The Strangers : Amen.
Et l’inconnue immaculée avertit de ne pas s’en retourner chez soi avant
le troisième chant du coq, reformulation peut-être bienveillante du reniement
de saint Pierre…
On ne s’ennuie pas une seconde à ces
cent cinquante-six minutes, on ne s’enthousiasme guère non plus, contrairement
au consensus critique laudateur. Avec son troisième long métrage en huit ans,
le peu prolifique Na Hong-jin semble retravailler le premier : comme dans The
Chaser, on assiste à une chasse à l’homme, à une confrontation morale, à
l’incompétence généralisée des supposées forces de l’ordre, à un état des lieux
asiatique des « violences faites aux femmes », une enfant à sauver ou
à exorciser en point commun. Ce qui change (radicalement) ? L’orientation
religieuse du récit, démarré en polar pour s’achever en réflexion métaphysique.
Suivant l’hétérodoxie coréenne, The Strangers ose mélanger avec
habileté, sinon virtuosité, les genres et les registres, les tons et les
imageries. Ce patchwork d’émotions,
de sensations, de visions, se déroule dans le cadre somptueux, faussement
serein, d’un village reculé, cerné par une nature d’abord édénique puis
diabolique. Le pêcheur du début révélera, à la toute fin, son vrai visage (son
corps réel, monstrueux) et ses intimes desseins, en quête d’âmes plutôt que de
poissons, dans une parodie impie de la conversion chrétienne (il se permet de
citer saint Luc en témoignage de sa réalité, reprenant à son compte blasphématoire
les propos du Christ ressuscité à ses compagnons incrédules). Le film baigne
(dans l’eau bénite) dans une religiosité diffuse dévoilée au final, annoncée
dès l’insertion du personnage du diacre (part de joue mangée par un zombie
local, dans une scène hilarante et tétanisante).
Rien de bien surprenant, puisque la
Corée (du Sud, précision utile) demeure un pays catholique, à l’image de « l’innocence »
profanée de l’enfance, lieu commun du cinéma d’horreur et pas seulement,
particulièrement à Hollywood, territoire peuplé d’anges déchus toujours prompts
à creuser à nouveau le sillon réflexif-lucratif de la possession (un business de Juifs vendant la morale des
catholiques à un public de protestants, pour reprendre les termes drolatiques
d’un intervenant dans un récent documentaire dédié à la part obscure de la « Mecque »
cinématographique américaine). Du côté de Hong Kong, les cinéphiles se
souviendront aussi de L’Exorciste chinois (Kwak Do-won, le
héros, affiche d’ailleurs un faux air de Sammo Hung), déjà une plaisante comédie
horrifique. Na entretient cependant le doute sur les événements et leur essence avant la coda multiple, la matérialité des meurtres et des maladies, conjuguée
à celle de la nourriture (gamine transformée en ogresse) et des éléments (il
pleut beaucoup) en contre-point bienvenu. Un adultère déçu dans une voiture
procède comme une cristallisation du film entier : le flic peureux, bon
père de famille, s’avère un étalon précoce et un coupable sympathique, de
surcroît surpris par sa propre fille qui tente d’ouvrir la portière ! Les
étiquettes morales glissent ainsi à la façon des gouttes d’eau, la diégèse
délestée de l’habituel attirail livresque, vestimentaire et rituélique de la
cérémonie de libération du démon (menteur, trompeur, artiste destructeur).
The Strangers opte pour un chamanisme au goût de
vaudou (ou de Santeria, cf. le troublant et méconnu Les Envoûtés), filmé en
plan-séquence à six caméras, incluant sacrifice de volailles et d’une chèvre
(sauvée in extremis par l’interruption intempestive de la séance, le père ne supportant
plus d’assister impuissant à la douleur disloquée de sa petite, alors qu’un
bouc succombe pendu à la porte du foyer en sombre présage). Si Friedkin, même
dans la version « corrigée » de L’Exorciste, avec notamment
l’inclusion d’un dialogue explicite entre les deux prêtres, se refusait, au
grand dam de William Peter Blatty, à réaliser un tract publicitaire ecclésiastique, le réalisateur, via un classicisme serein et ample, joue
avec le spectateur, titille sa fameuse « suspension d’incrédulité »,
résolvant dans la dernière partie l’énigme principale, afin de mieux égarer par
un double mystère (le chaman prend des photos de cadavres, en miroir de son « ennemi » ;
la demoiselle sans nom, toutefois appelée Yoko en VOST par l’ermite, folle ou
sainte, succube ou ange gardien, conserve son opacité originelle). L’énergique exorcisme
lui-même, alterné au montage avec un sort au tambour et noir volatile effectué
par le Lucifer nippon bientôt à terre, ne dissimule jamais son impact méta de
spectacle, se donne à voir pour ce qu’il constitue : une mise en scène
rémunérée destinée à rassurer des parents désespérés, accessoirement, à vaincre
des « forces occultes » dont l’officiant paraît donc in fine bien trop proche.
La collusion se vérifie dans la vie
profane, notre policier n’hésitant pas, sous le coup de la colère (il vient de
remarquer des ecchymoses sur le haut des cuisses de son insultante progéniture espionnée
dans son faux sommeil), à trucider le canidé (le chien d’ébène de
Méphistophélès dans le Faust de Goethe ?) du Japonais (hostilité
historique) ni à lancer contre lui une petite expédition punitive avec ses
collègues (la meute s’arrête au bord d’un précipice très symbolique, à l’instar
de la profession de la victime initiale, une vendeuse de ginseng, The
Strangers pouvant se lire en ironique allégorie sexuelle sur la
masculinité, assortie d’attributs traditionnels ici problématiques, le pouvoir
et la raison). Un second film, davantage « pervers », dépourvu du
nappage fantastique, portait d’un mal purement humain (optique de l’éprouvant J’ai
rencontré le Diable), affleure sous l’évocatrice efficacité du
manifeste, son évidente maîtrise limitée, appréciables qualités préalablement
repérables dans The Chaser, celui d’un homme en uniforme abusant de son enfant
qui se retournerait contre lui et autrui, radiographie d’un pleutre raciste
rétif à la moindre présence étrangère (on renvoie vers Le Village de Shyamalan,
étalon, selon l’opinion, du protectionnisme US ou de sa xénophobie foncière).
Il faudra, en l’état, se contenter de l’opus
tel quel, supplémentaire démonstration de l’excellence coréenne en matière de
cinéma et à de nombreux postes (musique composée par Dal Palan, direction de la
photographie signée Alex Hong et ensemble de la distribution, avec une mention
spéciale attribuée à l’irrésistible Kim Hwan-hee, sidérante « enfant-actrice »).
Avec son diable aux yeux rouges
amateur de viande crue et de cauchemars récurrents (« Chaque nuit, on
dirait que tu vas en enfer » déclare judicieusement l’épouse au mari, ces
rêves terrifiants et prophétiques comme un avant-goût de ce qui va se passer,
comme la preuve subjective, hallucinée, d’une vérité inaudible, impensable),
avec sa chaussure d’enfant parmi un fatras de biens adultes, écho involontaire (?) aux
tas sinistres de la Shoah, avec son exorciste siffleur et parvenu (Hwang Jung-min,
Caïn de New World), nanti d’une grosse cylindrée, d’une tocante en or, d’un
survêtement Nike et d’un habit d’Arlequin pour chasser (apparemment) le Malin, avec
son discutable accident routier suivi d’un jeté de « corps étranger »,
littéralement, dans le fossé (police criminelle, so), avec son gracieux piège floral (l’équivalent poétique du
pragmatique bouquet d’ail en prévention vampirique occidentale) et ses
champignons suspectés, avec son massacre domestique, son double matricide (mère
et belle-mère assassinées par l’enfant abandonnée en état de choc sur les
marches de la maison), son parricide logique (la fillette en némésis à
demeure), The Strangers (préférons au compréhensible prosaïsme hexagonal le mélancolique
et connoté titre original, Lamentations), présenté à Cannes,
succès mérité en Corée, vaut largement
son visionnage. Il nous quitte en outre de manière poignante, le père à
l’agonie retrouvant sa fille dans un souvenir radieux de fête foraine au
ralenti (clin d’œil subliminal au Sang du châtiment ?). « Tout
va bien, ton papa est policier, il va trouver une explication » lui dit-il
pour la réconforter, adresse sarcastique du cinéaste au public, car son film,
au terme du parcours infernal et trivial, au-delà des ouvertures de lectures,
énonce une universalité victorieuse du Mal devinée dès l’orée, confirmée au
cinéma (remember Bresson) et hors de
la salle au quotidien. Le Diable, assurément…
Je respecte ta profonde déception sur ce film que il à fallu que je regarde une 2e fois pour l'apprécier, par contre tu as parler des Envoûtés qui est pas mal mais à vrai dire, il ne m'a pas marquer comme par exemple l'excellent L'EMPRISE DES TENEBRES. Si un jour tu n'a rien à faire regarde le une deuxième fois, peut-être que comme moi tu changera d'avis, c'est ton jamais.
RépondreSupprimerOui, on peut en effet préférer le titre de Wes Craven à celui de John Schlesinger, à peine séparés par une année, d'ailleurs, et même aller se ressourcer auprès du Vaudou (1943) de Jacques Tourneur, l'auteur des mémorables La Féline, La Griffe du passé ou Rendez-vous avec la peur, trois belles découvertes que je t'incite à faire au plus vite ; en matière d'avis (critique), je n'en change guère, mais les années peuvent jouer...
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