Le Dernier Témoin : Le Grand Alibi

 

Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Wolfgang Staudte.

« Film à thèse » filant droit et direct comme une flèche, Le Dernier Témoin (1960) séduit aussi en whodunit germanique, en mélodrame maternel. Tendu dès le début, il prend ses distances vis-à-vis de l’artifice et la police, pas seulement celle des « romans policiers », justement, dont se méfie le flic en train de fureter. Il s’agit bien sûr cependant d’une réalité tout autant stylisée que celle des « krimis » écrits ou filmés en série. Il s’agit en sus d’une sorte de codicille habile à Des roses pour le procureur (Staudte, 1959), autre item de procès, autre satire de la pseudo-respectabilité, d’une modernisation de saison des Bourreaux sont parmi nous (Staudte, 1946), de son industriel criminel insoupçonnable puis soupçonné, à main armée menacé. Nonobstant notre cinéaste inverse les sexes : la victime s’avère cette fois-ci une femme, un homme va la sauver, récuser la possible « réclusion à perpétuité ». Par assuré altruisme, par désintéressé idéalisme ? Pas vraiment, n’omettez pas de mes honoraires le montant presque exorbitant, plutôt par conviction(s), celle, essentielle, « existentielle », de l’innocence de l’illico accusée, celle, contextuelle, professionnelle, s’efforçant de réformer un système judiciaire défaillant, effarant. Son infanticide fissa requalifié en homicide, Ingrid affronte vite, au terme de sa course effrénée, effarée, dans la rue escortée en caméra quasi cachée, l’immobilisme et le moralisme de gens bien-pensants, bien-puants, qui la confondent avec une catin à cause de clichés disons dénudés, pudiques, pragmatiques, pas érotiques, pas pornographiques, de ses amants multiples, série certes lasse, sinon cynique, interrompue par un accès de romantisme imprévu et ensuite une grossesse subite. Mais l’aimable Rameil, en panique appelé, à peine interrogé, au tribunal représenté, in fine défait, possède les traits de Martin Held, le notable coupable et procureur précité, témoin malsain in extremis lui-même confondu, au sens pénal du terme, fuite inutile, désaveu de sa dame lucide, magnanime, peut-être suspecte.


Mademoiselle Bernhardy, elle-même « fille naturelle » et interprète experte, à présent dépourvue d’activité, voire de revenu, voire entretenue, en déduisent les forces surtout masculines d’expéditive police, le premier juge, le deuxième, le troisième, on (se) fait passer ses photos, voyeurisme de facto, on se défend de porter un moral jugement, petit exercice d’infect pharisaïsme, doit sa défense et son salut au rusé Fox, renard parmi les renards, avocat perspicace, tenace, cf. le drolatique et déterminant déterrement du beau-père du testament, merci à son « assesseur » du « deuxième sexe », assistante malicieuse, voyageuse. À la géométrie très teutonne des compositions des cadres au cordeau répond le triangle itou rectangle des personnages principaux, puisque le vaudeville viré au drame, au fait divers, à la chronique tonique et critique des déboires de la « détention provisoire », comporte en plus un toubib épris, un peu paraît-il trahi, qui va passer deux mois au mitard, sa libération discrète, honnête, à quoi tient votre santé, à une tasse de café, à un repos ensommeillé, arrive trop tard, scandale médiatique, démission logique. Stephan fera les frais de toute cette légale folie, misérable tragi-comédie à base de divorce assuré, refusé, instrumentalisé, de gosse étranglée, prénommée Christiane, les cathos n’apprécient pas trop, troquent l’innocence adulte en danger contre les selon Matthieu mimis innocents massacrés. Co-écrit par Robert A. Stemmle, le scénariste (avec Spaak) de La Kermesse héroïque (Feyder, 1935) ou de On a tué Sherlock Holmes (Hartl, 1937), se basant ici sur un documenté récit épisodique, journalistique, de Maximilian Vernberg, porté par un quartette jamais obsolète, mentionnons les noms supplémentaires d’Ellen Schwiers (La Vache et le Prisonnier, Verneuil, 1959 ou Fedora, Wilder, 1977), de Jürgen Goslar & Hanns Lothar, Le Dernier Témoin s’avère ainsi un solide divertissement assez intelligent, un portrait de femme à décharge, un exemple de ciné délesté du dérisoire souci de la sociologie, pourtant pourvu d’un investissement « civique » bienvenu.


Ni Hitchcock, celui du Procès Paradine (1947), ni Clouzot, celui de La Vérité (1960), ni Welles, celui du Procès (1962), en aucun cas Cayatte et ses didactiques études de cas, Staudte épure son opus pertinent, pas d’antan, démuni de musique, muni d’une amertume à la limite du christique, bis, le final « tout est terminé » en relecture laïque, inique, du fameux « tout est consommé », l’affreux sacrifice du vénère Werner en écho à l’homologue d’Abraham. Le nazisme, on le sait, enrégimentait la jeunesse ; une trentaine ou une quinzaine d’années après, la prise du pouvoir, la cessation des hostilités, le capitalisme ne saurait renoncer à ses actions de société, à ses mauvaises actions de bonne société, mission d’illumination du cinéma, dévoilement-dessillement accordé in situ durant un estimable moment méta, où les valeureux visages, faces vues de profil, se voient éclairés, enténébrés, au moyen d’un projecteur de poche, signature sans imposture d’un esthétique et heuristique, poétique et politique « cinoche ». 

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