La blonde contre-attaque


Au grand dam de Pam, sa mise en garde pèche par mégarde…


Pamela Anderson, charmante amnésique canadienne, apparaît dans le dernier « vidéogramme » de l’inénarrable Julien Doré (Gustave doit se retourner dans sa tombe ou s’enfuir dans ses gravures), qui la rejoint sur une moto nanifiée (« empreinte carbone » réduite, of course) au bord d’un lac languissant où elle l’attend et se retourne vers lui, vers nous, pieds nus et robe immaculée, gentiment décolletée, dans sa blondeur de cheveux, dans sa blancheur d’ongles, un sourire et une étreinte angéliques à la clef, tandis que le « chanteur » regarde au loin, fier comme un pape de télé-crochet ou le solitaire romantique en surplomb de son précipice immortalisé par Caspar David Friedrich (Le Voyageur contemplant une mer de nuages). Monté en mode MTV (surdécoupage hystérique et absurde, donc), la chose audiovisuelle hésite entre le clip de campagne (jeu de mots) pour EELV, la balade en drone et le home movie pour un OTSI. David Hamilton (ou son fantôme) dut apprécier l’épilogue, si mignon, si sentimental, si référentiel (Alerte à Malibu sans le maillot rouge mais avec une humidité toute féminine), si fantasmatique. Auparavant, flanquée d’un médiatique rabbin, la  belle sirène co-signa une tribune publiée par le très sérieux (?) Wall Street Journal, pour révéler tout le bien qu’elle pensait de la pornographie – 31 août oblige, fin de l’été arrivée, il fallait bien passer à des choses sérieuses, songer à alerter l’opinion publique en duo chic et choc. Ms. (pas Miss ou Mrs., trop orientés, révélateurs, « discriminants », selon la vulgate néo-féministe, sa volonté de purification lexicale, déjà moquée par Cronenberg au siècle dernier, avec le mot litigieux fireperson, coupable d’afficher un suffixe trop masculin) Anderson, définie en model, author et actress (trinité sainte, lucrative, du paraître et de la respectabilité au sein d’une société du spectacle généralisée) implore dans le chapeau de son article la nécessité d’un honest dialogue on the dangers of pornography, formulation « explicite » du contenu infra.


Au vu de sa brièveté, de son « inanité cosmique », dirait Gide, davantage porté sur les jeunes adolescents du Maghreb que sur une ancienne playmate « poumonée », accessoirement sauveteuse ou détective de série, « hardeuse » (à l’insu de son plein gré) de sex tape tristounette, désormais VRP de PETA et du « véganisme », y compris à l’Assemblée nationale, deux cerveaux s’imposaient, en effet. Partant du fait divers de l’affaire Anthony Weiner (divorce dans le sillage d’un triple sexting scandal), le texte souligne l’accessibilité hégémonique du X, sa nocivité morale et sociale pour les adultes et les enfants. Afin de défendre urgemment l’âme profane de l’homme, du mari et par extension du père, de sauvegarder les bambins d’une plongée précoce dans la dark side of adult sexuality, d’éviter leur exposition intempestive aux profanations paternelles, le tandem déploie une batterie de statistiques terrifying sur la supposée addiction sexuelle aux images dites adultes (fusion et confusion des deux types de « toxicomanie »), pathologie touchant aussi bien les hommes que les femmes, celles-ci néanmoins en partie sur le chemin de la guérison, sur la voie de la rédemption, puisque many female fans of pornography tend to prefer a less explicit variety, and report that it improves their sexual relationships (douceur féminine bien connue, cliché sexiste malmené par une Ovidie sur son blog, de surcroît dans le registre saphique avec exemples à l’appui). Plus difficile à quitter que la marijuana, cette imagerie (honnie itou par le parti républicain) accoucherait de crack babies of porn cherchant bientôt d’incessantes stimulations supérieures, un peu comme Max Renn dans Vidéodrome, troquant le sperme contre le sang, le hardcore au profit du snuff, la mort filmée au lieu de la « petite mort » intime.

Tout en pointant l’idiosyncrasie psychologique de l’homme politique cité supra, Pam et son rabbi (moins drôle que le Jacob de Gérard Oury) se permettent un paragraphe sociologique, dans lequel ils élargissent le problème à too many men, especially in the U.S. or other Western countries that enjoy liberal values and material prosperity (on croirait lire l’argument de Chute libre avec Michael Douglas en salary man puis sniper). Reconnaissant le cours irréversible (vade retro, Gaspar Noé) de la technologie, le fait qu’aucune législation ne saurait refermer la Pandora’s box of pornography (ah, Ava et son Hollandais volant), nous deux improbables collaborateurs plaident pour un honest dialogue (bis) à propos de la true nature du « porno » et un honor code dans l’intérêt collectif des individus, des familles et des communautés (de la « communauté internationale », n’en doutons pas). Finie la « révolution sexuelle » des seventies, escortée par les gender rights et les libertés diverses, place à la sensual revolution, promesse d’un epochal shift in our private and public lives (changement majeur d’une pratique interdite aux mineurs). La double coda procède par permutation et union : l’érotisme supplanterait la pornographie, l’amour s’allierait au sexe, le physique à la personnalité, la machinerie du corps à l’imagination, l’orgasme aux relations interpersonnelles. Il s’agit de prendre conscience de sa propre valeur, de son intérêt premier, d’apprendre en définitive, à nous-mêmes et à nos enfants, que  porn is for losers—a boring, wasteful and dead-end outlet for people too lazy to reap the ample rewards of healthy sexuality. Amen et alléluia, rajouteront les plaisantins de sacristie, tant le prêche digest baigne dans des relents de moralisme, de religiosité, d’hygiénisme, d’eschatologie spermatique.


Protection de la sacro-sainte famille (le foyer, sanctuaire anxiogène où se déroulent souvent les viols classés conjugaux, les incestes pédophiles ou pas, l’actrice devrait le savoir mieux qu’une autre), de l’enfance toujours en danger, de la riche société menacée par l’ennui, le divertissement avilissant, au risque d’une réputation ou d’une carrière (les chômeurs par conséquent autorisées à mater, à se masturber ?) : antienne lancinante depuis près de cinquante ans, l’hexagonal François Chalais attribuant même aux « pornocrates » de son temps le manque de financement des films de Fellini. Tandis que Manuel Valls, amateur sanguin de sein républicain dénudé, défend l’interdiction du « burkini » (tenue de plage impudiquement échancrée), en riposte à l’émoi égalitaire du New York Times (l’hôpital des lois discutables post-11-Septembre se foutant de la charité juridique, disons), Pamela Anderson & Shmuley Boteach (author, TV host and public speaker, intime de Michael Jackson, fan de la présence israélienne à Hébron) nous incitent à tous nous rhabiller, surtout en public, à ne forniquer que dans le respect de la personne et des « liens sacrés du mariage », à nous refaire une santé de chasteté, à nous aimer les uns les autres dans le bon goût d’une sexualité saine, épanouissante, normée, psychologiquement, culturellement et religieusement reconnue (pas de ass to mouth s’amusait Kevin Smith dans Zack et Miri font un porno).


Le « porno », pour les perdants et les paresseux ? Pourquoi pas, mais suggérer qu’il existe dans le domaine sexuel et sentimental des gagnants et des bien-portants relève au mieux de l’esprit compétitif (l’un des masques du capitalisme US), au pire d’un eugénisme light, politiquement correct. Les lectrices et lecteurs du Miroir des fantômes connaissent notre point de vue sur la pornographie, sur ses enjeux par rapport au cinéma, et nos (modestes, méta) réflexions sur le sujet jamais ne s’apparentèrent à une apologie, ni à un anathème. La question, complexe et cruciale, mérite mieux que ce brouet bio, convenu, stérile, manichéen et vaguement misandre, commis à moitié, dans un style insipide, par un sex symbol quasi quinquagénaire paraissant mener un alarmiste, amer et dérisoire combat d’arrière-garde. Oui, la pornographie, tel le reste du « septième art », d’ailleurs, et à l’instar du monde entier, donne envie d’une réinvention radicale, détaillée, adulte, vivante, émouvante et intelligente. Cela, pourtant, n’équivaut pas à ce genre de prose et de pose, de mea culpa de classe maternelle à l’ombre de la Torah. Si l’inoubliable Emmanuelle Riva ne voyait rien à Hiroshima, on peut affirmer, hélas, que la chère Pamela Anderson n’avise rien non plus, en particulier dans la San Fernando Valley, notoirement parcourue par les virtuels touristes cosmopolites épris de turpides ensoleillées et attristées… 
          

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