Three : Affliction
Fais-moi mal Johnny chantait Magali Noël sans Fellini
mais pour Boris (Vian, évidemment) ; et Mister To nous afflige, en effet,
illustrant la sagesse supposée populaire toujours rétive à se faire
hospitaliser, au risque d’en sortir dans un état encore pire…
Il faut s’infliger jusqu’à la lie
cette purge anémiée, désincarnée, éclairée au néon de bloc aseptisé, pour bien
se rendre compte, cruellement diagnostiquer, l’état de mort cérébrale d’une
large part du cinéma de HK. Le film, significativement, se situe dans un
hôpital, au service des urgences, et rassemble une chirurgienne, un flic et un
voyou. Les comédiens (talentueux Zhao Wei, Louis Koo & Wallace Chung),
contaminés par l’inanité de leurs « personnages », se bornent à
figurer en silhouettes ennuyées la culpabilité, l’inflexibilité, l’insolence.
Elle bouclera la boucle traumatique avec une opération réussie, il
démissionnera nanti d’un bras cassé, il deviendra légume au lieu de citer, en
petit enfoiré cultivé, les fondements de la déontologie médicale, Bertrand
Russell et le Lévitique. Huis clos dès le premier plan – surcadrage sur la
fenêtre de la salle de travail –, ce placebo
indigne de Johnnie To se voudrait, qui sait, avec son respect des trois unités,
une relecture de la structure de la tragédie classique, en mode polar et
simulacre de temps réel. Hélas, il s’avère en effet tragique, pour d’autres et
très exécrables raisons. La réalisation du producteur se borne à de courts travellings circulaires/latéraux incessants,
à des placements d’acteurs dans le champ du Scope comme pouvait les pratiquer,
cinquante ans en arrière, un Antonioni (« incommunicabilité » de
fantoches minables). On s’y livre à de la chirurgie cérébrale (un gros plan de
la doctoresse depuis l’intérieur du crâne ferait assurément bander Dario
Argento) mais il conviendrait plutôt d’opérer le cinéaste, de le ranimer fissa,
de lui faire reprendre ses esprits et sa cinéphilie (il se permet même un clin
d’œil au Cuirassé Potemkine, le landau
remplacé par un fauteuil roulant, assorti d’une guérison de paralytique
à la Folamour, au secours !).
Le spectateur résistant, à défaut
d’être indulgent, découvre alors sidéré le climax
de l’œuvre, une fusillade au ralenti, en apesanteur (les cadavres y voltigent),
élargie sur six interminables minutes et enrobée du sirop sentimental d’une
chansonnette susurrée par une nymphette sans doute diabétique (en réalité, la soprano
de cantopop Ivana Wong, née en 1979),
entrecoupé par quelques mesures, petites et nocturnes, de Mozart (jadis annexé
par Morricone pour Leone et sa révolution entre hommes). L’ami Johnnie jette le
masque et dévoile son vrai projet : répondre au lyrisme dantesque du passeport
hollywoodien de John Woo, l’iconique et pareillement hospitalier À
toute épreuve. Serment d’Hippocrate déchiré par le numérique (l’abus de
CGI nuit gravement à la santé oculaire et mentale), on assiste ébahi à un
déferlement de mouvements (tourné live,
affirme la critique conquise de Variety, précisant que le tout
nécessita trois mois de répétition ; Maggie Lee nous apprend aussi que le
titre chinois, qu’elle traduit en Three People Walking, vient de
Confucius, cela nous évoquant le Peckinpah des Chiens de
paille inspiré par une expression de Lao Tseu, par ailleurs possible
contemporain du penseur) englués dans la gangue du jeu vidéo, à un massacre light dont la virtuosité s’apparente à
celle d’un étudiant en cinéma (« race » redoutable, en vérité) découvrant
l’extase méta du plan-séquence (non, je ne parlerai pas, pour une fois, de
l’obsessionnel et obsédant De Palma, ni de l’ouverture mémorable de Breaking
News). Mon Dieu, un unique souhait, peu généreux et cependant juste
dans sa rage refroidie, nous vient du fond du cœur, des yeux et de la mémoire
face à un tel déballage d’inepties (bombes planquées dans des poubelles,
antagonistes suspendus dans le vide à un drap et à un… tuyau d’incendie) :
qu’ils crèvent tous (dirait le hors-la-loi sauvage et suicidaire de Peckinpah, bis), qu’ils aillent tous se faire
foutre dans leur néant d’enfants (To atteint la soixantaine, quand même).
Three, à sa manière virtuelle, exsangue,
risible et impardonnable, constitue, et croyez bien que cela m’arrache la
gueule et le clavier d’avoir à le formuler, un faire-part de décès d’un
réalisateur « mineur » parfois inspiré, surtout d’une industrie
réduite à l’ombre d’elle-même, ersatz de la grâce, de la folie, de
l’inventivité d’hier. Laissons le passéisme à ceux qui en font le commerce ou
aiment à y macérer ; limitons-nous à déplorer ce calvaire ressassé,
incompréhensible, futile et mesquin dans son dessein (faire du fric, what else,
objectif mercantile moyennement atteint) autant que dans son dessin (de l’être
humain, condamné, évanoui, fantôme de beauté, de blessure, de chair et de
maladie). « Grand film (formaliste) malade » s’interrogent avec
espoir les (rares) fans récalcitrants
? Détrompons-les, tant pis, rappelons-leur l’intrigant et décevant Mad
Detective (co-dirigé avec Wai Ka-fai), malgré un excellent Lau
Ching-wan, ou l’inquiétant et symptomatique Vengeance, naguère porté
par le cacochyme Johnny Hallyday flanqué de l’insupportable Sylvie Testud,
exercice de style à la Melville (« Francis Costello », sérieusement ?)
duquel on décrocha au bout de moins d’un quart d’heure, la vie (a fortiori la mienne) foutrement trop
courte pour subir de mauvais métrages (punition masochiste d’hier soir, donc).
Ils ne trouveront ici, aujourd’hui, qu’une affreuse tumeur superfétatoire, à
vite extraire de sa rétine et du corpus
d’un auteur pour l’heure cantonné au pavillon terrible des soins palliatifs,
autrefois l’un des acteurs majeurs d’une cinématographie à laquelle nous devons
tant, hors la complaisance et la demi-mesure. Allez, on oublie vite ce faux pas
en (à) blanc et l’on se dépêche, avant de « passer l’arme (du braqueur) à
gauche », de se rendre à son renommé, probablement mieux portant, Election.
Merci cher ami cinéphile JEAN-PASCAL. Cela tombe bien que tu ai pu le voir et voir ainsi l'agonie de notre chère cinéma H.K, avant de lire cette article qui est très juste,je t'en parlais aujourd'hui même et je me demandais si tu serais d'accord avec moi, malheureusement oui et c'est terrible de voir que le cinéma H.K finisse ainsi, j'ai du mal à le croire et secrètement je rêve d'un renouveau pour ce cinéma que j'ai tant aimé par les films de JOHN WOO ou RINGO LAM, mais comme ont dis c'était mieux avant, la Corée a repris le flambeau c'est sur ainsi que le japon que tu m'a fais découvrir sur un nouvel angle, sinon j'aurais raté des films comme HIMIZU ou TELS PERE,TELS FILS, des films fort et poignant. j'ai vue aussi LA FORTERESSE CACHEE d'AKIRA KUROSAWA (1953) qui est absolument un très grand film (un petit chez d'oeuvre dans son genre) et j'espère que les films Coréens ne connaîtront pas le même sort que les films H.K.Je ne pense pas pour plusieurs raison,je ne citerais que la première, ils sont plusieurs à être pétrie de talent.Puis par leur histoires des dynasties qu'ils vont déployer dans les années à venir.A bientôt cinéphile du monde cinématographique.j'ai trouvé un nouveau site,(une pépite)de films asiatique.
RépondreSupprimerAvec plaisir, cher Jamel !
SupprimerUne page se tourne et une autre s'écrira sans doute, espérons seulement la découvrir assez vite (de notre vivant, de préférence !).
Oui, le cinéma japonais comporte de nombreux trésors d'hier et encore d'aujourd'hui, même si l'absence très remarquée de Takeshi Kitano commence à peser.
Grand classique, en effet, que ce titre d'AK, qui inspira, tu le sais sans doute, un certain George Lucas pour sa propre saga (stellaire)...
La Corée (la belle flamme vive de ses films) ne semble guère sur le point de s'éteindre, heureusement, et, en matière de dynasties épiques, John Woo éblouit avec ses Trois Royaumes.
Du talent, il en faut toujours, sur l'écran et ailleurs.
On se dit donc à bientôt pour de nouvelles aventures au pays cosmopolite et universel du "septième art" !...