurs histoire qui est la leurs donc il restera toujours des films a regarder, même dans dix ans un pays passera à son tour raconter le passer et le futur? il s'est casser avec DOC BROWN (excellent) dans retour vers le futur, les très bons acteurs ne courent plus les rues DE NIRO, PACINO, CLINT, PEEN, OLDMAN même constat dans le globe, une histoire du cinéma esten train de se tourner et je me met à penser que ceux que l'on voyait, on va les revoir en boucle à la télé, ils ont commencer à enlever les films de FRED ASTAIRE ET DE GENE KELLY pour laisser place au western qui à disparu a leur tour, il ne mettent déjà plus les tontons flingueur et ceux de la nouvelle vague des années 60 et pourtant c'était hier, il va falloir voir flash attraper hulk avant que thor n'abyme pas le collant de la veuve noir, alors à quand un vrai grand cinéaste? il en reste heureusement mais au lieu de voir des films intelligent il va falloir s'abrutir avec iron man ou docteur strange? je préféré les lires, strange, nova ,spécial strange quand j'avais dix ans et maintenant c'est eux qui nous rattrape et si c'est autant tordu que la b-a de docteur strange et bien c'est pas gagner. Alors arrêter de voir des films pour nous? c'est inconcevable alors je garde mes bien mes dvd de KUBRICK,SCORSESE,LEONE. Mais ce qui m'attriste c'est que mes neveux (ex) n'aiment pas ORANGE MECANIQUE, c'est vrai que ils on était élevé à la console, mais ils ne voit même pas que pour un film de 1971, il montrait déjà le futur, comme CAMEROUN a fait avancé la n.a.s.a.pour les petit engins pour aller dans la mer et pas que çà, j'arrête là sinon ce serait trop long. A bon entendeur.
RépondreSupprimerEn effet, le cinéma se transforme, pas seulement via l’arrivée du numérique…
SupprimerOui, une sorte d’amnésie généralisée (ou de nostalgie facile, son revers, en quelque sorte) semble envahir l’univers des images, explicable en partie par la vitesse de l’information contemporaine, par celle de nos vies où tout va très vite, de plus en plus, comme une ivresse de l’éphémère et de l’anecdotique.
Astaire & Kelly, justement, parvenaient merveilleusement à suspendre le temps, à l’instar d’un certain John Woo, d’ailleurs : dans la comédie musicale américaine ou le film de gangsters hongkongais à leur meilleur niveau, il s’agissait, il s’agit, d’éterniser le mouvement, de le chorégraphier en ballet dansant et sanglant, de transformer l’effort ou la mort en purs moments de grâce ; grand cinéma de poésie et de mélancolie, donc.
Tu n’ignores pas mon point de vue sur les envahissants et souvent affligeants super-héros de maintenant ; je souris ainsi à ta phrase bien troussée les réunissant presque tous. Et je lus aussi à l’adolescence leurs aventures publiées en France par les éditions Lug, figure-toi ! Stan Lee & Steve Ditko, pour ne citer qu’eux, envisageaient d’ailleurs ces BD en métaphores explicites sur les tourments de la puberté. Désormais, il faudrait apprendre un peu à grandir, à vieillir, aux USA et dans le reste du monde.
On rit beaucoup à Orange mécanique, sommet prophétique et ironique de l’humour noir selon le génial Kubrick. Persiste par conséquent à transmettre la bonne parole cinéphilique, Jamel, en famille ou sur ton blog. Je t’y donne rendez-vous pour de prochaines découvertes et te souhaite une bonne soirée, ciné ou non.