Jack le chasseur de géants : Honneur à la Warner
Ma Warner à moi, voilà…
Jusqu’à la première moitié du siècle
dernier, croyez-le ou non, les films n’appartenaient pas au réalisateur. De nos
jours, le plus transparent des exécutants se voit honoré des mentions « A
film by » et « Directed by ». Voici le résultat (appréciable,
discutable) de cinquante-cinq ans d’émancipation artistique, d’évolution
technologique, de conflit juridique et d’auteurisme critique. Tout le monde, du
cinéphile universitaire au bouffeur de pop-corn,
du journaliste de JT à l’employé d’assurance (sur la mort) spécialisé,
s’accorde à reconnaître au cinéaste la paternité-propriété intellectuelle de
son œuvre, les textes de loi, selon chaque nation, l’associant principalement
au producteur, au scénariste, au compositeur. L’argent des recettes, quant à
lui, se répartit en tripartie, la production, la distribution et l’exploitation
recevant chacune un tiers inégal. On peut certes nuancer l’identité ou la
responsabilité des ayants-droit, s’interroger sur le rôle du piratage et du streaming à l’heure de la mondialisation
numérique des imageries (et donc des imaginaires), mais l’essentiel du système
demeure, et fonctionne, même déficitaire (notamment par rapport à l’industrie
du jeu vidéo et au déclin, déjà, de la TV payante). Ces problématiques
politico-économiques se retrouvent d’ailleurs au cœur du récent rachat –
lecture d’un article en ligne de Stéphane Lauer paru dans Le Monde daté d’hier,
conseil d’administration dédoublé tenu ce samedi – de Time Warner par AT&T
pour un montant estimé à quatre-vingt-six milliards de dollars (valorisation du
conglomérat, à laquelle rajouter une vingtaine de milliards de dettes, ce qui
nous fait un total que notre esprit ne parvient pas à se représenter – le vôtre
oui ?).
Rien de ténébreux dans la
transaction : il s’agit pour l’opérateur de téléphonie américain (premier
sur le marché, dans le viseur de l’ONU pour cause d’espionnage supposé au
profit de la NSA) d’acquérir des « contenus », d’alimenter ses tuyaux
avec du matériau, de faire du business
avec une marque aux reconnus titres (de films) de noblesse. Tout ceci se situe
à quelques jours de l’élection présidentielle, et l’inénarrable Donald (Trump,
pas Duck, l’une des mascottes de la Warner Bros.) risque vite d’y mettre son veto (l’insipide Hillary, en cas de
victoire, se contenterait de « faire jouer la concurrence ») par
souci « démocratique » (méfiance envers les monopoles au pays capitaliste
de l’anti-trust), sans compter (sans
jeu de mots) sur l’examen du « mariage »
(de raison ou de déraison) par la Federal Communications Commission, autorité
de régulation locale « coupable » par le passé (en 2011) d’avoir
annulé les noces de l’intéressé avec la filiale américaine de Deutsche Telekom,
par identique interdiction de surplomb. Après divers rapprochements (avec la
presse écrite ou CNN) et le « traumatisme » de son association avec
AOL (« bannissement » du nom dans le sillage du soufflé retombé fissa
des gains spéculatifs d’Internet), TW semble prospecter à l’Est, précisément en
Asie, comme le confirme un joint-venture
à l’origine de Warner China Films HG (cf. notre chronique). Le contexte
financier, rapidement « brossé », de surcroît par un littéraire (ce
que la cinéphilie ne vous fait pas faire…), nous éloignerait du cinéma ?
Certainement pas, surtout en souvenir de la coda laconique d’un Malraux. Art et
industrie, les amis, et la Warner en cas exemplaire, sinon d’école.
On se gardera ici de retracer
l’histoire des frères Warner (Neal Gabler, mis à contribution sur ce blog, s’en charge très bien) ou du
studio (la tartine étiquetée « de qualité » d’une célèbre
encyclopédie collaborative on line, à déguster en VF ou VO, s’en
acquitte d’une manière tout sauf déshonorante, bien plus stimulante, en tout
cas, que le site officiel de l’entreprise, simple et désolant outil commercial
amnésique), de sacrifier à une quelconque nostalgie (maladie d’idéalistes et de
nécrophiles), de glorifier le divertissement « social » (longtemps un
argument avéré/intéressé de la firme au bouclier et aux huit mille employés) à
l’américaine (Hollywood, en 2016, nous enthousiasme et nous inspire autant
qu’une large part de la filmographie hexagonale, meilleurs ennemis et Janus
poseur alors que mille choses vraiment de valeur se passent ailleurs,
particulièrement, pas uniquement, en Corée du Sud). Servons-nous plutôt de
l’actualité en tremplin vers la mémoire (individuelle) et la nature
(collective). La Warner, pour nous, au risque de donner dans le name dropping,
dans l’énumération connotée, ne se résume pas (les comprend pourtant) à des
chiffres en USD, à des archives à l’USC, à des filiales dans la musique ou à la
TV, à des formats caducs ou préférés (BR contre DVD), à des statuettes, des
palmes, des « compressions dirigées » et même un lion vénitien, à des
logotypes évolutifs, à des arrière-cuisines (et boutiques, of course) à visiter, à
des production deals (avec la Malpaso d’Eastwood, par exemple), à des acquisitions
de catalogues (la Monogram chère à Godard, la Lorimar de Dead Zone, les cartoons de Hanna-Barbera), à des franchises à succès (pléonasme) en
cortège de chercheuses d’or, Harry pourri, surhomme venu de Krypton, Max
cinglé, académie de police, griffes nocturnes, arme létale, matrice et sorcier,
chauve-souris et hobbit, super-héros
et monstre nippon.
De la quarantaine d’items patrimoniaux proposés par la
Librairie du Congrès (un classement comme un autre, à vrai dire, assez
représentatif, in fine, bien qu’un peu passéiste et par
définition guère exhaustif), on décidera de n’en retenir qu’une douzaine en
carburant d’une nouvelle collection à visualiser, débarrassée de la moindre
logorrhée. Parmi les décennies glorieuses ou problématiques, on pointera la
vraie-fausse légende du son salvateur (polémique historienne sur la banqueroute
rédimée par le Vitaphone), les procès d’actrices (Miss Davis ou Olivia de
Havilland) et d’acteurs (James Garner sur la petite lucarne), le patriotisme
martial des années de guerre (mais Chaplin produisit Le Dictateur en solo,
avec l’appui de ses United Artists). Grâce à des talents nommés Robert Aldrich,
Busby Berkeley, John Boorman, Tim Burton, Michael Cimino, Jaume Collet Serra, Michael
Curtiz, Brian De Palma, Terence Fisher, John Ford, Alfred Hitchcock, Elia Kazan,
Stanley Kubrick, Robert Mulligan, George Pan Cosmatos, Sam Peckinpah, Nicholas
Ray, Martin Scorsese, Oliver Stone, Raoul Walsh (accessits pour William Petersen, Joel Schumacher, Steven Soderbergh,
notre indulgence informative incluant les Wachowski et même James Wan) ; à
des « icônes » baptisées Lauren Bacall, Joan Crawford, Bette Davis, Doris
Day, Barbara Stanwyck, Humphrey Bogart, James Cagney, Errol Flynn, Bruce Lee, Paul
Muni, Edward G. Robinson, John (Bruce) Wayne ; à des producteurs de l’envergure
d’un William Randolph Hearst (adoré d’Orson Welles), Hal B. Wallis, Darryl F. Zanuck ou les frères Elliot & Kenneth Hyman (la Seven Arts) ; à des co-productions
avec les indépendants Barbra Streisand, Paul Newman, Robert Redford, un partenariat
avec Disney (Buena Vista International), le recours à la 3D ou au Scope pour contrer
l’emprise domestique et « gratuite » de la TV, la Warner fit (continue
à faire) honneur à son slogan, « Divertir
le monde », de Krasnosielc (Pologne) à Burbank (Californie), de Londres à
Pékin.
Certains lui reprocheront à raison de
participer allègrement à l’abrutissement nationaliste et infantile des guignols
en collants, de suivre (de créer) des modes (l’horreur light et inoffensive) mercantiles et lucratives, de s’éparpiller en
empire tentaculaire en proie aux actionnaires de Wall Street. Peu importe, au
final, car son bel héritage demeure vivace et se poursuit aujourd’hui. Warner
Bros., par-delà les contingences des accords, des rencontres, des projets, du corpus disponible (plus de trois mille métrages
produits, un peu moins de cinq mille distribués), qu’une vie d’ermite ne
suffirait pas à épuiser, élabore depuis 1923 une philosophie pratique de la
famille, du cinéma, de la société, du commerce et symbolise une forme de
réussite véridique propre à ravir (à démontrer) la mythologie étasunienne,
dotée en sus d’une appréciable saveur méta (Jack Warner et ses frangins
débutèrent en élémentaires projectionnistes itinérants). Chacun des artistes
cités supra contribue à son
caractère, aide à constituer une couleur particulière, renouvelle en partie l’idiosyncrasie.
Survivante d’une époque foncièrement révolue, la vieille dame bientôt
centenaire séduit encore par sa vigueur et ses jeunes « auteurs » (Ben
Affleck ou Jeff Nichols, disons). Souhaitons-lui de poursuivre sa voie souvent
inspirante, y compris avec l’ombre (douteuse) des télécoms, et n’oublions pas une seconde
(vingt-quatre images par seconde) que le cinéma se construit aussi via des empires fragiles et les rêves (leur
usine) d’un ailleurs espéré meilleur, quitte, ensuite, à donner le jour (et la
nuit des salles dites obscures) à d’innombrables utopies enracinées dans le regard,
la réflexion et le cœur du spectateur cosmopolite.
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