La Nuit des maléfices : La Griffe du passé


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Piers Haggard.


« Do you like what you see ? » interroge, de manière purement rhétorique, l’impure et démoniaque Angel (William) Blake, fausse blonde peu gironde (« actrice » exécrable que Linda Hayden), à la nuit tombée (comme sa chemise de nuit immaculée), au vicaire guère émoustillé (plutôt calomnié, suspecté, libéré) par sa nudité (en bon « pervers pépère » zoophile, il préfère traquer les couleuvres ou nourrir son lapin mutique et dépourvu de la montre d’Alice). Well, not really, my dear, sorry, pourrait lui répondre le cinéphile insomniaque ou en week-end, découvrant cette exhumation (en écho à celle du prologue) tout sauf nécessaire et palpitante d’un titre « culte » (satanique, ta mère) à l’insuccès (assez) mérité. Oh, que l’on se rassure, La Nuit des maléfices (évocatrice transposition hexagonale du littéral et racoleur The Blood on Satan’s Claw) ennuie modérément mais ne démérite pas (trop), notamment grâce à la partition ironique et lyrique de Marc Wilkinson, exégète de Varèse et Boulez, à la photographie lugubre (pas une seule foutue note de couleur) de Dick Bush, bientôt à l’œuvre sur Les Sévices de Dracula (jumelles vampiriques) ou Tommy, Le Convoi de la peur, Victor Victoria, et à l’humour (endogène) ponctuel du scénario (eau-de-vie dégustée par le docteur, « sick woman » à double sens pour la vielle dame disparue). Hélas, la coupe de cheveux outrageusement seventies de Barry Andrews (vu dans Dracula et les femmes), sorte de clone allégé (insipide, maugréent les « mauvaises langues » des deux côtés de la Manche) de Roger Daltrey, nous éjecte du métrage à peine entamé comme un ersatz du Septième Sceau (plan d’ouverture : diagonale d’une colline et silhouettes à contre-jour, reprise inversée, miroitée, de l’inoubliable coda du Bergman médiéval) ou un documentaire (visez-moi le soc de la charrue en gros plan, la caméra à ras du sol) sur la ruralité commis par la BBC (où travailla Haggard).



Peu importe l’exactitude ou la vraisemblance des costumes : nous voici bel et bien au début des années 70 et certainement pas dans le dix-huitième siècle campagnard d’Angleterre. Ouvertement conçu pour thésauriser sur les recettes (et le scandale) de l’éprouvant Le Grand Inquisiteur du vraiment regretté (et talentueux) Michael Reeves, La Nuit des maléfices (une production Tygon, bis) ne peut (ni ne cherche, reconnaissons-le) rivaliser avec son prestigieux prédécesseur, encore moins se placer en parallèle du jovial Tom Jones ou du satirique (et mélodramatique) Barry Lyndon ; quant à rimer (concurrencer) avec les rejetons de la Hammer, passez aussi votre chemin, dans le fond et la forme. Film de classes (la bourgeoisie et la paysannerie de province), de rôles sociaux (le métayer, le juge, le vicaire, le maire, le médecin), film sur le puritanisme lui-même puritain (là-bas, depuis Victoria, on confond une orgie et un sabbat, la queue du Malin et celle des étalons humains, l’éveil des sens avec la révolte des consciences), La Nuit des maléfices exhibe sa nationalité avec une plaisante naïveté, à la limite de la caricature et du pilotage automatique (personne n’y croit, surtout pas le cast ou la crew, mais chacun fait correctement son boulot, il faut bien gagner sa vie avec ce métier impie, ma bonne dame). Les cinéphiles se gargarisant de grille de lecture psychanalytique s’égayeront de la fameuse « peau du Diable » (titre premier viré par l’épicier d’AIP Sam Arkoff), amas de poil humide et sombre ressemblant, « à s’y méprendre », à s’y laisser prendre (au « jeu du docteur » ou à celui du bûcher), à une toison pubienne (mention spéciale à la jouvencelle en plein onanisme sans les mains, quoique, durant le viol de la pauvre Cathy, victime sacrificielle à coup de lame griffue, elle-même porteuse de la malédiction velue).



Comme chez Friedkin un peu plus tard, l’Adversaire (le lodger, s’amuserait Hitchcock) réside au dernier étage, au grenier, donc, et surgit aux alentours de minuit d’une trappe que notre jeune premier recouvrira inutilement, en fin de bobine (de supplice, supputent certains), avec une malle (pas celle des Indes, même britanniques). Pour réellement advenir ici-bas (on se croyait déjà en enfer, avec Strindberg, par exemple, passons), il ne lui faut pas seulement corrompre la jeunesse locale (les gamins ne demandent que ça, « en vérité je vous le dis », et les vieillards également, la messe noire gérontophile au parfum de soufre, de sperme, de sang le confirme), foutre le bazar (celui de Stephen King) au sein de la bourgade et des esprits, il doit encore s’incarner, assembler des membres épars en avatar de la Créature du baron Frankenstein, d’où la main coupée du promis, autre symbole phallique du meilleur effet, son possesseur se voyant interdit de dormir sous le même toit que sa fiancée déclassée, of course, la fille de Peter Ustinov entrevue en victime initiale du mauvais ange fornicateur ; notez qu’elle finit fissa à Bedlam, asile bien connu (cf. Le Fou et le professeur, excellent roman sis en partie dans un similaire HP, mêlant folie et lexicologie). Ah, le destin du Démon ne constitue assurément pas un « long fleuve tranquille », quand bien même on y jetterait de supposées sorcières suppôts (succubes) de Satan afin de voir si elles flottent, ou coulent, coupables dans tous les cas d’être des femmes et de désirer le « fruit défendu » entre les jambes viriles des agriculteurs, avant de mettre au monde, évidemment, celui de leurs entrailles estampillées sacrées. Gentiment misogyne, La Nuit des maléfices s’avère de surcroît un opus réactionnaire, à tout le moins conservateur.



Le fameux juge (Patrick Wymark, au générique du Reeves, à la place de Cushing & Lee, pour raisons familiales ou exigences salariales, décédé peu après), revenu de la grande ville où il prit le temps de lire un épais volume (en français, s’il vous plaît) de démonologie (ce dictionnaire de la sorcellerie, outre les fautes d’orthographe, arbore des dessins de CM1 censés représenter le séraphin damné), amène avec lui des renforts, un colosse muet agent cynophile, une fourche (pas les caudines) sous peu plantée sous les seins de la pécheresse en chef et une épée à la Conan maniée au ralenti, en mode épique, durant la conclusion salvatrice – le « pauvre diable » aux milieux des crétins au crépuscule se voit ainsi harponné au bout de l’acier puis catapulté vif dans le feu purificateur, tandis que les contaminés (dont le frisé amouraché) constatent illico la guérison magique, divine, de leurs maux. Le Diable peut aller se recoucher dans sa tanière, le couvent (ou le village) respire, l’ordre social se maintient (atmosphère de jacquerie à vite mater), « chacun chez soi et Dieu pour tous » (« Cela dépasse la sorcellerie » explicite à raison le magistrat, le mystique en simple déguisement du politique). Récapitulons : citoyen d’Albion, toujours tu te garderas des mésalliances, des coucheries, des blasphèmes ; toujours tu respecteras ton dieu, ton roi, ton édile, ta mère et ton rang dans la société. Ne pense pas à partouzer, à douter (de l’éternité bienfaitrice de « l’ordre des choses » iniques), à t’éclairer en ce siècle des Lumières (mieux vaut entretenir la superstition, ou la circonscrire à main armée, que de semer le ferment de la révolte raisonnée). Dans Anatomie de l’horreur, King, encore lui, souligne cette dimension contre-révolutionnaire propre au « genre » horrifique, avec retour final à la situation de départ (tabou défoncé, sinon sodomisé, par un Clive Barker).


La Nuit des maléfices, œuvrette longuette aux petits moyens, aux petites ambitions, cristallise cette morale du statu quo, à des kilomètres de la fureur esthétique et pulsionnelle à l’œuvre chez Terence Fisher, observateur adulte et peintre inspiré de la psyché nationale, de son écartèlement entre le dogme sociétal et le Swinging London émancipateur, manichéisme figuratif et daté via lequel s’affrontent itou les générations (sous-texte présent ici aussi). Certes, tout ceci « ne prête pas à conséquence », relève du divertissement inoffensif, Haggard, Dieu (ou Diable) merci, ne rédige pas un traité électoral et moins encore un ouvrage de sociologie historique. Convenons par ailleurs d’éviter les gloses un chouïa excessivement politisées, avec l’exemple de Michael Winner (British again, dans la countryside avec son Corrupteur) en « cas d’école », les contempteurs bien-pensants de la série des Justicier dans la ville pas même fichus de percevoir sa nature mélancolique, voire auto-parodique. Il n’empêche (n’en déplaise aux fans, aux ingénus, aux « spécialistes »), que la res publica sait se loger où l’on ne l’attend pas, dans la « culture populaire » d’une ère définitivement révolue, empalée sur la parité, la laïcité, l’égalitarisme consumériste. À l’ombre du terrorisme « religieux » moralisateur, du cosmopolitisme établi (Jane Wymark, la fille de Peter, joue l’épouse de l’Inspecteur Barnaby, étalon télévisuel d’une utopie paysagiste « plus blanche que blanche »), les sujets de Sa Majesté ne chassent plus les possédées mais continuent à « tirer le diable par la queue » (pas la même), à faire des films (Truffaut et son fameux mot négationniste) « sociaux », au sein de structures financières non plus artisanales mais européennes (et avec le soutien du Loto local), à dépeindre la campagne en terrain anxiogène (cf. le bétail mutant de Isolation) – mutatis mutandis et miserere nobis, avec ou sans (maléfice) malice.       
          

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