Les Nuits moscovites
Un métrage, une image : Témoin muet (1994)
Cette tragi-comédie située/tournée en
Russie repose sur l’astuce sonore du silence. Alors que l’horreur manie une
imagerie du cri, la maquilleuse américaine, tout sauf sereine, ne peut que se
taire sans pourtant (se) laisser faire, c’est-à-dire en sourdine et en solo filmer
l’enfer puis le commercialiser fissa, spassiba. Ici, vite on dévie de la livide
pornographie à la Żuławski vers le salissant snuff movie, du slasher très amateur vers le thriller d’imposteurs. La famille
cinéphile des sœurs et du beau-frère affronte la clique invisible des admirateurs
de mort(e)s mises en scène, immortalisées, remarquez le caméo d’Alec Guiness en
menaçant « Moissonneur ». La vie imite l’art, on va finir par le
savoir, la mise en abyme se mue en mise au tombeau. De la « petite mort »
à la grande, il suffit d’un instant, d’un plan, celui dédoublé des cinéastes
décidés à assassiner celle qui au chantage osait se risquer. Puisque la langue
s’avère impuissante, nécessite sur le set
la présence d’une traductrice, les yeux parlent pour eux, pour deux, regards de
sincère et donc insupportable désespoir découpés/associés en raccords axés de
triplée trinité. Du masque cherché, accessoire du soir, au masque du flic
infiltré, sauveur embrassé à voiture embrasée, du faux couteau de studio au
poignant poignard, aux balles à blanc, du sang sucré/salé à la poubelle remplie
de pellicule, les apparences changent, s’échangent, procèdent de la malchance,
prennent leur revanche. Pourvue d’un prénom masculin mais d’attributs féminins,
la survivante résiliente ne dit pas son dernier mot, ne cède la parole aux
froids et affreux fachos. Matée en hauteur, elle écarte les rideaux, elle
essaie d’attirer l’attention et le secours du saligaud, topless et fesses sveltes. Sur l’écran au carré se structure une
traque respectant la règle des trois unités, durant laquelle vouloir découvrir
une dangereuse disquette, converser au téléphone via un logiciel. Parsemé d’humour britannique, presque impersonnel
et au fond inoffensif, le métrage à hommages de l’éphémère Waller possède assez
de sagacité pour saisir que le réalisme passe parfois par l’allusif et que
l’imaginaire, en matière de mortuaire, supplante à l’occasion la
représentation, cf. le sidérant récit du sidéré policier, à propos d’une femme attachée
à un arbre, amputée vivante de ses quatre membres. Ni raciste ni moralisateur, Témoin
muet
retravaille à sa modeste mesure le mélodrame méta du Voyeur (Powell, 1960), film
intime sur et au sein de la terreur, cartographie un capitalisme décomplexé,
délocalisé, mondialisé, carburant au macabre. Au cours de ces nuits moscovites
iniques, obscurité de bobine et d’âme damnée, on salue en sus Marina Zudina et croise
le Yankovski de Tarkovski.
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