Artères souterraines : Underworld USA
L’Amérique interdite ? Ah, si seulement…
On esquissa quelques sourires à ce court
roman, vite lu, vite oublié, acquis neuf pour soixante-quinze centimes –
Baudelaire faisait ses comptes en marge de ses poèmes, je ne me prends pas pour
lui (quoique) mais j’agis (quasiment) de même. Sorte de Mort aux trousses de
poche ou presque mâtiné de Benjamin Gates, l’intrigue à la
structure scolaire (pour le vrai picaresque, dans le fond et la forme, on
reverra bien sûr vers Jacques le fataliste et son maître de
Diderot, voire son ancêtre selon Sterne, Vie et opinions de Tristram Shandy,
gentilhomme) constitue un montage paresseux d’épisodes censés nous
balader à travers l’enfer finalement mainstream
des perversités de l’Amérique contemporaine, celle d’après le 11-Septembre et
la municipalité de Rudy Giuliani (traumatisme collectif et « tolérance
zéro », résumons ainsi). Hélas, Ellis (Warren, pas Island) n’arrive pas au
petit orteil de Dante, tandis que la thésarde tatouée flanquant le privé
déprimé (ou déprimant, cf. l’humeur du lecteur) ne ressemble en rien à Béatrice
et encore moins à Virgile. Certes, tout ceci – la quête d’une seconde
Constitution reliée en peau d’extra-terrestre, au pouvoir hypnotique, bazardée
par Nixon pour une pipe asiatique, au profit du chef de cabinet du POTUS
(supputez le sens du sigle) – vise avant tout au divertissement flagrant, au
catalogue binaire, au périple drolatique de New York à Los Angeles, en passant
par Columbus, San Antonio et Las Vegas (vérifiez les États, va), décalque
littéraire, imaginaire, du parcours réel de l’auteur britannique lors de sa
« tournée américaine » effectuée en 2000.
Le long des stations ou des étages vers le « sommet de ce gratte-ciel éclaboussé de merde qu’on appelle la
culture underground américaine », apparaissent donc un historien de la
sodomie, des adeptes de Godzilla version bukkake (ils
poussent le vice jusqu’à requérir sur la bande-son l’orgasmique I
Feel Love de la religieuse Donna Summer !), des pratiquants très gay de l’injection saline dans les
testicules et le sexe féminin, une redoutable famille sudiste, les
Roanoke (épris de sacrifice bovin et de coke en montagne à la Tony Montana), introduite par un ami (le
tragique Bob Ajax, originaire de Chicago) au bout du rouleau et de l’assiette
carnivore, un tueur en série en avion affable et lucide, des travestis mortellement
portés sur la silicone industrielle (cela s’appelle « fête du
pompage »), un grand détective consultant nommé Falconer (il mentionne
« une statuette aux allures aviaires, fabriquée à Malte », Hammett se
marre) ou, last but not least, un méga
geek blindé de fric se piquant de
porno en ligne et de démocratie participative (il parle de « journalisme
citoyen »), l’argent du sperme au service de la diffusion non censurée (Redacted,
dirait De Palma) de vidéos des troupes US en Irak, par exemple. Tout finira
bien, le fameux ouvrage in fine répandu sur la Toile (donc rendu
inoffensif), les méchants men in black
(redressement des mœurs nationales en mode maréchal hexagonal) aux mains des
uniformes bleus du LAPD, durant une partouze de notables locaux avec des ados (Claude Chabrol
meets Larry Clark) et notre couple
gentiment adultère (Trix cultive sa sexualité dite libérée, Mike le malchanceux
se montre conciliant car amoureux) enrichi par le salut du pays, des
consciences et de la morale orientée vers la tolérance (tout sauf la
pédophilie, so, ultime tabou de nos
sociétés hystériques et hypocrites).
L’avatar alerte du Necronomicon semble
se conclure par le truisme suivant : « les gens sont les mêmes
partout. (…) Tous pareils. Un mélange de connards et de héros, de gentils et de
gros nazes. » Oui-da, on savait déjà tout cela, et que les déviances
d’hier devenaient, par usage, inertie, envie de célébrité ou de nouveauté, les
habitudes d’aujourd’hui, sinon la norme de l’anormalité. Enfant de 1968 et scénariste
pour la Marvel dans les années 90 (sur les lisses Quatre Fantastiques et Iron
Man), Warren Ellis, romancier débutant parfois amusant, souvent vide et
finalement bien-pensant, nous évoque un alter
ego a contrario de Frank Miller, aux origines et à la carrière un peu similaires, homme de droite discutable et
dessinateur-scénariste au talent éblouissant (Daredevil, Elektra,
Ronin,
The
Dark Knight, Martha Washington, Sin
City et compagnie, sans oublier RoboCop au ciné). Personne, en
vérité, ne demandait à Warren d’égaler l’humour noir (ne parlons pas de la
beauté gracile du style) d’un Nabokov (celui de Lolita, histoire de
rester dans le contexte exogène, satirique et sentimental) ni l’exploration
obsessionnelle des coulisses peu reluisantes de l’Americana, à l’instar du balzacien James Ellroy (polars psychotiques
puis historiques, animés par un souffle foutrement dantesque). On espérait
simplement, à la lecture de la quatrième de couverture (Prévert
affirmait : « Menteur comme un générique de film ») ou de l’incipit (savoureux paragraphe décrivant
une guerre de territoire avec un rongeur rebelle, écho involontaire ou non au
sympathique D’origine inconnue signé naguère par le regretté
George Pan Cosmatos), davantage de folie et d’hilarité, de démesure et de
profondeur. En l’état, Artères souterraines, voyage à travers
une « petite artère tortueuse (…) jusqu’au cœur de l’Amérique »
(Crooked
Little Vein formule le titre original) demeure bien superficiel et
s’arrête à la surface des choses et des êtres, étasuniens ou non. Osons par
conséquent le classer, de manière littérale, en « littérature de gare »,
le genre d’ouvrage à parcourir en train ou en aéroplane, pour agréablement et
régressivement passer le temps, un plug
anal à l’effigie du Christ inséré dans son fondement – ou là où il vous plaira,
pastichera-t-on l’immortel Bill Shakespeare...
Commentaires
Enregistrer un commentaire