Instinct de survie : Long Weekend
Un maillot coloré, une ultime virée, l’aileron familier du conflit d’intérêts, comment les filmer…
À la mémoire d’Everett De Roche
Une belle idée de cinéma (et pas
seulement) irrigue ce divertissement plaisant, inabouti mais tout sauf
infantile, racoleur, ressassé : l’obligation de se confronter au réel,
d’affronter la violence et l’absurdité du monde, de délaisser les prothèses
technologiques pour enfin ressentir dans sa chair, littéralement, la morsure de
l’existence. Carlos, l’aimable chauffeur refusant un dédommagement, dont le
fiston footballeur découvrira au début la caméra funèbre fixée sur casque, le
reproche gentiment à la touriste adepte du cellulaire, l’incite à lever les
yeux de l’écran sur lequel elle papote avec sa sœur cadette, afin d’admirer la
magnificence d’une forêt aux allures de jungle
verte et dorée, traversée au son signifiant d’une version locale, alanguie, de Walk
on the Wild Side. L’Américaine, blonde et souriante, fait son mea culpa,
met cela sur le compte de sa nationalité. D’ailleurs, son smartphone comporte un album
dédié à sa mère récemment disparue d’un cancer (détail discret de la coiffe en tissu).
Que vient-elle chercher sur cette plage anonyme, faussement paradisiaque, sinon
le souvenir d’une absente, alors enceinte d’elle-même au même endroit ? Le
surf, le rituel de l’équipement, la
traversée du rouleau d’eau, par-delà leur caractère anecdotique, participent
également de cette épreuve de la réalité. Nancy, petite sirène texane déplacée
au Mexique, avise une île et y voit sentimentalement une parturiente, ne
sachant lire le signe funeste d’une silhouette humaine allongée, d’un gisant
marin, donc. Elle vient de renoncer à ses études de médecine, qui lui serviront
plus tard, quand il lui faudra se recoudre la cuisse avec ses bijoux,
Terminator gracile s’adressant à une patiente imaginaire.
En bonne orthodoxie hollywoodienne,
elle va devoir cesser de renoncer, surmonter le trauma, regagner in fine l’harmonie familiale et
professionnelle au pays natal. L’appréciable Jaume Collet-Serra le reconnaît
volontiers : l’héroïne l’intéresse davantage que le requin, créature
numérique souvent réduite à l’état d’ombre, de torche vivante durant le final (duel
de « femelles ») over the top
sur la balise, sa mort par empalement renversant l’horizontalité (la mer, la
planche) générale. Instinct de survie se dote de surcroît d’un « alibi » écologique, pas assez
développé, lié au réchauffement climatique, explication de la présence du
squale en des eaux aussi peu profondes (d’où le titre original, plus factuel et
géographique, The Shallows). En matière de prédateur, le réalisateur ne se
trompe pas de cible (le grand poisson, espèce humainement menacée, faut-il
encore le rappeler), démontrant, sans didactisme ni angélisme, avec la figure
de l’ivrogne voleur, amputé en salaire du péché pour sa « non-assistance à
personne en danger », que l’homme reste le plus grand loup pour l’homme
(et la femme en situation difficile). On pense par conséquent plus à Seul
au monde (surtout mémorable via
son placement de produit pour FedEx) qu’à Spielberg relisant Moby
Dick
avec le succès que l’on sait. Ce survival
au féminin (riche lignée) ne s’égare jamais dans les bas-fonds du sous-genre,
évite le gore ou alors le pare d’une
étrange beauté de chirurgie, de calligraphie (pendant la première attaque,
Nancy colore l’eau de son sang, élégant ballet de mort aux faux airs de giallo). La double nature
d’émerveillement et de danger nimbe ainsi la séquence des méduses, à la fois
protection contre l’adversaire et cause de brûlures liquides, tandis que le corail
déchire ses pieds (Andersen bis, la
fille du fleuve, trop humaine, comme lacérée à chacun de ses pas).
Tout autour de l’ange bronzé, au sens
pratique affirmé, la mort prélève son tribut banal, de la baleine échouée, abri
pourri provisoire, au couple masculin de surfeurs pas dragueurs ; l’indifférence
ou l’invisibilité semblent condamner à un sort fatal notre vacancière, pourtant pourvue d’un
pistolet à fusées de détresse. Seule présence réconfortante,
une mouette blessée, soignée, drolatiquement baptisée Steven Seagull, complice
biblique (colombe de Noé) revue in extremis une fois la plage regagnée,
Nancy paradoxalement sauvée par une chaîne l’emportant à toute vitesse vers le
fond, Fée Clochette légère et singulière en gracieuse esquive de l’ancre
dressée. Le film pouvait s’achever sur son visage en plongée, rescapée au bout
des cent quatre-vingts mètres à peine la séparant du rivage, voyant sa mère lui
sourire, lui disant en retour que tout va bien, dans l’oubli de la gangrène et
du message d’adieu enregistré à la GoPro. Cette fin « malheureuse »
et inexorable (« On connaît tous le dénouement » dit la trentenaire
solitaire à son père dématérialisé) demeurait cependant impensable à Hollywood,
en dehors du cinéma indépendant et quasiment homemade (cf. notre texte sur l’attachant Open Waters : En eaux
profondes, clos où s’ouvre l’opus
d’aujourd’hui, par un témoignage audiovisuel d’outre-tombe). Cette sécurité
diégétique et symbolique protège « en toute conscience » de cinéphile
la survivante sur son rocher, atténue l’impact des blessures ou la dureté du
contexte, bien rendus après des incursions concluantes dans l’horreur (La
Maison de cire et Esther). Inutile non plus de
chercher au soleil sableux ou dans le froid de la nuit blanche la mélancolie
virile de Sans identité ou Non-Stop, attribuable en grande
partie à Liam Neeson (les femmes résistent toujours mieux que les hommes, vous
confirmeront les psychologues, à moins de succomber sous leurs coups, bien sûr).
Collet-Serra (en remplacement de
Louis Leterrier, ouf) filme sa fable abstraite et spectaculaire de résilience
avec adresse, énergie, attention et compassion, une sensualité diffuse des
paysages trompeusement touristiques, du corps sculptural ou meurtri, que vient
contrebalancer un réalisme tempéré (tournage essentiellement en
« réservoir »), épris de brièveté (les quatre-vingt-six minutes
passent vite). Bien porté par une Blake Lively (vue notamment dans The
Town)
modeste, sportive, constamment crédible, Instinct de survie – à ne pas
confondre avec son homonyme en VF, drame ésotérique et pubertaire plutôt raté
de Luiso Berdejo, en dépit des méritoires efforts de Kevin Costner – connut un
succès mondial mérité, car il ne méprise à aucun instant le personnage
principal ni le spectateur venu frissonner en plein été ou après. Logiquement,
cette esquisse (un vrai portrait impliquerait davantage de profondeur) d’une
femme entravée (à sa planche, à son passé) puis libérée (au prix fort) s’achève
par une reprise de l’acte originel, se jeter à l’eau, cette fois-ci en duo avec
une ado, et l’explicite « I don’t wanna die » vocal de la
valeureuse Sia (Bird Set Free), compatriote de Kylie, retentit en paraphe ou
moralité, bientôt supplanté par la partition idoine de Marco Beltrami, légitime
et parfois empreinte d’un lyrisme éphémère, en surplomb de formes marines
étranges et ravissantes, autant que certaines toiles de Nicolas de Staël. Be moved
ordonne la coda de la Columbia au générique – à défaut de remuer longtemps,
l’avant-dernier film de Collet-Serra, depuis retourné « aux affaires »
en bonne compagnie (Vera Farmiga & le fidèle Liam), s’avère un agréable
moment de dénuement, une parenthèse d’athlète, un récit élémentaire au sein des
éléments privilégiant le physique à la métaphysique. Nancy, femme sans enfants,
sans avenir (tracé), survit à sa rencontre radicale avec autrui, un ennemi fragile
émigré trop près, défié au chronomètre, y gagne une sorte de renaissance, de
seconde chance, petite fille enfin grandie au cours de l’éprouvante nuit du
long week-end australien.
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