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Aller au cinéma ou le laisser venir à soi ? Chiner à satiété ou se soumettre aux volontés de la Chine ? Pratiquer une rassurante inertie ou s’aveugler d’avoir trop vu ? Méprisons le manichéisme et détaillons les mécanismes du « film-réalité »…


Un article court de l’AFP, intitulé La salle de cinéma de demain, un lieu de vie hyperconnecté à son public, signé Sophie Laubie, daté du 27 septembre 2016, relayé un peu partout, d’ARTE à Sciences et Avenir en passant par TV5 Monde ou Le Parisien, nous apprend deux ou trois choses (dirait Godard) sur le futur d’un espace, d’un art, d’une industrie et d’une géographie. Le texte se base sur un rapport de Jean-Marie Dura, « ex-directeur général du réseau UGC et de la société spécialisée dans le numérique Ymagis », baptisé La salle de cinéma de demain et « remis à la présidente du Centre national du cinéma (CNC) Frédérique Bredin ». Cet exemple typique, pour ainsi dire, « d’information secondaire », de parasitisme médiatique (triplé par le texte que vous lisez), contextualise la problématique – 40 000 nouvelles salles mondiales sur une décennie, avec un essor spectaculaire en Asie – et rassure dès l’ouverture : « la salle de cinéma a un avenir », mais « dans un contexte de profondes mutations », « elle doit relever de nombreux défis ». Ainsi, les salles de cinéma du globe vont revenir « en centre-ville », via « des cinémas haut de gamme, très urbains ». Tandis que les multiplexes s’orienteront vers le « spectaculaire », miseront sur « plus de technologie », associeront la 3D au laser, à l’immersion du son, de la réalité virtuelle, se dotant de sièges spacieux, inclinables et espacés (on pense aux « chaises électriques » en velours de William Castle), déployant une programmation « enrichie de contenus alternatifs attractifs pour les jeunes, comme le e-gaming (tournois de jeux vidéos) et les séries TV » (notez l’explication pédagogique et générationnelle de l’anglicisme), la salle affichera (ah, ah) une fichtrement forte « identité architecturale », démonstrations de designers connus ou détournements de bâtiments industriels recyclés.



Les cinémas 2.0 comporteront plusieurs services, tels repas dans la salle (à la mode aux USA, semble-t-il), garderie, librairie ou bar avec crus haut de gamme et produits bio, bien sûr. « Lieux de vie et de rencontres », elles accueilleront des expositions et des concerts, convieront le public à participer au financement de l’établissement ou des animations. Face à la concurrence de la technologie à domicile, le cinéma d’extérieur va jouer à la fois sur le « hors film » (spectacles dits vivants retransmis, par exemple un opéra) et le « hors écran » (site informatique de la salle sur lequel trouver des contenus en VOD, transposition à grande échelle des bonus du DVD ou du BR). Les exploitants se verront sommés de « développer un véritable savoir-faire en matière de communication digitale », experts dans une « connaissance fine du spectateur » (dico de commerciaux), spécialement juvénile.  L’objectif (la cible) ? « Aller chercher le spectateur là où il est », c’est-à-dire sur la Toile, les réseaux supposés sociaux et les captivants cellulaires. Encore peu développée en France, contrairement au Royaume-Uni (un achat sur trois), la billetterie virtualisée se devra d’être « performante » (vocabulaire de manager). Dernier acteur majeur convié à la prospective : la Chine (plus de 50 % du trafic numérique des places, grâce à la téléphonie ou au commerce en ligne). Le rapporteur paraît s’émouvoir de l’émergence du marché asiatique, notamment chinois, où l’on perçoit le cinéma en « loisir de masse », de ses effets sur le reste de la planète du « septième art » (blockbusters calibrés pour les yeux « bridés », mainmise sur les circuits européens, suprématie du divertissement). En conclusion, un constat de « consolidation », « aux niveaux régional et mondial, qui aboutira à la création de cinq ou six grandes chaînes internationales », obligeant les petits opérateurs à « se différencier toujours plus ».



Formulons de façon un peu crue la double morale de la fable financière : « l’exception culturelle » peut aller gentiment se faire enculer, particulièrement au pays du canard laqué. Tout le monde parle déjà américain, au cinéma et au-delà ; bientôt, il faudra se réinventer Chinois et se mettre fissa au mandarin (succès de cet enseignement à l’école hexagonale). Par ailleurs, l’antiquité localisée de la projection connaîtra un deuxième souffle (avec ou de préférence sans Jean-Pierre Melville), au prix de sa modernisation de gadget et de la redéfinition de son statut en salle polyvalente améliorée. À l’annonce de cette utopie urbanistico-économique, les utilisateurs de streaming se marrent et le fils de Marin Karmitz s’empresse de serrer la main à Jia Zangke (dénonciateur amnésique des ravages vengeurs du capitalisme continental dans A Touch of Sin), la noce sino-française scellée par un accord contractuel entre MK2 et Fabula Entertainment, concernant la co-production, la distribution, l’exploitation et le développement de contenus non analogiques. De leur côté, la Warner établit en 2006 un joint-venture avec China Film Group Corporation pour accoucher de Warner China Film HG (Connected en jolie vitrine) et déploie là-bas la VOD, rognant les tarifs de ses galettes binaires pour s’aligner sur la tradition nationale du piratage, Disney ouvre à destination des classes moyennes un immense parc d’attractions à Shanghai, largement financé par le PC (cahier des charges des manèges et de la référence culturelle), avec déplacement d’habitants, de cimetières et création d’une ligne de métro directe à la clé, pendant que le conglomérat Dalian Wanda s’unit à Sony dans le sillage du rachat de Legendary (dérogations possibles à la politique des quotas, censure douce en amont dès le scénario).



On peut certes continuer jusqu’à la fin des temps advenue – « l’enfer est vide, tous les démons sont ici », soutenait l’aimable Bill Shakespeare dans sa Tempête en mode Strindberg (Inferno) – à écrire (réfléchir, chérir, honnir) sur l’épuisante et désolante actualité des sorties, à se complaire dans la nostalgie en noir et blanc (arty ou pas), à creuser des « niches » de « genres » ou de « courants » (« l’horreur » et le « cinéma d’auteur », au hasard), à pisser de la copie pour des revues papier que plus personne ne lit (nombre de mots limités, en miroir des cordons de sécurité policiers lors des manifestations autorisées – contemplez l’allure bien dressée de nos démocraties d’aujourd’hui). On peut aussi et a contrario choisir de regarder la réalité des films et du monde bien en face, quitte à se crever ensuite la pupille à l’image d’Œdipe, si tragique de sa vérité irréversible. Bienvenue dans le complexe vingt-et-unième siècle, camarade cinéphile. Des temples scopiques surréalistes t’attendent pour te donner la trique et ta dose hebdomadaire (ou quotidienne) d’opium audiovisuel. Le dragon tigré rugit avec une exquise calligraphie, sur le point de te bouffer en ogre permuté par l’économie de marché mondialisée (après l’Oncle Sam colonisant tout, y compris les imaginaires, les langages, les conflits armés et les sexualités, voici venu le temps de la Grande Muraille, depuis des lustres éveillée, bien réveillée, n’en déplaise à un certain Alain Peyrefitte). Le cinéma, cela va de soi, n’existe pas pour te raconter des histoires (alibi rassis du récit), pour te faire passer un bon moment d’évasion (spoliation d’attention, des précieuses secondes perdues dans un simulacre insipide, à en devenir iconoclaste), pour te rendre adulte (leçons diverses assénées à de grands enfants si peu sauvageons, au fond) : il convient avant tout et surtout de s’enrichir, d’alimenter le flot des devises et des prises, de marchandiser l’ensemble de l’existant et du spirituel, ta misérable identité, religieuse ou laïque, incluse. Penser le cinéma nécessite d’appréhender le phénomène dans son intégralité, en une sorte de cristallisation critique panoramique (un littéraire se pique de chiffres, appréciez l’ironie). Enfin prêt pour le grand déballage, le grand silence ou le grand saut ?

Commentaires

  1. J'ai l'impression que tu vas te fâcher avec JOHN WOO et ses compatriotes JIA ZANGKE and-co, non plus sérieusement je vois très bien ce qu'il se passe en ce moment mais si c'est pour nous refaire des remakes (CONNECTED) zéro pointé mais ils n'arrivent plus à faire de bon films a part JIA et encore car j'ai regardé dernièrement STILL ou A TOUCH OF SINE j'ai pas aimer, c'est comme si tu faisait des reportages dans des endroit reculé de la Mongolie ou au LAOS. On sait tous que la vie est dure. BENNY CHAN (pour ne pas l'oublier) est un sous réalisateur de films d'action que je n'ai jamais trouver bon, je préféré LES RUES DE FEU de WALTER HILL, et pour finir les Américains qui n'arrivent plus à inventé de film sans effets spéciaux ont commencer à travailler avec les Coréens qui réinvente une partie du cinéma qui avait disparu EQUALIZER ou JOHN WICK sont THE MAN FROM NOHWERE déguisé d'ailleurs le dernier KIM JEE-WOON (THE AGE OF SHADOW)est produit par la warner déjà celà a commencer mais à qui la faute? au américain et malheureusement à JAMES CAMEROUN qui a révolutionner les effets spéciaux mais ont à aimer TERMINATOR ou ABYSS et c'était tout beau tout neuf, SPIDERMAN sans parler de tous les autres qui envahissent les séries télé ont ne croyait jamais le voir comme cela dans les années 80:90,mais moi j'avais déjà dans la tête de faire des séries comme celà quand j'était plus jeune,je l'avait anticiper comme j'avait anticiper que le monde au lieu d'évoluer il aller régresser c'est ce qu'il ce passe, mais restons dans le ciné, JOHN WOO a révolutionner le polar ils ont fait pareils et maintenant que la chine a part le dernier pour moi c'était INFERNAL AFFAIRS qui à était fait en remake et l'injustice à rattraper le cinéma américain lorsque ils on donné l'oscar à MARTIN SCORSESE alors que il le mériter 100fois pour avoir innover un nouveau cinéma avec MEAN STREET et TAXI DRIVER maintenant il y a de quoi faire en Corée sous les dynasties ils vont en faire en profusion je te l'annonce, et tu sais que je suit beaucoup le cinéma Coréen, pour en finir si ils font ce que j'ai lu et bien je me demande ce qu'il va falloir inventer dans les années 2050,La chine s'implante ok mais ils ne font plus rien de bon a part 2 réalisateur, on n'en reparlera car là il est tard (ou tôt)et j'avais besoin d'un conseil pour mon blog mais ont reparlera de cette histoire car plus personnes n'a de solution, et pourtant je t'en donnerais, comme là c'est les petits pays comme la Thaïlande et a côté de chez eux qui commence a envahir les sites.

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    1. "Qui aime bien..." : tu connais la suite ; et mon amour du cinéma d'Asie ne va pas jusqu'à se féliciter d'un nouveau monopole (émergent), ou d'une collusion entre deux industries (et deux pays) détenteurs des premiers marchés mondiaux en nombre de spectateurs (sans parler de la question démocratique, sensible chez l'un et l'autre, sous des visages certes différents).
      Par ailleurs, mon texte comporte, je l'espère, en tout cas, suffisamment d'ironie et d'humour (même en colère) pour éviter de récolter tout soupçon (ou alors, vraiment mal intentionné) d'une quelconque "discrimination" (et les dizaines d'articles consacrés à cette filmographie devraient constituer un éloquent témoignage).
      L'état du monde contemporain, sur grand écran et au-delà ? Je parle aussi de cela ici, car le cinéma ne l'oublie pas et moi non plus - l'esthétique, l'économique, le politique et le métaphysique ne font qu'un, à mes yeux et selon mon clavier.
      Moins fan que toi de Hill, bien que j'apprécie par exemple son Sans retour.
      Tu sais ce que je pense de Connected et tu connais mes réserves envers Scorsese (dont je prise plutôt les portraits de femmes que de gangsters) ou Cameron (malgré le mémorable strip-tease de Miss Curtis face à son sidéré Arnold dans True Lies)...
      Oui, on assiste un peu à un jeu assez sinistre de copier-coller entre les continents, à un tarissement d'inspiration suivant les saisons. Mais gardons espoir, le cinéma mondial continue à vivre (ou à survivre) et nous réserve sans doute encore quelques belles surprises.
      On se dit donc à très vite pour de nouvelles pépites, et merci bien pour ce long commentaire écrit en effet à une heure tardive ou matinale !

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