Nus abstraits : Photographies : De chair et de lumière


Des femmes à la façon de flammes, des créatures d’azur et des guerrières arc-en-ciel : en photo ou en vidéo, on admire le travail d’un auteur presque forcément né, dirait Gainsbourg, en 1969…


Pour un coût dérisoire, au hasard d’un bazar, car la beauté sait se cacher entre camelote et trivialité, s’offrir comme une femme aimée à celui qui sait voir et célébrer, ce bel album baudelairien nous attira soudain. Oui, ici aussi, sur cent soixante et une pages, règnent l’ordre des formes, le luxe des lumières (fiat lux, en effet), le calme de modèles complices, parfois co-créateurs, la volupté de contempler des œuvres dédoublées, miroitées, classées en néologismes à la fois scientifiques et sensuels. Depuis Pythagore, personne n’ignore les noces entre le cosmique et l’arithmétique ; Dani Olivier, ancien de HEC, explore brillamment (contre un fond noir) et avec une élégance constante (beaucoup d’humour et d’amour) la géométrie du corps féminin tissée à celle du désir masculin. La nudité habillée de ses muses amusées, aux prénoms de filles de l’Est, constitue des paysages thématiques envoûtants, imaginatifs, mystérieux et limpides. Lecteurs et lectrices onanistes, épris de perversité sur papier glacé, passez votre chemin, main dans la main ou les deux occupées à des activités complémentaires : la génitalité ni la frontalité n’intéressent notre artiste, seulement la poésie des poses et des panoplies projetées, le jeu rythmique des lignes et des courbes, la redéfinition identitaire des anatomies en support d’architectures éphémères et immatérielles. Tandis que sous la chair se dissimulent au quotidien mille et une nuits de luttes intimes, chaque instant immortalisé à l’abri de ce recueil nous parle finalement de transcendance assumée, de traversée (des apparences), de vérité incorporée à ressentir avec le sourire, à portée de prisme du plaisir.


Nulle coïncidence si l’une des vestales au visage à peine entrevu porte sur elle la mosaïque primale d’un vitrail – au-delà du corps et grâce à lui se donne à parcourir, à effleurer, une énigme gentiment surréaliste, telle une parure-armure invitant à la caresse et à la liesse. Rien d’attristé ou de prédateur dans le regard du photographe titillé par les fractales et le geste suspendu, illustrateur précis, empathique, d’images mentales proposées dans la tension (l’attention) sereine de l’apparent et du dissimulé. Au contraire, une grande joie colorée, callipyge, acidulée, symétrique, psychédélique, protéiforme, verbale et animale. L’esthète et le cinéphile penseront bien sûr à Maurice Binder, à Alain Bernardin, à Man Ray, à Yves Klein, le DVD en supplément, dotés de huit courts métrages estampillés expérimentaux, réjouissant quant à lui Henri-Georges Clouzot, peintre avec Romy & Reggiani de l’enfer multicolore de la jalousie. Le cinéma et la musique, arts du temps, du mouvement, du récit et de son absence, s’y associent au gré des morceaux évocateurs d’Irina Sarnavska, ballet aux allures de trip inoffensif, habile, et de chorégraphie gracile, immobile. Une sorte d’ontologie bazinienne veille sur la prise de vue et son rendu en livre, puisque pas de retouche ni de tripatouillage ; vous voyez le tableau vivant, charnel et chaste, tel que l’enregistra l’appareil fidèle, avec son objectif au fond très subjectif (évitons toujours la vidéo-surveillance, sinon pour souligner la nature carcérale de nos désolantes sociétés du spectacle). Les occasions de louer, de chérir, de transmettre, s’avèrent au fil des jours plus rares et problématiques, tant la laideur, la bêtise, la vulgarité de nos vies aujourd’hui nous giflent avec notre consentement, souvent. Raison de plus, cause suprême, d’inviter par ces quelques lignes à la découverte d’un univers fraternel, singulier, aristocratique et nécessaire, dans son humilité discrète et son abstraite proximité.  

     
Afin de prolonger/catalyser le trajet enthousiaste et ravi, un entretien, une galerie et le site de l’intéressé.  
       

Commentaires

  1. "Les époques déteignent sur les hommes qui les traversent." H de B :
    http://jacquelinewaechter.blogspot.com/2013/11/lancien-dessine.html

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    1. L'inverse s'avère vrai : des hommes et donc des femmes modèlent le monde...

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