Because of My Body : La grande bellezza

 

Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Francesco Cannavà.

Ce documentaire délicat et pudique donne à découvrir une jeune femme magnifique. Voilà Claudia, irréductible à un « spina bifida », aussitôt escortée de son « assistant sexuel » préféré, l’aimable et calme Marco, qu’elle rajeunit de douze ans illico. Entre elle, la vingtaine, et lui, la quarantaine, une brève rencontre survient, aussi bouleversante et autant élégante que dans le film homonyme de David Lean (1945). Muni de sa caméra toujours empathique, jamais pornographique, Cannavà chronique cela, les hauts, les bas, la confiance, la distance, les étapes d’une émancipation remplie de révélations, de variations. Vierge guère vengeresse, mille fois plus forte que toutes les féministes, l’héroïne « heureuse » et en déprime sourit et s’automutile, affiche à demi une fragilité infinie. Pas une seule fois l’on ne l’entendra se lamenter sur sa « condition de handicapée », qui pourtant la contraint à uriner au creux d’un cathéter, d’une pauvre poche en plastique translucide, qui lui impose le soutien physique et psychologique de sa mère douce-amère. La macération, la rumination, la victimisation, à l’occasion de ce cas-là, presque des droits, personne ne les lui reprochera, toutefois Claudia, tout sauf un « cas », justement, ni médical ni social, ne s’en contente pas, elle préfère, très vénère, jouer à la sorcière, « strega » auprès de sa mamma, de sa sorella. Au mec estimable, imperturbable, elle confie candide apprécier à domicile des images classées X, surtout l’apparition de sperme, mais elle connaît mieux qu’une autre, triste masturbatrice, leur mélancolie, leur autarcie, leur frustration pérenne de satisfaction ponctuelle. Alors place aux travaux pratiques, drolatiques et tragiques, poétiques et politiques : Claudia observe son clitoris au miroir anatomique, Claudia peint la peau de Marco, accepte qu’il peigne la sienne, se lave devant lui, sans stress ni chichis, Claudia apprivoise un sex toy, ses seins frissonnent, pas son sexe, hélas, « zone morte » à la Dead Zone (Cronenberg, 1983) en écho à sa jambe gauche.


Sa liberté, au propre, au figuré, Claudia l’acquiert et l’exerce à la piscine puis en automobile. Féline à La Féline (Tourneur, 1942), soupirante à la Suspiria (Argento, 1977), fables féminines idem humides, elle voudrait être « touchée », elle s’avère vite touchante, à chaque instant, à chaque plan. Récit d’une solitude en tandem, à proximité des écueils du « proxénétisme » et de la « prostitution », Because of My Body (2020) décrit donc une acceptation, pas une rédemption. Dans un monde amélioré, rendu digne, davantage humain, moins mesquin, Claudia ne souhaiterait pas se suicider à sa onzième année, mourir enneigée, ne devrait pas se faire refouler par un flirt fielleux, ne se verrait pas, même « maquillée et sapée », obligée de supporter l’épreuve de la rue. Dans l’Italie de maintenant et d’ici, verte et viticole, familiale et provinciale, elle chante au resto pour Marco, elle parle à ses « pairs », s’en fait applaudir, elle va mieux et plus mal. Certains par conséquent pointeront le pathos des ultimes minutes, monologue au milieu des larmes et sur béquilles d’exil, comme une réponse au mutisme définitif du sommeil de John Merrick (Elephant Man, Lynch, 1980). On quitte cependant ce couple impossible « en douceur », Marco rouvre les yeux, voyageur mental d’un métrage estimable, à l’abri du médiocre mélodrame, du prosélyte psychodrame. Plus encore qu’au sein de la fiction du siècle dernier, je pense au plutôt sympathique Nationale 7 (Sinapi, 2000), la sexualité documentée devient désormais un jeu et un enjeu de société, tandis que le corps de Claudia épouse celui du cinéma, voire l’inverse. Puisque j’écrivis jadis au sujet de la « corporalité » filmée, de sa monstruosité, de sa beauté, je renvoie le lecteur et la lectrice vers le libellé infra, pourquoi pas. Pour le moment, je vous recommande vivement de découvrir Claudia Muffi & Marco Purzo, vrais-faux amants d’un item à la fois pragmatique et métaphorique de notre temps, contaminé, contaminant, adepte du « sans contact » et bien patraque.    

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