Excision : Traci, I Love You
Éloge et reconnaissance des délices de Phyllis…
L’incipit
(le premier paragraphe, allez) d’un texte suffit à l’évaluer, à donner envie ou
non de poursuivre la lecture (première impression souvent juste d’une
rencontre, contrebalancée par l’opacité naturelle des êtres). En visionnant la
scène inaugurale (« hexagonale ») d’Excision, durant laquelle
une jeune femme dédoublée, vêtue de blanc sur un fond carrelé bleu, se met à
vomir du sang, jusqu’à s’auto-éclabousser (plus loin, reprise du motif émétique
en classe, dans la vie « réelle » de la diégèse), on se dit que les
quatre-vingts minutes du métrage risquent de s’avérer fort longues. À ce
niveau-là, il ne nous déçoit pas, en effet. Torché en plans d’ensemble, plans
rapprochés, gros plans en champs-contrechamps, plongées – on leur apprend donc
cela, dans les écoles de cinéma, cette grammaire de sitcom, cette absence du moindre regard ? –, narrant une fois
de plus, une fois de trop, les états d’âme menstruels, dont on se contrefout,
d’une ado WASP (Amérique décolorée, donc, aux allures d’abstraction eugéniste) au
physique « ingrat » dans sa proprette banlieue résidentielle, invitant
à sa sinistre plaisanterie de zombie Marlee Matlin, Matthew Gray Gubler,
Malcolm McDowell, John Waters, Ray Wise pour de gênants caméos en figures
d’autorité conservatrices (contre-emploi de classe primaire), Excision
représente de manière caricaturale un certain courant indépendant américain,
aussi stupide, insipide et putassier que son meilleur ennemi hollywoodien. Que
cette camelote fumeuse pour festivals (surtout celui de Sundance) s’attire la
sympathie de quelques plumes en ligne supposées spécialisées en dit long sur le
goût contemporain, l’aveuglement de la critique de « niche » et le
taux effarant de détritus à déceler/désherber dans le « genre »
horrifique.
Non seulement le « réalisateur »
de cet ersatz de Carrie au bal du diable, Faux-semblants et May
(superbe trio tragique) ne sait absolument pas se servir d’une caméra – que
l’on ne vienne pas nous refourguer en excuse ou en alibi le manque de moyens
financiers, rengaine des esprits stériles, paresseux, absolument dépourvus de
la moindre inspiration-imagination –, non seulement il copie mal ses illustres
prédécesseurs, paraissant tourner pour, selon ses propres termes, envoyer des « lettres
d’amour » à la cinéphilie de sa jeunesse (d’où la présence des « mythes »
cités supra), probablement la pire
raison de faire un film ex aequo avec le fric (qui nous
débarrassera de tous ces froussards autistes incapables de sortir de chez eux
pour affronter le monde, lui demander des comptes, en rendre compte, au lieu de
se masturber avec leur nostalgie « adulescente », de petit privilégié
déjà usé, le genou plié en révérences, en hommages, en clins d’œil de pupilles
crevées ?), mais encore il nous assène une morale finale aussi détestable
que le trahison impardonnable de Tim Burton (outsider hier, normalisé désormais) transformant l’Alice de Lewis
en capitaliste conquérante (Eva Green, presque grandeur nature en carton,
annonce avec de hideux ongles verts sa dernière déjection dans notre cinéma de
province, vision d’horreur publique impunie). Oui, la freak éprise de chirurgie, en sus de faire suer sa mère
psychorigide et de troubler ses condisciples de lycée (« acteurs »
adultes mannequinés singeant risiblement les adolescents, de quoi quasiment
nous faire regretter les interminables couloirs publicitaires et homoérotiques
de Elephant),
de perdre sa virginité via un
cunnilingus ensanglanté, s’avère une meurtrière par amour (versez votre larme),
opérant une bimbo brune adepte de la
corde à sauter afin de transplanter ses poumons dans la cage thoracique de sa
petite sœur atteinte de mucoviscidose et sur le point de succomber (versez
votre larme, bis, la maladie en
argument aux limites de l’abject et en cristallisation de l’inconscience du « cinéaste »,
passant à côté de son vrai sujet, de la matrice réaliste de tout grand film
d’horreur adulte : la ruine programmé du corps et par conséquent de
l’esprit).
Le crâne rasé à la Britney, Pauline
(pas vraiment à la plage ni à la page) loupe évidemment son greffon amateur
mais espère susciter l’empathie horrifiée du spectateur, conforté dans l’idée
que la différence, au fond, ça craint foutrement. Dans cet effet boomerang de ce qui se voudrait une
satire de l’éducation religieuse, scolaire et sentimentale à l’américaine, se
lit la mauvaise foi foncière d’une fable petite-bourgeoise sur des
petits-bourgeois et à l’usage de leurs semblables. Avec son Americana de soap télévisé (AnnaLynne McCord, fugueuse de 90210 Beverly Hills : Nouvelle
Génération, enlaidie, atteinte du syndrome Monster, se rêve en « actrice »
et en « artiste » ; par pure charité, nous éviterons de comparer
son jeu, notamment ses monologues à l’église, avec celui des bouleversantes et
suprêmes Sissy Spacek et Angela Bettis), avec ses répliques censément
humoristiques (Mankiewicz en rit encore), avec son ironie propice à faire
passer le glucose de Marc Cherry (Desperate Housewives) pour de
l’acide sulfurique (sans même parler de Romero, Carpenter, Cronenberg and Co.), avec ses fantasmes
sanguinolents étiquetés féminins, comme issus d’un croisement improbable,
dérisoire et insupportablement arty
entre David LaChapelle et Herschell Gordon Lewis (mention spéciale à l’avorton
extrait d’entre les jambes, foutu au four, explosé depuis l’intérieur,
métaphore du film lui-même), avec l’aimable Roger Bart (les femmes au foyer
désespérées, again, et Hostel,
chapitre II) réduit à de la « figuration intelligente » (un père
symboliquement ligoté-bâillonné par sa « sanglante progéniture »,
dirait Agrippa d’Aubigné), Excision, fable insignifiante sur la
folie troussée par un héraut de la normalité déguisé en esthète provocateur,
tout réjoui par sa purge prétentieuse et mortellement, de façon littérale,
ennuyeuse, ne mérite que le mépris et l’oubli instantané (on s’étonne d’écrire
à son sujet autant de lignes, quand la chasse d’eau réflexive suffirait à
l’évacuer dignement).
Comme le masochisme n’appartient pas
à notre libido (sexuelle ou scopique), on endura courageusement ce film mort-né
de mort-vivant pour Traci Lords. Enfin, cette femme intelligente et attachante
(cynique, menteuse et manipulatrice, affirment certains
« partenaires »), blonde ou rousse, diable rouge inoubliable pour Gregory
Dark (New Wave Hookers) puis revue ensuite dans
moult séries B ou Z indignes de son aura,
de ses capacités (ah, ces foutues factures à payer, on compatit), chez son ami Mister Waters (Cry-Baby), le très
surfait/sentimental Kevin Smith (Zack et Miri font un porno) ou à la
TV (Les
Tommyknockers
adaptait passablement Stephen King), valant bien, « toutes proportions (de
parcours, d’époque, de tour de poitrine) gardées », l’amazone Katharine
Hepburn dans Indiscrétions (homonyme, à deux lettres près, de son
pseudonyme), incarne une mère trop proche de sa cadette, qui tente malgré tout
de se rapprocher de l’aînée, de lui parler de femme à femme, de surmonter le
traumatisme de sa mésentente avec sa propre génitrice. On retrouve dans les
yeux de Miss Lords la colère
irriguant sa filmographie classée X, cet air de défi, de supérieure
disponibilité, caractéristique de sa brève carrière encore mineure (une
attirance basée sur de l’antipathie, pour ainsi dire). Mais pas seulement, pas
totalement : une grande mélancolie apparaît en filigrane, une blessure
intime (cliché avéré, insuffisant, de la « hardeuse » abusée dans son
enfance ou après), une douleur aux bords des larmes (de cinéma et de soi).
Avec une actrice aussi talentueuse
(justement récompensée), qui s’empare des bribes d’un rôle ingrat et
mélodramatique (dans le mauvais sens du terme), Excision pouvait
prétendre atteindre une certaine hauteur, une surprenante vérité (son cri
ultime, quand elle découvre le massacre bienveillant, hantera longtemps
l’oreille et la mémoire), une vraie dimension sarcastique (elle adopte une
diction pseudo-châtiée pour recadrer
le fruit problématique, égocentrique et inique de ses entrailles). Nous aimions
déjà (à tort ? Une de plus, alors, tant pis) Traci Lords avant Excision
et nous l’aimons davantage grâce à lui, malgré lui. Les voies du Seigneur,
impénétrables comme chacun sait, a fortiori les « travailleuses du
sexe » trop souvent et bien trop mal pénétrées, de surcroît assorties
d’une lettre écarlate au sortir de l’empire attristé du « divertissement
pour adultes » (Nora Louise Kuzma réussit quant à elle sa
« reconversion » au sein du mainstream),
n’offrent aucune rédemption à Pauline ou à Richard Bates, Jr., tandis qu’elles
rédiment ce vil navet inoffensif, premier film tourné à L.A. en vingt-huit
jours (un cycle de règles, so), que
distribua Anchor Bay, par la présence d’une vraie femme (avec le poids et la
densité d’une vie derrière elle) doublée d’une véritable actrice (gamme, ici,
de la comédie au drame, sincérité se jouant du carcan de la caricature). Oh Lord (chantait Phil Collins sur l’inquiétant
In
the Air Tonight), merci et amen
pour l’existence de l’irrésistible, déterminée, drôle, musicale, maternelle,
mariée, autobiographique et parfois poignante Traci Lords.
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