Ida : Wanda


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Paweł Pawlikowski. 


Faisons (haut et) court, comme la corde pour pendre le « réalisateur » (une métaphore, pas de procès, car au vingtième siècle notre cœur battit brièvement, intensément, pour la Pologne, son cinéma, sa littérature, sa langue) : que ce pensum s’attira les grâces œcuméniques de la critique internationale (et d’un certain public restreint) laisse pantois mais ne surprend pas. Face à la gigantesque entreprise d’abrutissement hollywoodienne, risible et détestable pour d’autres raisons, l’auteurisme possède ses propres réseaux, récompenses, financements et festivals. Poseur du premier au dernier plan (ah, le format 4/3, oh, le noir et blanc nickel, oui, l’abus de surcadrages et de décadrages, anticipation involontaire du Mr. Robot aliéné de Sam Esmail, non, sur la bande-son, Celentano, Coltrane & Bach), si exsangue avec sa psychologie de premier cycle universitaire (la vivante se déguise avec la robe, les escarpins et les clopes de la morte – analyse-moi ça, camarade cinéphile), frisant le révisionnisme via son portrait minoré des crimes du stalinisme (finalement, tout compte fait, moins monstrueux que ceux du nazisme, surtout humanisés, sinon rédimés, par la défenestration suicidaire d’une nymphomane alcoolique, accessoirement juge impénétrable), Ida s’avère un film insipide (« l’actrice » héroïne affiche un charisme de crucifix en plastique fabriqué à Lourdes), inutile (Shoah, que je sache, disait déjà presque tout, en neuf heures, de la culpabilité polonaise par omission, indifférence, cupidité ou antisémitisme, mais on voit mal la France donner des leçons en ce domaine, ou un quelconque, d’ailleurs) et interminable (les soixante-dix-huit minutes parurent durer un siècle, un soir).



Davantage qu’à Dreyer, Bresson, Buñuel, Cavalier, Kieślowski (et puis quoi, encore ?), puisque que jamais une once de spiritualité (ni de monstruosité) n’affleure à la surface de cette bulle arty se la jouant voyage immobile au pays des morts-vivants, évocation vintage des sixties à l’Est et moralité à la finesse éléphantesque (Dieu est mort, les hommes massacrent, le passé ne passe pas et moult truismes du même tonneau, pas celui de Diogène), on peut penser à un succédané désenchanté du Thelma et Louise de Scott, lui-même terminé par un vol plané assorti d’une double suppression saphique (un salut douloureux à Intérieur d’un couvent, la triste plaisanterie débandante de Walerian Borowczyk). Alors qu’elle entend exhumer l’Histoire en déterrant les corps (illustration de la hauteur scolaire et matérialiste du « point de vue »), proposer une réflexion adulte et impressionniste sur la mémoire, le deuil, les fautes collectives des pères (un peu de la mère, ici rouge, forcément, par procuration et supérieure), l’impossibilité ou pas de lendemains solaires, sexuels, rassurants et désespérants (dans la normalité profane ou le retour au cloître), l’œuvrette s’enlise illico dans la posture paresseuse (tel un devoir de fin d’études cinématographiques délayé avec langueur, arrogance, bienséance) et le ressassement inexistant (la représentation compassée, discrète, spectaculaire ou immersive, du génocide des Juifs, sous-genre à part entière, doloriste et confortable, économiquement rentable et moralement inattaquable, du film martial dédié à la Seconde Guerre mondiale).



Six millions (pour la comptabilité exacte, cf. les calculs démentiels du SS somatisant des Bienveillantes) d’atrocités pour en arriver là, à ça, cette petite chose à vite oublier – quelle cruelle ironie, en effet ; la suite du programme nocturne, Haewon et les hommes, ersatz anémié, fantasmé, de Rohmer à la mode sud-coréenne, avec son titre français à la Renoir (Ingrid Bergman égarée dans un gang bang coloré), avec sa guest star nommée Jane Birkin (au secours !), commis par le quinquagénaire Hong Sang-soo (fan avoué du Journal d’un curé de campagne, décidément, tout nous ramène au « cinématographe » de Robert B.), finit de nous achever, selon une triste soirée télévisée revendiquée de « septième art ». Oui, plutôt que de s’infliger ceci  à nouveau, à la suite du troupeau des esthètes, des amnésiques, des bien-pensants, des nostalgiques effrayés avec délice (à quand un film sur la Varsovie d’aujourd’hui, où l’on remet en cause l’avortement, ou sur l’infini « conflit israélo-palestinien », sillon récurrent cependant moins maniable et plus enclin à l’expression des partisans ?), incitons donc les francs-tireurs dotés d’un cœur à (re)découvrir le portrait de femme (double clin d’œil du sous-titre) renommé signé Barbara Loden (matrice méconnue du vibrant Une femme sous influence, possible titre alternatif de la purge supra) ou alors l’envoûtant et inachevé La Passagère (Andrzej Munk, 1963), présage mystérieux, bergmanien, de Portier de nuit et inspiration apocryphe, en filigrane, de cet anodin Ida.    
       

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