Pop Paradjanov

 

Katie & Stefani, Sergueï & Tarsem…

Deux chanteuses valeureuses, deux clips inventifs, un même hommage pourvu de dépoussiérage, à un cinéaste assez insaisissable : (re)voilà Katie Melua & Lady Gaga, femmes fréquentables et artistes cinéphiles, très bien inspirées par la poésie du pionnier Paradjanov, c’est-à-dire, en définitive, en partie par celle d’une troisième consœur du classé « deuxième sexe », à savoir une muse mutique et magnétique nommée Sofiko Tchiaoureli, l’actrice transgenre et polyvalente de La Couleur de la grenade (1969). Si Ketevan ne se voit, donne à entendre sa voix, Mademoiselle Germanotta se met en scène et se souvient aussi d’une certaine Frida. Si Katie partage avec Sofiko la Géorgie, Stefani en tandem avec Tarsem (The Cell, 2000 ou The Fall, 2006) frise la folie, l’increvable Le Magicien d’Oz (Fleming, 1939) relit ou revit, au passage déjà revisité par le sieur Singh durant les dix épisodes de sa série Emerald City (on aperçoit une seconde tornade via la vidéo de Chemtrails over the Country Club de la « louve » Lana). Au-delà de leur exotisme, de leur symbolisme, Love Is a Silent Thief et 911 séduisent aussitôt par leur lucidité, leur sincérité. Chacune dotée de son style, son succès, sa célébrité, le nombre de vues explicite et inique comparez, Katie Melua & Lady Gaga matérialisent un imaginaire irréductible aux jérémiades sentimentales et au psychodrame médical. Entre douceur et douleur, elles parlent de peines de cœur, de pilules anti-psychose, elles transcendent la souffrance, elles en font autre chose, disons de brefs films musicaux, conçus et tramés con brio. Ouvrages d’images, de notes, de mots (de maux) tournés vers la vie, vers autrui, ce diptyque très autobiographique mais jamais impudique, composé d’extraits de Ketevan et Chromatica, pratique yes indeed une « poetry of pain », pour citer l’interprète complète de A Star Is Born (Cooper, 2018). Auteurs sans peur, au talent évident, musiciennes sirènes à défaut de filles sereines, notre duo de « divas » discrète ou excentrique dialogue à distance, tisse à l’unisson d’attachantes chansons des chants de résistance, de constatation, de conviction, d’addiction et d’évasion. Le réel blesse, l’esprit s’alourdit, les baisers (se) dérobent, l’ennemi majeur s’avère soi-même, raisons supplémentaires de ne pas céder à la stérile détresse, à la médiocre morosité, d’essayer de transformer les défaites en fêtes à savourer, à saluer, celles offertes par une forte et fragile féminité dont les grenades, n’en déplaise à Clara Luciani, se dispensent du soupçon de saison de la manichéenne misandrie. Le cinéma, dans tout cela ? Ses salles viennent de rouvrir, sur lui je continuerai à écrire, en attendant, hier, au présent, ainsi et ici, il ressuscite en musique.

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