Hunt for the Wilderpeople : Le Vieil Homme et l’Enfant
Où l’on s’enfuit pour mieux se retrouver, dans une
« résilience » d’enfance partagée…
Non, la Nouvelle-Zélande (son cinéma)
ne se limite pas à Peter Jackson ni à ses tolkieneries : cette île
dédoublée, sise « sous » l’Australie, explorée en images au début du
vingtième siècle par un certain Gaston Méliès (oui, le frère de Georges),
possède une longue tradition documentaire, créa politiquement la New Zealand
Film Commission à la fin des années 70 (cf. son homologue l’Australian Film
Development Corporation), se fit connaître à l’international durant la décennie
90, accueillit les tournages du Dernier Samouraï, de Avatar,
et les cinéphiles connaissent les noms ou les œuvres de Jane Campion (La
Leçon de piano), Andrew Adamson (deux Shrek, la série des Narnia),
Martin Campbell (plusieurs Bond et Vertical Limit ou Hors
de contrôle), Richard Curtis (scénariste de Quatre mariages et un enterrement,
Bean
ou Cheval
de guerre, réalisateur de Love Actually ou Good
Morning England), Roger Donaldson (Le Bounty, Sens unique, Cocktail,
Guet-apens,
La
Mutante, Le Pic de Dante, Le Pacte), Geoff Murphy (Le
Dernier Survivant, Piège à grande vitesse), Andrew
Niccol (réalisateur de Bienvenue à Gattaca ou Lord
of War, scénariste du Truman Show ou du Terminal),
Lee Tamahori (L'Âme des guerriers, Les Hommes de l’ombre, Le
Masque de l’araignée, Meurs un autre jour, xXx²:
The Next Level) ou Vincent Ward (réalisateur de Au-delà de nos rêves et
scénariste de Alien 3), par exemple (une pensée pour Lucy Lawless &
Russell Crowe, of course). Taika
Waititi, la jeune quarantaine et en caméo (curé sucré à l’incinération),
s’attira l’attention critique puis la distribution globale avec Boy
et Vampires
en toute intimité. Très gros succès chez lui (trois mois après sa
présentation en janvier 2016 à Sundance), Hunt for the Wilderpeople lui
offrit un billet pour L.A., même s’il dirige dans l’australienne Oxenford, depuis
juillet, le Thor: Ragnarok de la Marvel et Disney.
Malgré un clin d’œil le temps d’une
réplique, la création des phacochères par Weta Workshop, l’empreinte du paysage
et la dimension initiatique, son opus
se différencie aisément (heureusement) du Seigneur des anneaux. Conte drôle,
tendre et cruel constamment filmé à hauteur d’enfant mais jamais infantile, Hunt
for
the Wilderpeople s’étire un peu sur ses cent quarante minutes, séduit
souvent, finit par gagner notre sympathie pour son stoïcisme orienté vers la
vie. On frémit de façon rétroactive à ce que l’imagerie hollywoodienne ou la TV
française (Famille d’accueil, disons) pouvaient (purent) enfanter avec un
tel sujet – un gamin placé, un veuf bougon, une forêt de fugitifs – et l’on
sait gré à l’auteur de se garder de sombrer dans les eaux saumâtres du
(mauvais) mélodrame à la mode US ou hexagonale. La mort de Bella Faulkner (aimante
et attachante Rima Te Wiata), éphémère « tantine » attentionnée,
impitoyable (la chasse du sanglier, grand moment de gore ludique monté cut)
et généreuse (le gâteau d’anniversaire et la chansonnette dédiée à Ricky Baker,
réentendue en version masculine au générique de fin), constitue ainsi un aimable
modèle de sécheresse et de surprise expressives. En quatre plans (la découverte
du cadavre ; le visage du témoin ; l’époux à genoux ; le contrechamp
sur le gosse), le réalisateur montre l’essentiel, dénude le réel jusqu’à l’os. Une
similaire économie de moyens narratifs apparaît dans le deuil accepté avec une
fatalité pragmatique par l’époux (« Un jour tu es là, le lendemain tu te
retrouves dans une boîte »), dans la volonté du nouvel arrivant de
transporter les cendres chères à proximité d’un lac au plus près du ciel, la
victime soudaine y faisant allusion précédemment, innocemment, en « plumant »
un lapin.
Quant à la douleur tue de la petite
terreur (Amber se supprima), « caillera » candide adepte du rap à tendance gangster
(le chien en cadeau vivant se prénomme Tupac !), son drame d’orphelin (de
père, abandonné par sa mère) amateur de haïkus revanchards ou reconnaissants,
ils se manifestent au détour discret d’un très beau plan puissant dans lequel
il serre contre lui, assis sur son lit, une bouillotte aussi rouge et chaude
qu’un cœur vraiment maternel. S’inspirant d’un roman de Barry Crump, populaire
figure néo-zélandaise (sorte de Roald Dahl local, supposons), auquel la courte
évasion en Toyota (baptisée Crumpy par l’idiot du village épris de théories
conspirationnistes et déguisé en buisson humain, improbable
« Bushman » à faire rougir tous les super-héros ricains) rend un
hommage rapide et référentiel, Waititi opte en effet pour une perspective
drolatique et un ton stimulant, à des années-lumière de la moindre mièvrerie ou
de la victimisation intéressée. Ni larmoyant ni cynique, il respecte
constamment son duo et avec lui le spectateur de leurs mésaventures qui
finiront bien, cependant. Traqués à la fois par un trio de justiciers pieds
nickelés peu doués pour l’interprétation des témoignages (ils confondent les
dires du minot avec un récit d’abus sexuel, en bons citoyens hystériques,
paranoïaques, puritains) et par des forces de l’ordre à l’amateurisme teigneux,
à l’incapacité inoffensive de dessin animé ou de farce hyperbolique (final avec
l’armée à la rescousse), nos deux père et fils putatifs trouveront in extremis
un joli paradis familial recomposé, après un bref passage par la case prison et
celle de l’hospice. Le film se terminera comme il commençait, par un plan
aérien de la « brousse » impénétrable et matricielle, utérus végétal
et préhistorique (épiphanie du huia éteint) au sein et au sortir duquel pourra
émerger une profonde amitié adulte.
Face au crédible, convaincant et
adolescent Julian Dennison, Sam Neill (encore présent sur le plateau de l’homme
au marteau) compose un solitaire itou « adopté » par hasard (pour
Ricky, Caucasian devient Asian), figure virile et sensible à
l’allure quelque part entre « l’ours » ermite (accusation de « décoration »)
et le prophète biblique (barbe ad hoc).
La réussite (modérée, avérée) du film doit beaucoup à cet acteur couramment excellent
(pas seulement dans Possession, la comédie noire maritale et métaphysique de Żuławski
ou un diptyque de Carpenter, Les Aventures d’un homme invisible
et L’Antre
de la folie), ici aux cheveux blancs, bien flanqué par la fidèle Rachel
House en passionaria de l’aide à l’enfance et le comique Rhys Darby en Psycho
Sam découvrant subitement qu’il oublia de creuser le tunnel censé lui permettre
d’échapper aux autorités (comme notre Renart, il propose également de les
tromper en faux cadavres en chœur). Au cours de son périple dans la
« jungle », le bambin urbain, potelé, « basané », plutôt
que d’affronter la campagne hostile – le réalisateur mentionne Crocodile Dundee
(Indiana Jones, assène le sous-titrage générationnel), surnom de son Hector pas
butor par la bienveillante Bella, sans jouer sur l’opposition entre les
« races », les milieux, les classes sociales, particularité de la
filmographie britannique (origines de la colonie, terre des Maori d’ascendance
polynésienne) – va rencontrer, vite
s’éprendre (inceste gentillet) d’une gracieuse écuyère au papa solidaire et
demandeur de selfie (avatar
narcissique d’aujourd’hui des autographes admiratifs d’hier). Tioreore
Ngatai-Melbourne, accompagnée de sa guitare à la Audrey Hepburn (Diamants
sur canapé) ou à la Claudine Longet (The Party), laisse donc s’envoler
sa chevelure érotique selon un onirique ralenti sentimental, cliché publicitaire
détourné avec amour et humour.
Tandis que sur la bande-son
retentissent le pécheur hypnotique de Nina Simone et le partisan francophone de
Leonard Cohen (reprise de 1969), parmi des morceaux composés à trois (Lukasz
Buda, Samuel Scott, Conrad Wedde), à l’addictive saveur électronique eighties, le métrage soigne le détail
(piège littéralement diabolique, affirment les Chinois) et déploie un
inventaire mémoriel à l’unisson et en contradiction (subjective, désordonnée)
de/avec sa structure « littéraire » en chapitres : l’émouvant croquis
de Bella par Hec, analphabète tout sauf bête (imparable « technique »
pour choper les anguilles) ; une grange brûlée tarkovsienne en maladroite
tentative de suicide mis en scène ; un cher canidé (Zig) achevé car
mortellement blessé, avant d’être dûment enterré, « pierres
tombales » gravées à son nom ; des hallucinations gustatives (clébard
transformé en pyramide à la chantilly et aux fruits, Hector en hamburger doté de la parole) ; un panorama « majestique » à
base de lac étal et de montagnes nues ; de la neige irréelle (l’odyssée
des hors-la-loi réfractaires mord sur l’hiver) ; une balle perdue en
vengeance ironique de supputée trahison ; un bouquin de poche aux phrases
épelées avec difficulté, obstination. Après une célébrité criminelle, de fait
divers, le tandem réintègre à la coda
« l’enfer vert » (nul cannibale en vue) océanien afin d’y acquérir un
renom cette fois zoologique, en quête du volatile envolé, en pèlerinage sur les
sentiers d’une aventure qui les fit grandir. Invitons le spectateur on line
(pas de sortie pour le public so Frenchy prévue à ce jour) à les rejoindre,
pourquoi pas en famille, histoire de passer un agréable moment « innocent »
(ne vous attendez pas à La Randonnée existentielle et
sexuelle de Nicolas Roeg), tel un passeport (un appel du large) vers des peaux,
des problématiques et des horizons à l’exotisme in fine très familier.
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