Trois visages + Hidden : Femmes Femmes
Suite à leur visionnage sur le site d’ARTE, retour sur les titres de Jafar
Panahi.
Le croisement de Où est la maison de mon ami ?
(Kiarostami, 1987) et du Goût de la cerise (Kiarostami, 1997) ?
Le prolongement, voire le développent, de Taxi Téhéran (Panahi, 2015) ?
Bien sûr et bien davantage. Si Bava, autre cinéaste méta, filma autrefois, par
trois fois, au féminin l’effroi (Les Trois Visages de la peur, 1963),
Panahi (s’en) va vers la vie, se focalise sur des formes de féminité, par
ricochet de masculinité. Trois visages (2018) s’ouvre sur un
vrai-faux snuff movie, un suicide d’adolescente, d’actrice aspirante, servi au
cellulaire, au sein du (presque sous)terrain platonicien et utérin d’une grotte
ad hoc, en écho sans eau à la
pareille du compatriote Mohammad Rasoulof (Un homme intègre, 2017). Comme
Herzog (La Grotte des rêves perdus, 2010), cet espace a priori de pendaison, donc de
définitive renonciation à ses aspirations, possède sa propre puissance de
résistance, de survivance, il recèle un passé non plus préhistorique, rupestre,
mais cinématographique, rural. Panahi explore ses siennes parois, celles séparant
les sexes, les contextes, parcourt sa peinture de (pas si) douce usure et in extremis de rupture. Après le premier
plan-séquence de monologue à distance, d’outre-tombe, un second use du
dialogue, affirme sa fixité, sa minimaliste virtuosité, nocturne leçon de scène
classée d’exposition. L’auteur acteur traducteur producteur mis en abyme, qui ne déprime,
même interdit de voyager, diktat des autorités, même collé au creux de
l’habitacle assurant sa « sécurité », affiche fissa trois femmes,
dont deux au téléphone, une actrice, bis,
une réalisatrice, sa génitrice, fichtre. N’en déplaise au patriarcat d’ailleurs
ou de là-bas, l’assez superbe Behnaz Jafari, relookée en vedette à lunettes d’un
Plus
belle
la vie en azéri, conduit le récit, un peu au propre, brève brouille du
chauffeur peut-être suspect, de la passagère perturbée, surtout au figuré, à la
suite de l’indocile fifille prénommée Marziyeh (Rezaei).
Notre beau duo de citadins guère
sereins visite ensuite un village où parler turc, tant pis pour le persan. Le
routier retourne à la terre de ses ancêtres, à sa « langue maternelle »,
tandis qu’une vieille bien vivante, stoïcienne sans le savoir, s’enterre en
plein jour et allume le soir sa lampe pour se protéger des « serpents ».
Entre hospitalité, hostilité, problèmes de gaz, d’électricité, d’eau, problèmes
familiaux, il s’agit de sauver, sinon de ressusciter, une « saltimbanque »
clivante, reçue au (de la) capital(e) conservatoire, ô parental désespoir.
Fiancée à un déserteur indécis, flanquée d’un frère féroce, gare à la grosse
pierre, elle ne lapide, fi du « féminicide », elle brise le
pare-brise, belle ellipse, la simulatrice vite absoute, complice, déterminée,
pas « écervelée », trouva refuge auprès d’une ermite à son arrivée
emmerdée par le maire, la communauté, elle-même étoile éteinte, artiste
invisible, passée de la toile de l’écran d’antan, prérévolutionnaire, à la
toile du tableau en plein air. Kiarostami vadrouillait Au travers des oliviers
(1994), encore un conte local, une réflexive et féminine fable affable, selon
laquelle le ciné faisait aussi rêver, a
fortiori les jeunes filles en fleurs (dé)voilées, Panahi se gare à
proximité, réveillé en stéréo par des coups sur le capot. Les inégalités
sexuées du recoin iranien justifieraient de fait un féminisme actif, réactif,
et l’on sent un soupçon de misandrie dans les dits de Marziyeh & Shahrzad.
Cependant la première pourrait « convaincre » de sa vocation pas à la
con son soldat démissionnaire, la seconde laisse au conducteur assoupi un
souvenir joli, lui cède en sus un CD de sa poésie. Trois visages pouvait
s’achever sur le retour au foyer, sur celui du père apparemment « moins
borné », toutefois il ne (se) finit pas comme cela.
Portrait d’une (sur)virilité conservatrice,
dangereuse, dérisoire, condamnée à être dépassée, cf. les motifs drolatiques,
explicites, symboliques, du « taureau étalon » tombé, immobilisé, du « prépuce »
superstitieux pieusement conservé ; plaidoyer pro domo pour la liberté de penser, de se déplacer, de jouer,
d’imaginer ; éventail ludique et mélancolique de femmes fréquentables, à
la Cukor & Mankiewicz, le film de Panahi et son co-scénariste Nader Saeivar,
script au passage primé à Cannes,
opte pour une fin ouverte, une fuite gaie, triste, à contre-courant du
débarquement des festives « génisses ». Surcadrées par la vitre de la
voiture statique, les deux héroïnes matérialisent le mouvement, la marche,
l’exil, les retrouvailles sur fond de métaphoriques funérailles, reproduisant à
l’instant l’éloignement des parents du réalisateur observateur. La
tragi-comédie aérée, très maîtrisée, se poursuit en sourdine via Hidden (2020), ouvrage d’une voix
dépourvue de visage, merci à la maudite dame « du mollah »,
complément du documentaire à la fiction, reprise du personnage de la chanteuse
malheureuse. Cette fois-ci en compagnie de sa fille à lui, ici co-cadreuse
malicieuse et studieuse, Panahi escorte une théâtreuse pas prétentieuse, en
quête illico de son empêchée « soprano ». En un quart d’heure de calme colère et de convivial cœur, Jafar se confronte à
la (dé)figuration, un drap blanc étend, derrière lequel s’élève soudain un
vibrant vibrato. Sur le vide de l’accessoire d’une autre (pré)histoire, celle
d’un ciné délocalisé, en communauté campagnarde ou cannoise, s’aperçoit le son,
s’impose la trace d’une émotion, s’improvise la possibilité d’un horizon et
par extension se prophétise la défaite des (quelques) mecs infects, se
visualise la victoire des femmes fortes, pardon du pléonasme, des muses
insoumises, des amies pas à demi, qu’elles vous dévient, vous envient, vous vouvoient
ou pas…
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