Hyènes : Money Monster

 

Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Djibril Diop Mambéty.

A film is a kind of meeting; there is giving and receiving. Now that I have made it, Hyènes belongs as much to the viewer as to me. You must have the freedom and confidence to understand and critique what you see.

DDM

Dans Zombie (1978), autre conte anticonsumériste du capitalisme comme cannibalisme, Romero accomplissait un caméo de réalisateur de JT très débordé ; dans Hyènes (1992), Diop Mambéty s’octroie le rôle d’un ex-magistrat, « de mes deux », vitupère l’épicier populaire puis sacrifié, manière de (se) mettre en abyme mais aussi à distance le « didactisme » de l’ensemble. Le fils d’imam pourrait prêcher, désirer condamner, il se contente d’observer, avec une clarté cadrée au cordeau, de son chœur en couleurs les quelques qualités, les dangereux défauts. Au terme de la moralité pas si manichéenne, moins douce qu’amère, Draman disparaît, s’évapore, accepte sa collective et publique mort, tel le Grenouille du Parfum (Tykwer, 2006), d’un « écrivain de langue allemande » au suivant, Dürrenmatt ici substitué à Süskind. Auparavant, durant l’arrivée ferroviaire de la vénère milliardaire, il fréquentait une foule plus cool, à la rapacité presque innocente, inoffensive. Réduite à son destin de combative et rancunière catin par une justice jadis complice, une paire de vrais-faux témoins plutôt castrée que castratrice, la reloue Ramatou, « archiputain » tout sauf sur le déclin, quoique, cf. la fin, sa lente descente solitaire, solaire, en plein air, au tombeau, au bord de l’eau, veut se venger, mettre le « bordel » à Colobane, mettre la place en partie par ses soins paupérisée en coupe (dé)réglée. Elle y parvient bel et bien, elle oppose au reproche de sa victime en déprime la perte pérenne d’une enfant âgée d’à peine un an, joliment prénommée « Nuit étoilée ». Pourvue de ses prothèses en or, signes ostentatoires de sa situation, de sa résistance, de sa survivance, elle ressemble à un mélange de la fille aurifiée, asphyxiée, par un Goldfinger (Hamilton, 1964) sans cœur et du flic à la Frankenstein de RoboCop (Verhoeven, 1987), lui-même prisonnier d’un passé qui ne saurait (tré)passer.


« On peut tout acheter », en effet, y compris un tribunal fatal, une population sous tension et en cessation, de paiement, du temps d’être clément. La vie d’un homme, en somme, ne vaut pas grand-chose, donne envie d’avoir des quantités de choses, Souchon ne dit non, et puisque la fable affable sur la folie du fric s’affiche en Afrique, ce matérialisme en surface festif, de feu d’artifice(s), s’affirme en mainmise du néocolonialisme. Muni en montage alterné d’un bestiaire symbolique, Hyènes pratique une éthologie de tragi-comédie, de Mort à crédit davantage brechtienne que célinienne, quoique, misère similaire et endettement des « petites gens » partout, tout le temps. On se souvient en sus, décor alors, désert d’aujourd’hui ou d’hier, du Train sifflera trois fois (Zinnemann, 1952), étude in situ d’une lâcheté généralisée, miroitant la démence du maccarthysme, de Un homme est passé (Sturges, 1955), conformisme criminel idem et loi du talion à l’unisson. Itou amputé, Spencer Tracy descendait d’un train, Mansour Diouf rate le sien, fuite nocturne conseillée par le religieux de l’esseulé « Paradis », où s’effarer de la famine sous des ventilateurs à statue et sur un téléviseur Sony, énigmatique lectrice asiatique incluse. Avant que le coupable ne s’en aille succomber à la sentence hypocrite et logique du « Jugement Dernier », les amants se posent et se parlent. Aux limites d’une mer éternelle, irréelle, à la Rimbaud, à la Godard, celui du Mépris (1963), de Pierrot le Fou (1965), Linguère, chagrine et magnanime, indique une île divine, une possession de possible rédemption, donc de réunion. Elle ordonne : « Va, meurs et rejoins-moi », condamnation à mort d’un « condamné amour », écrirait Collard, cependant promesse d’un apaisement, d’un calme immanent, loin des élections et de l’agitation à la con, du bulldozer, de la terre, de l’amnésie de cimetière, de l’écrasement de la commune, de la communauté, en regard des immeubles anonymes et indifférents de Dakar.


Récemment restauré, Hyènes associe ainsi zoologie et mythologie, politique et poétique, corruption par la dame et corruption des âmes. Défini en « film de poche » par le principal intéressé trop tôt décédé, vive la vidéo, la création locale en réseau, pendant un entretien souvent passionnant, assez passionné, accordé en anglais au perspicace N. Frank Ukadike, il se voulait à la fois item « continental », non colonial, et « universel », véhiculant le « mouvement » du « rêve » individuel. Pari réussi, à chaque instant sensuel, sensé, à chaque plan pluriel, composé, en compagnie d’un casting choral impeccable et du fameux frangin Wasis, crédité au générique à la musique, à la direction artistique. Cette œuvre ouverte, alerte, fervente et funeste, disponible en ligne jusqu’à la moitié de l’été, mérite en résumé d’être largement (re)découverte et saluée. 

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