Capsule : La Femme du cosmonaute


Un médicament, une drogue, un trip ? Plutôt l’avènement d’un regard, en route vers les sommets, pas seulement au service de Sa Majesté… 


Capsule constitue clairement un tour de force : durant quasiment une heure trente, le spectateur demeure à l’intérieur d’un cockpit étriqué, face (en sa compagnie) à un pilote piégé. Pour un budget représentant sans doute le quart de la ligne « café » (what else ?) de Gravity ou de Seul sur Mars, ce premier long métrage d’un directeur de la photographie (il travaille aussi dans le clip et la pub), accessoirement photographe sensuel, retient et retravaille la morale funèbre du pareillement britannique (et désargenté) Inseminoid (Une question de vie ou de mort des Archers, sur un argument similaire, comportait un happy end). Dans l’espace, personne ou presque ne vous entend mourir, la carlingue technologique défaillante vite transformée en cercueil sidéral. Survival spatial qui finira mal, Capsule commence par un évanouissement et s’achève par une chute (Icare substitué à Hermès, nom du vaisseau). Andrew Martin reprend et développe ici un lieu (le huis clos) et une dramaturgie (monologue/dialogue) déjà présents dans ses deux courts métrages, Padded Cell et Foxhole. Plus d’aliénée soliloquant dans sa camisole de force et sa cellule capitonnée, ni de soldats papotant au sein d’un « terrier » une semaine après le débarquement normand – rien qu’un homme aux prises avec une raréfaction progressive d’oxygène (quel joli mot que celui d’hypoxie !) et s’entretenant à distance avec la Terre, comme uniquement peuplée, guerre froide oblige, d’Anglais, de Russes puis d’Américains (incertains, on va le voir). Malgré la pin-up peinte sur le joujou stellaire, nous savons dès le départ que la mort s’invite à bord, qu’aucun discours rassurant (mode d’emploi puéril en guise de manuel DIY) ou espérance étrangère (au sens propre et politique du mot) ne viendront sauver le naufrageur des étoiles (Éros & Thanatos, vieux couple immortalisé là-haut par un certain Kubrick en 1968).

Dans les premières minutes du récit (de la tragédie classique, aux trois unités respectées), après un ample et gracieux mouvement autour de l’engin fragile sur fond de globe terrestre, ballet de poche rendu lyrique par la partition orchestrale, inspirée, primée, signée Hugo de Chaire, une femme apparaît soudain, incite l’occupant de la nacelle à s’éveiller du grand sommeil, souvenir involontaire ou citation inattendue de La Planète des tempêtes. Même à des kilomètres de la planète humaine, il convient donc encore de chercher la femme, dirait Colette, adage illustré naguère par Tarkovski avec son océanique Solaris ou bien De Palma avec le naufrage de Mission to Mars. Capsule, sans y renoncer totalement, s’éloigne pourtant du terrain du mélodrame pour explorer les territoires toujours fertiles de la paranoïa étatiste et du thriller en milieu fermé (combien de temps tiendra notre héros tout sauf héroïque, mais ne manquant pas d’humour, de courage ?). Plus intéressant, il n’hésite pas à se donner à lire pour sa nature même : une fiction de cinéma enracinée dans un contexte documenté (fonction pédagogique et récapitulative du générique, aux manchettes de journaux évocatrices). Science et fiction se mêlent pour donner à voir la comédie sinistre du pouvoir et de l’amour (autre histoire de domination, autre conflit domestique). Martin propose ainsi une fable sur les apparences au moyen d’un mirage audiovisuel dont la maîtrise et la puissance ne mettent jamais en cause le fameux principe de suspension d’incrédulité requis pour ce « genre » de films (la SF rétroactive, disons). La mélancolie de Capsule s’arrime par conséquent sans heurts à une dimension méta de bon aloi, et le virtuose plan-séquence final en « Russie » vient parapher la supercherie de la diégèse, en miroir de celle de l’art.

Nul hasard, du reste, si la caméra s’amuse à cadrer un projecteur diffusant les images filmées par l’ancien aviateur, éphémère espion, si la chérie (Lisa Greenwood en vénéneuse sirène) s’avère une cynique ennemie recevant fissa le dossier de sa prochaine mission d’illusion, si les sauveurs US jettent le masque pour se révéler de rouges adversaires. Au-delà d’une misogynie et d’un antisoviétisme superficiels, de façade, Capsule parvient à capturer quelque chose de l’irréalité du monde, de sa dangerosité intrinsèque, où chaque individu existe à la manière insulaire (l’Angleterre, île désormais détachée du continent européen cartographié à Bruxelles), où seul le trépas (ironique, puisque causé par la collision avec une seconde capsule, américaine, cette fois) s’avère une évidence irréversible. Œuvre réellement indépendante, tournée en une quinzaine de jours à peine (un record en soi, quand on constate le soin élégant porté au moindre plan) avec la célèbre Red numérique, Capsule démontre avec un brio modeste et fervent que le cinéma n’équivaut pas au fric, aux stars, à l’histoire mais avant tout à l’audace, à l’originalité, au talent. Tel un poème sensoriel et existentiel, le film déploie une structure équilibrée en trois actes et un sens de la claustrophobie (au format Scope) assez sidérant, avant l’envolée en grue puis dans un bâtiment, à l’instar d’un dévoilement réflexif des mécanismes du « septième art » (funéraire et radieux), dédoublés dans ceux d’une conspiration cruelle. Un œil exercé saura dénicher des indices précurseurs de cette épiphanie spéculaire, par exemple une photographie cramée ne conservant intacte que la captivante menteuse. Une oreille attentive y dégotera les échos de Welles faisant débarquer ses Martiens par la magie unique du son (belle distribution sonore et invisible à l’unisson du solide Edmund Kingsley, le fils de qui vous savez).


En dépit d’une réplique drolatique incluant la (pas si) « douce France », on regrettera une absence de sortie prévue dans l’Hexagone, alors que tant d’excréments se déversent allègrement le mercredi sur l’écran géant, pour le plaisir commenté des grands et des petits. Le cinéphile aventurier (ou casanier) devra donc opter pour le DVD (à traquer) ou « l’illégalité » du streaming, pardonnable en cela qu’elle permet de faire d’agréables découvertes et d’en rendre compte de façon totalement licite, incitative. Si ses travaux musicaux ou commerciaux affichent un poli impersonnel, l’opus liminaire du trentenaire Andrew Martin séduit par sa radicalité discrète, sa maturité généreuse (oubli des galaxies au profit du visage-paysage), son intelligence de l’âme (la peur, la confiance, la mémoire, les sourires, la délivrance, la terreur) et du cinéma (la chorégraphie en coda boucle la boucle avec l’ouverture et se pose en variation d’une réalisation sinon très découpée, aux angles variés, à la sérénité assurée de vrai cinéaste). Sis quelque part entre le nostalgique Ulysse et les pauvres hères en déréliction d’un Samuel Beckett, parlant pour meubler, animer (ou lutter contre les interférences) l’effroyable silence infini des astres (qui angoissait tant Pascal), Guy n’ira certainement pas planter une bannière étoilée dans la cendre lunaire, geste spectaculaire et méprisable de petit propriétaire (terrien, en effet). Condamné par le compteur d’air, par le placard (et l’objectif) le découpant à loisir, homme-tronc immobile en temps réel et réalisateur amateur focalisé sur la beauté distante, perçue à travers une sorte de lucarne de projection, il nous évoque aussi le dandy mort-vivant de Dreyer dans Vampyr, avisant l’étrangeté diabolique de l’univers via un rectangle de verre (le quatrième mur de cette pièce radiophonique et cinématographique, la caméra l’occupe).

Verbal et non bavard, fixe et non statique, partie de cartes perdue d’avance et cependant digne d’être jouée, trouvant sa grandeur précisément dans le jeu et le sérieux des joueurs, Capsule pouvait plaire à Marcel Pagnol, autre peintre renommé (ou stupidement décrié) de l’impossible ailleurs, de la rupture des amoureux, de la présence problématique et nécessaire des pères. Partir, revenir, se tromper, vouloir aimer, trahir et passer son tour : le spectateur assurément se reconnaîtra dans l’astronaute en suspens, son frère d’hallucination, de rêverie et de folie (sentimentale, patriotique), pour lequel la bien nommée Skylar Fri susurre sur le générique de fin un requiem aux paroles explicites. On peut certes souvent douter de l’avenir, se retrancher dans le passé plus ou moins glorieux des imageries d’hier, à l’époque de notre propre jeunesse à présent défunte, hésiter à miser sur les personnalités émergentes ; pour une fois, faisons le pari (pascalien) qu’Andrew Martin, actuellement au labeur sur Sleeper, un film d’horreur martial ferroviaire, saura s’orienter sur le champ miné d’un art financier, essoufflé, régressif. Après tout, l’irremplaçable John Carpenter (on aimerait tant visionner un nouveau titre de lui, au lieu d’écouter, distrait, ses albums de musique sympathiques et anecdotiques, avec et surtout sans le national Jean-Michel Jarre) débuta par Dark Star, non ? En supplément, lecture conseillée (en anglais, désolé) du site attractif de Mister Martin et d’un riche entretien avec le producteur Paul Forrest (par ailleurs DP, auteur de la story, sous le jovial prénom Felix), afin de tout savoir ou presque de la genèse de cette aimable promesse.     

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