Parfum de femme : Connaissez-vous Agnès Godey ?
Agnes of God (le Thérèse de Norman
Jewison) ? Agnès Godey, « trait pour trait », ou presque…
Dans Vesper, juste avant
qu’elle ne meure, son partenaire rugueux et malicieux (Götz Otto, naguère nazi
pour Spielberg ou Oliver Hirschbiegel) semble humer son cou, placé derrière
elle, tête levée, yeux fermés, en ange exterminateur captivé par son essence
féminine, à l’instar du tueur en série esthète du Parfum de Patrick Süskind
(adaptation illustrative par Tom Tykwer, d’après un scénario de l’auteur). La
caméra, nul ne l’ignore, nul ne devrait l’ignorer, fonctionne en machine de
mort, même (surtout ?) quand elle sublime, idéalise, « immortalise » ;
elle capte à chaque fois, vingt-quatre fois par seconde, la trace
(l’évanescence) d’un fantôme, le sillage (musqué) d’un corps transformé en
image, en projection (double sens, mécanique et paranormal), en souvenir. Il
faut du courage, de l’inconscience, une grande part de talent et une bonne
mauvaise dose (égoïste/généreuse) de narcissisme pour oser l’affronter, se
placer devant l’objectif, pénétrer dans le tableau vivant, celui de L’Invention
de Morel ou de La Rose pourpre du Caire, disons,
pour la gloire, pour l’admiration, pour la rédaction de biographies, au prix de
sa propre réalité, de son énergie (vitale), de sa vie (de famille). Jeu sérieux
et dérisoire, anecdotique et mythologique (au sens courant, dans l’acception de
Barthes), le cinéma nous donna dans les années trente, du côté de Hollywood, au
temps d’une crise économique majeure, de nouvelles déesses à idolâtrer, par
exemple la somptueuse Greta, qui laissait pourtant froid Ingmar Bergman. Le « septième
art » évolua (régressa, fulminent les nostalgiques), proposa mille autres
visages, innombrables vestales du culte profane et nécrophile, amantes et mères
pour caresser, consoler, les cinéphiles si désenchantés par la « vraie vie »
(oxymoron nervalien), tellement blessés par le réel qu’ils préfèrent en filmer
un ersatz au lieu de radicalement le modifier, toute sorte de révolte
foutrement compromise par une industrie puérile, mercantile, perfusée,
incestueuse, en France et au-delà.
En 2016, à l’époque du numérique globalisé,
du cadre législatif (particulier, problématique) sur les « intermittents »,
de la mainmise télévisée, des festivals annulés pour cause de terrorisme (ou
d’incurie étatique, ou d’angoisse instrumentalisée, ou de paranoïa
sécuritaire), comment vit et travaille une comédienne (sur scène), une actrice
(à l’écran) ? Le CV d’Agnès Godey esquisse une réponse, comme j’esquisse
son portrait (plutôt énamouré). Elle suivit ainsi les leçons du cours Clément,
pratiqua l’improvisation (« école buissonnière » d’un certain Jamel
Debbouze), apparut l’an dernier au cinéma chez Jean-Pierre Mocky (Tu es
si jolie ce soir, possible titre alternatif de Vesper), à la TV dans des
séries supposées humoristiques, en ligne pour des rôles de mères (dont l’une de
gamine démoniaque, sur les pas de l’inoubliable Ellen Burstyn aux prises avec
la gosse possédée de William Friedkin), au théâtre selon Agnès (bis) Jaoui & Jean-Pierre Bacri,
Muriel Robin & Pierre Palmade, Jean-Michel Ribes (transposition du célèbre Palace),
Anton Tchekhov (une évocation à base d’extraits de pièces fameuses) et Georges
Feydeau (Madame Virtuel la bien nommée), sans compter moult publicités pour des
marques renommées (Chanel par Karl Lagerfeld, comble du chic franco-allemand).
Son site personnel-officiel – quelle formidable civilisation que celle
disposant d’outils de communication et de sociabilité propres à réjouir la
fibre inquisitrice d’un Richelieu – indique en outre des courts métrages, des
clips (Ben l’Oncle Soul et Matt Pokora, duo redoutable après les deux premiers
cités supra, restons-en à Eminem
& Lisa Ann) et une formation commerciale (économie, gestion, marketing) à la Sorbonne et au CNAM (tel
le droit, les affaires mènent à tout, y compris à la comédie, « à
condition d’en sortir », de ne pas se piquer de politique, ou alors on ne
s’en sort plus).
Définie sur sa page Facebook en tant
que « comédienne » et « cavalière » (un double point commun
avec la transalpine Valeria Cavalli, croquée ici même par nos soins sudistes),
l’actrice cumule encore les sports (danse, gymnastique, fitness), parle anglais, possède des « notions »
d’allemand et un permis B, mesure un mètre soixante-douze, pèse soixante kilos,
arbore des « cheveux blonds ondulés » (je confirme la nuance
serpentine), des yeux noisette et une taille trente-huit – le tour de poitrine
et la pointure figurent sur le portail d’une agence « spécialisée »
(dans les baby-boomers et les « séniors »),
on se gardera d’en révéler plus (le lecteur, la lectrice et l’intéressée me
pardonneront l’ironie de cette anthropométrie, car si je n’appréciais pas Agnès
Godey, vous ne liriez pas, ni elle non plus, avec plaisir et le sourire,
j’espère, ces lignes sincères et gentiment futiles, puisqu’un être humain ne se
réduit jamais à un parcours, une carrière, une vitrine, puisque l’on aime
certaines personnes pour l’évidence d’un mystère irréductible aux faits, aux
dates, aux partenariats). Dans sa « bande-démo », elle donne notamment
la réplique à la douce et forte Anne Marivin, unique raison, à vrai dire, de
s’infliger le lucratif chromo de Dany Boon consacré aux « gens du
Nord ». De cette consultation parcellaire, de cette cohabitation des deux
masques principaux de l’expression théâtrale antique (la comédie, la tragédie),
il résulte une persona convaincante,
aux capacités non pas contradictoires (sale manie hexagonale d’étiqueter les
talents) mais complémentaires. Stakhanoviste, Agnès Godey ? Certainement
pas, seulement (précieusement) une actrice et une comédienne au « sens
plein » des deux termes, a working actress, dirait-on outre-Atlantique, aussi bien à l’aise en
génitrice endeuillée venant annoncer le suicide de sa fille au petit connard du
dessus qu’en bourgeoise nymphomane encanaillée avec un clochard asocial à la
Michel Simon.
Native de Nogent-sur-Marne
(guinguettes à la Gabin, pavillon Baltard, réminiscences de Laurent Voulzy), on
l’imagine bien un bouquin de George Sand à la main, ou en train de lire un script lovée dans un fauteuil du
seizième arrondissement de Paris, ville où elle vit et partage sa vie (avec un
homme aimé, marié). Internet, symptôme et baume technologique, incite à
traverser les frontières entre le public et le privé, à les brouiller
allègrement, indécemment, dans une sorte de mélasse sentimentale et illusoire.
Je ne connais pas (personnellement) Agnès Godey (connaissance souhaitable,
discutable, incomplète de soi-même), bien qu’elle me fasse l’amitié (désintéressée)
de me compter au nombre de ses « amis » électroniques, et cependant
j’aime son jeu précis, la gamme des figurations qu’elle déploie, le rythme
qu’elle impose à une séquence, avec lequel elle cisèle des mots d’autrui, des histoires
étrangères à elle-même (paradoxe de l’interprétation, de l’incarnation,
évidemment étudié par Diderot). J’aime croire qu’en chaque personnage elle
parvient toutefois à glisser un peu de son intériorité, de sa « nature »,
de sa trajectoire (ne comptez pas sur moi pour énoncer sa date de naissance,
non par bien-pensance courtoise ou féministe, mais par élémentaire élégance et
considération de la valeur de toutes les « saisons », au cinéma et en
dehors, la jeunesse éphémère mirée, déjà, dans la belle maturité, ou l’inverse,
avec tous les dégradés par vraiment dégradants entre les deux). On ne peut pas
ne pas parler, désolé, de l’apparence, du physique, du look, en Occident au vingt-et-unième siècle, a fortiori quand on
évoque une actrice : il convient donc de le faire avec respect,
complicité, sans blesser sa pudeur ni dresser sa beauté sur un piédestal. Agnès
Godey, comédienne talentueuse et femme sans doute rieuse, attachante, parfois
grave, absente, mérite mieux que les éloges transis et les déclarations
anonymes (ou planqué derrière un avatar spéculaire).
Partez à sa rencontre, découvrez la
multiplicité de ses éclats dans le miroir de sa filmographie en patchwork (une pensée pour Rita, of course,
cheveux courts, blonds, démultipliée dans la galerie des glaces de son Orson à
Shanghai). Avec son prénom à la Molière (des parents fans de L’École des femmes ?), avec sa voix vive et retenue, avec ses
faux airs de Catherine Frot (consœur de valeur), elle dessine joliment la
course d’une étoile au ciel intérieur du spectateur, elle fait vaillamment,
avec une joie lucide, son boulot de menteuse cernée de vérité, elle transmet
une existence et un passé lestés du poids nécessaire d’une vie et d’un talent,
alliage naturel, dynamique, positif (gardons les raisons de déprimer pour un
autre article). Si, comme votre serviteur – Identification d’une femme,
antonionienne ou non, à travers le prisme et la « sororité » de ses
petites camarades, drolatiques et mélancoliques –, vous aimez Jacqueline
Bisset, Sandrine Bonnaire, Valeria Cavalli, Rebecca De Mornay, Mimsy Farmer,
Annie Girardot, Marlène Jobert, Laure Marsac, Jacqueline Pagnol (cf. également
nos médaillons de Jenny Agutter, Edwige Fenech, Sondra Locke, Caroline Munro,
Gena Rowlands & Theresa Russell) ou Céline Tran (qui officie dans un
registre certes différent), alors vous apprécierez à sa juste (et sereine)
mesure Agnès Godey, dans Vesper et ailleurs, dans le soir artificiel
d’une salle obscure ou dans la clarté insomniaque de la « lumière bleue »
des ordinateurs...
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