Chemtrails over the Country Club : Comme un avion sans aile

 

Traces aériennes, transe sereine…

Revoilà la cara Lana où l’on ne l’attend pas, délocalisée du côté ad hoc de la folk, reprise comprise du For Free joli de Joni (Mitchell) et en beau trio, car Zella Day & Weyes Blood s’y collent. Escortée de son compositeur et producteur préféré, le point rosse Jack Antonoff, Mademoiselle Del Rey signe une réussite située au sein du sillage de Born to Die, Ultraviolence, Honeymoon, Lust for Life et Norman Fucking Rockwell!. La chanteuse chaleureuse, audacieuse, malicieuse, sait à l’instar de Lynch & Minnelli, clin d’œil inclus au titre d’origine de La Vie passionnée de Vincent van Gogh (1956), ou alors du Cronenberg rockwellesque de Dead Zone (1983), que le royaume d’Amérique nordiste possède aussi quelque chose de pourri, que le « rêve américain » dissimule et produit un cauchemar malsain, « climatisé » à la Miller, coloré à la Sirk. Les onze titres de Chemtrails over the Country Club, appréciez l’allitération en réunion, constituent comme une chronique mélancolique, séduisent en pudique journal intime, dans lequel la duettiste avec la balèze Joan Baez ou la « country artist » moins connue, en tout cas de moi, Nikki Lane (l’oxymoron canon Breaking Up Slowly), qui téléphone à Stevie (Nicks), qui cite Tolkien, qui ne parle ni n’écrit pas pour rien, se livre et se délivre, avoue sa vulnérabilité, aventure sa voix vers le haut perché. Si l’assez superbe Yosemite date de 2017, pièce rapportée à Rick Nowels due à moitié, les dix nouvelles chansons méritent mes acoustiques recommandations, en sus de celles d’une presse spécialisée encore et à la suite conquise en majorité. On le sait depuis une dizaine d’années, Lana excelle à installer un climat, un songe aux limites du mensonge, à manier une imagerie rassie ranimée par sa singulière sincérité, sinon sa lumineuse obscurité.

Chez elle, l’artifice se fait complice, le mélodrame ne manque d’humour, le voyage de la vie et de l’amour adore les détours et les retours. La songwriter de valeur, s’amusant à faire rimer symphony et infamy (Dark but Just a Game), assume la sauvage douceur de son « glamorous » cœur, le sien Wild at Heart tout sauf patraque valant bien l’équivalent de Laura (Dern) immortalisée jadis par David (Lynch, Sailor et Lula, 1990), tandis que son transformisme affiche de facto une fidélité affirmée (We keep changing all the time/The best ones lost their minds/So I’m not gonna change/I’ll stay the same, Dark but Just a Game). « Ni tout à fait une autre », « ni tout à fait la même », en émule du rêveur familier de Verlaine, Lana se réinvente, observatrice divergente, conductrice clémente. Au terme du mental 911, Stefani Germanotta, aka Lady Gaga, ne voulait pas mourir, Elizabeth Woolridge Grant, aka Del Rey Lana, ne souhaite connaître le court parcours de Tammy Wynette, du standard Stand by Your Man l’interprète, et son mec à elle se doit de « stay real close to Jesus/Keep that bottle at your hand, my man/Find your way back to my bed again/Sing me like a Bible hymn », amen(e-toi) (Tulsa Jesus Freak). Animale et sentimentale, en robe blanche ou masque immaculé, Lana Del Rey cartographie une Americana légère, délétère, où les amies solaires s’avèrent vite des louves sanguinaires, schizophrénie d’extase et d’agonie. Il faut féliciter la fille cinéphile, réalisatrice diariste, applaudir en républicain la « royale » Lana.

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