Advantageous : Dans ma peau


Un conte de Noël dépressif entre femmes, shooté à la Red, sur la bonté en gage d’humanité, sur la maternité en expérience du sens de l’existence ? Ce résumé raccourci effraie, certes, pourtant l’exercice s’avère profitable, dirait Fritz Lang, en tout cas (jusqu’à un certain point) prometteur…   


Disons qu’il s’agit d’une dystopie au féminin, conçue, réalisée, jouée avec soin, hélas desservie par un rythme cacochyme et un scénario ressassé. Dans un futur aseptisé, sinon stérilisé (commerce d’ovules), un conglomérat capitaliste (pléonasme) spécialisé dans les biotechnologies propose (à sa demande orientée, chômeuse volontaire puis cobaye idéal) un pacte forcément faustien à sa meilleure VRP aux allures de mannequin (elle épate même d’autres gamines au passage clouté, dans sa robe orangée ajustée, ses escarpins taquins). Jusqu’où peut aller l’amour maternel, à quel degré de sacrifice conduit-il, comment financer des études privées, accessoirement établir/maintenir un rang social ? Vous le saurez au terme (à la soixantième minute, précisément) de ce long métrage (encore une fois étiré à partir d’un court remarqué, épisode réussi d’une série de prospective) indépendant, primé, supporté par Sundance, diffusé sur Netflix et semblant chapeauté par l’ensemble de la communauté asiatico-américaine de New York, San Francisco et L.A. Jennifer Phang, polyvalente (elle assure aussi le montage) et lauréate de l’AFI, n’énonce rien d’original ni de passionnant, mais son second opus (après le choral et eschatologique Half-Life) possède une élégance et une maîtrise indéniables (effets spéciaux convaincants dans leur rareté, tel ce building aux formes graciles de buste sexué). On y croise, au hasard, le souvenir liminaire du 11-Septembre, devenu lieu commun mémoriel et mélancolique de la SF étasunienne dans le sillage du Spielberg de La Guerre des mondes, une petite miséreuse « basanée » dissimulée dans un feuillage urbain, de la prostitution enfantine masquée à l’ombre automnale d’un parc, un mari adultère à la rescousse financière (solidarité de cousines). On y entend du Chopin et un célèbre chant religieux populaire (au piano, en français) attribué par erreur pardonnable à Gabriel Fauré.



En matière de « naissance divine », la renaissance transplantée de Gwen évoque autant La Fiancée de Frankenstein que les NDE psychédéliques avec leur obscur tunnel de lumière. Par sa grisaille exsangue, son atmosphère ouatée, son questionnement identitaire sur une jetée chipée à Chris Marker ou Alex Proyas, Advantageous séduirait beaucoup, sans doute, Kiyoshi Kurosawa et ses admirateurs. Mèche lente, il finit par marquer son avantage (une réplique francophone explicite le titre et la problématique) sur la longueur, à l’ultime tiers, dans la dernière demi-heure, quand survient la remplaçante moins « typée » que la chère absente (la fontaine de jouvence doit désaltérer tout le monde, s’adresser à chacun, débarrassée des désavantages de l’âge, de la « race » et du corps imparfait). Sous la peinture compassée de l’eugénisme soft, sexiste, à peine troublé par le terrorisme ponctuel, habituel, de Terra Memoria (le prochain nom de EELV ?), la vie surgit presque, et avec elle le film s’anime brièvement, les cadres un peu tremblés en caméra portée soulignant le déséquilibre d’une conscience désaccordée, réifiée, copie d’un esprit et non esprit lui-même, greffé à l’intérieur d’une enveloppe charnelle d’emprunt (body donneur plutôt que snatcher, donc). L’édénique  sensualité (on ne baise pas, ici, on entend seulement les voisines esseulées sangloter) idyllique (au sens rural du terme) du final, avec sa famille recomposée en train de s’apprivoiser, retravaille fortuitement l’apaisante coda de l’outrageant Irréversible, autre histoire, bercée par Beethoven, de parturiente et de v(i)ol d’identité.



En bonne logique affective et symbolique, l’auteur dédie au générique de fin (celui de Capsule, doté d’un humour very British, rassurait à propos de l’innocuité du tournage sur l’astronaute) sa fable dédoublée sur le règne des apparences (et leur vérité cachée, florissante) à sa propre maman, tandis que la belle et talentueuse Jacqueline Kim (co-scénariste, co-productrice, co-compositrice), aperçue au siècle dernier via Xena, la guerrière, assortie d’une gamine homonyme prénommée Samantha, improbable duo génétique dans la « vraie vie », la soutiennent joliment, à défaut de l’incarner vraiment, bien accompagnées par Freya Adams en substitut amnésique et douloureux, Jennifer Ehle en collaboratrice inquisitrice et impitoyable, James Urbaniak en directeur protecteur et impuissant. Oui, avec une bonne cure de vitamines et un argument plus étoffé, Mademoiselle Phang (elle parle bien de sa progéniture cinématographique à cet endroit), misons donc sur ses capacités, ses possibilités, son pragmatisme, son féminisme jamais misandre, saura développer son juste regard, sa fine caractérisation, les nourrir de beaux éléments mélodramatiques (souvent un compliment sous mon clavier). Donnons-lui rendez-vous ailleurs que dans le giron consanguin et poseur du festival de Robert Redford (de ses successeurs), dans quelques années moins éloignées que celles de son film (il se déroule en 2041, un peu tard pour moi) à la saveur autobiographique, métaphorique, afin de voir si elle sut se réinventer en cinéaste de valeur (humaine ou non).      

        

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