Les Masques de la nuit


Cinégénie de l’anthropométrie…


Le visage des fous à l’asile et des mystiques au couvent, dérangé, dérangeant, inconnu, inconvenant. La face défaite de la femme en train de jouir ou d’accoucher, le scandale spéculaire de l’actrice de X et du survivant d’Auschwitz. La gueule dans la glace et de l’autre côté du miroir des traits perdus à jamais, inaccessibles, évanouis. Un phénomène extraordinaire orne l’écran, survient tant qu’il en devient banal au fil des films et des ans. Agrandissement, macroscopie, hypnose, anamorphose. Le visage-paysage, l’étalage des images, le grain de la peau luisante de lumière artificielle. Harcourt mon amour. Petites connes ou déesses sans tendresse miraculeusement et mécaniquement parvenues au statut d’icônes et d’ogresses. S’enfouir dans leurs yeux et leurs bouches, les pénétrer par procuration comme l’homme rétréci de Pedro explorant l’utérus endormi à la Bertrand Blier. Lèvres peintes, exposées, en doublure licite des secondes, cachées, intimes, condamnées à l’explicite, à l’impudique. Haut et bas si fragiles. La coupe du cadre redoublée par celle du plan. Le problème de l’intégralité au cœur d’un art très peu intègre. Que d’autres pérorent sur des têtes dont on oubliera jusqu’au patronyme dans cinq ou dix ans. Dictature de l’instant, de l’actualité, du vide médiatique. L’horreur en praxis de la monstration et de la défiguration. Bacon bouffé à l’acide. Rembrandt rencontre le boucher de Gaspar Noé. Anatomie infernale de sainte Catherine Breillat. Hitchcock le puritain et son saint François de petit saint français transmettant la bonne parole du discours de la méthode. Des talking heads, des tronches parlantes ou des tranches de gâteau à la place de tranches de vie.

Mille rides telle une histoire singulière. Les stries sur le derme de l’éléphant. Un rêve de normalité sur un oreiller blanc. La contrefaçon d’humanité censée vous dégoûter de fumer légalement affichée sur des paquets anonymes. Jason et son masque de hockeyeur. The Shape en trouble-fête de la Toussaint. Le regard pétrifiant de la Gorgone. La mort au travail dans l’objectif de la caméra. Isidore Ducasse fuyant les portraits à l’instar de Gilles de Rais. Chirurgie esthétique sociétale et timing chirurgical du montage. Raconter des histoires en politique. Lifter le réel. Injecter de la silicone d’abêtissement et d’assouvissement régulièrement, sur tous les écrans, en guise ou en substitut du ciment social. Une entreprise collective de collaboration, de collusion, une équipe de tournage n’équivaut pas à un équipage, ni à un gouvernement de ministres. Momification du mouvement, disait Bazin, à présent renversée en figuration momifiée du pouvoir dans le temps réel et réalisé de la dramaturgie mensongère. Visages voilés, visages de victimes, visages à se remémorer via un diaporama au JT. La douleur universelle d’une pietà qui s’abouche à l’orgasme de la suicidaire bardée d’explosifs autour de sa taille de jeune fille. Du sang dans les cheveux de la Syrie. De la violence représentée, retransmise, stérilisée. Va et regarde l’apparence de l’ennemi, de l’autre, de l’étranger. Le sourire réunit mais pas toujours. Ah oui, l’homme au rire défiguré de Victor Hugo. Et le masque de la mort incolore venant lisser tout ceci, détendre les outrages, abolir l’expression. Les thanatopracteurs et les maquilleurs d’effets spéciaux. Un remodelage des visages à grande échelle, le commerce prochain de l’eugénisme clean, capitaliste. Roman familial retravaillé au scalpel.

Chasseurs blancs et cœurs noirs ou l’inverse. Le brouillage du nourrisson, son papier mâché provisoire, pas encore lesté de l’héritage génétique. La pupille en porte possible sur l’au-delà. La transcendance au creux de l’absence suscitée par le climax. Regarde-toi dit l’étalon à la performeuse. Ne plus se reconnaître, s’opérer en direct. Se maculer de sang frais en châtiment dément, régénérant. Vieillir à l’envers selon David Fincher (& Scott Fitzgerald). Mystère de l’emprise, énigme du magnétisme. Capacité cérébrale quasi instantanée à identifier les crânes animés. Le visage vierge du héros de Romero. Le visage tuméfié du scorpion assassin en série de Siegel. Les ricanements des diables de Bosch. L’obscénité d’une cavité buccale sous la douche létale ou d’un étranglement à la cravate à Londres. Marché aux légumes, aux corps, aux masques. Les sphinx impassibles d’Égypte se fichent de l’ensemble. Ils traversent les siècles et les siècles les traversent avec rudesse. Une caresse. Une gifle. Une larme. Une trace de mascara. Comédie sinistre des attitudes et mascarade citoyenne. Nul, finalement, ne supporterait son reflet, dans la salle de bains trop éclairée ou la salle obscure climatisée. Les dos tournés de Magritte nous rassurent et nous excitent. Le sexe anal conjure la frontalité triviale, sinon insupportable. Centaures et juments interchangeables aux faces d’emprunt, locataires d’un enfer profane. Dévisager les vices. Envisager de vivre. Se dépecer ou s’émasculer. Pellicule et petite peau. Espions dans la maison de l’amour. Orgie de visages. Hiératisme des poses. Décollations bibliques et picturales. Découpage au plus près du grain de beauté. Un ravissement d’abattoir, de segmentation, de hiérarchisation. Quand le visage disparaîtra, surgira, peut-être, certainement, un autre cinéma.   
                    

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