Le Beau Serge
Un métrage, une image : La Faute de l’abbé
Mouret (1970)
Mouret mourait, Albine le
ranime : l’abbé amnésique, serviteur cadavérique, convalescent désarmant,
découvre les délices d’un jardin évidemment édénique, verse sa sève au sein si
saint de sa nouvelle Ève ; (sur)veille hélas le dégueulasse Archangias,
mauvais archange in extremis châtié de manière ad hoc
à la van Gogh. Co-adapté par Jean Ferry, collaborateur de Clouzot &
Christian-Jaque, aussi scénariste du vampirique Les Lèvres rouges
(Kümel, 1971), éclairé par le fidèle DP Marcel Fradetal, musiqué par Jean
Wiener, Zola au cinéma cette fois ressemble à ça, à un conte défait de
fanatisme provençal. Premier film en couleurs de Franju, ici assisté de Bernard
Queysanne, La Faute de l’abbé Mouret s’ouvre sur une scène de sexe
champêtre et comporte deux poitrines topless,
nous voici bel et bien sur le seuil des explicites seventies. Mais comme le contemporain David Lean de La
Fille de Ryan (1970), le cinéaste des Yeux sans visage (1960)
témoigne de son temps à contre-courant, illustre un romantisme solaire et
sombre. Ni Bresson ni Pialat, l’inquiétude métaphysique ne l’intéresse pas,
davantage le sauvetage puis le naufrage par la sensualité, la féminité, a contrario
du bucolique Rohmer mimant Marivaux (Les Amours d’Astrée et de Céladon,
2007). À côté de son anticléricalisme déjà daté dès sa sortie, tant mieux, tant
pis, La
Faute de l’abbé Mouret développe la dialectique de
la pureté, de l’impureté, magnifiée par la fameuse masquée immaculée,
défigurée. Moins charismatique et plus incarnée qu’Édith Scob, Gilian Hills possède
sa propre part d’obscurité, demande à décéder sous une extase ombragée.
Ensuite, enceinte, esseulée, elle se suicide en silence, suffoquée par les
fleurs. Acteur débutant, convaincant Adam, Francis Huster ne supporte son sien
péché, plus encore ce souhait formulé d’en terminer ensemble au sommet de
l’acmé. Presque panthéiste et pragmatique, sentimental et satirique, l’item méconnu associe éducation et dressage,
deuil et dépouillement, Lumières et obscurantisme, virginité, insanité. On y
ressent la sensation d’étouffement de La Tête contre les murs (1958) et de
Thérèse
Desqueyroux (1962). Après un enterrement chrétien, à cause de la « loi »,
que cela plaise ou pas, Serge éprouve une épiphanie mystique, fait fusionner le
plâtre de Marie et la bouche d’Albine, victoire de la vaincue entre mysticisme
et lyrisme, en paraphe de la position marginale et centrale du frondeur Franju,
documentariste du réel et lecteur moqueur, capable d’en saisir les nuances de « réalisme
fantastique » et de pratiquer une poétique politique, car maître d’un
domaine d’amour et de mort, d’empathie, d’hypocrisie, de couples impossibles aux
funestes familles.
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