Mishima : Soleil rouge
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Paul
Schrader.
Le biopic problématique des Schrader, Leonard & Paul les frérots,
la co-scénariste + l’épouse du premier Chieko, ne devient vraiment intéressant
qu’à son mitan, presque une heure après son commencement. Auparavant, il faut
se farcir, avec un ennui poli, un assemblage assez stérile de reconstitution,
d’évocation, d’illustration. Certes, on patiente, on ne se lamente, séduit aussitôt
par le beau boulot du compositeur Philip Glass (Koyaanisqatsi, Reggio,
1982 ou Candyman, Rose, 1992), de la monteuse Tomoyo Ōshima, a priori
fifille parfois flanquée de son célèbre papa (Furyo, 1983 ou Tabou,
1999), de la production designer Eiko Ishioka (Dracula,
Coppola, 1992 ou The Fall, Singh, 2006), toutefois cela ne fonctionne pas, demeure
désincarné, très et trop appliqué, exercice de style scolaire, guère
révolutionnaire, en partie aussi desservi par une sentencieuse voix off intrusive, le noir et blanc peu
convaincant du régulier DP John Bailey. Puis, une fois les deux premiers
« chapitres » enfuis, le film enfin s’émancipe, dit bye-bye à la paresseuse psychologie, au
parallèle à la truelle. Pendant un instant à la Top Gun (Tony Scott, 1986), lui-même
sommet d’homoérotisme, selon le guignolo Tarantino, le protagoniste se déleste
de ses soucis, de ses conflits, se casque et se démasque, expérimente une
exemplaire et extatique ataraxie. Alors le métrage, long à l’allumage, imite
son immobile mouvement, fait in fine
dialoguer, de manière dynamique, la perturbante « beauté », « l’art »
du désespoir, résout dans « l’action », en actions, la moderne ou
fondamentale division de la « plume » et du « sabre », désormais
réunis en mortifère et fanatique « harmonie ». Véritable écrivain, emblème
un brin brechtien, chaque lecteur possède le sien, on recommande le recueil La
Mort en été, allez, le Mishima de Schrader, sans se départir de sa persona, celle d’un leadeur amateur, d’un
sincère acteur, d’un nostalgique lucide, d’un anticapitaliste nationaliste,
soudain sourit, s’humanise, fraternise, émeut, joue un « jeu sérieux »,
dangereux.
Hélas pour lui et eux, ses membres à
« bouclier » déboussolés, ses adeptes droitistes dévoués, malheureux,
les soldats d’aujourd’hui, ceux du Japon de l’extrémité des sixties, depuis des années
occidentalisé, ne sauraient aux samouraïs de jadis ressembler, s’assimiler, pas
davantage, dommage, les étudiants récalcitrants. La foule se fout de son speech préparé, passéiste, descends du
toit, fastidieux fada, abandonne ton balcon, risible histrion. Concerné,
consterné, cerné, ridiculisé par le « principe de réalité »,
c’est-à-dire l’épuisante impureté d’une société qui l’acclame et le désarme,
préfère l’encre au sang, le cinéaste d’occase, suicidaire, narcissique,
l’anti-héros de sa propre tragi-comédie, le mec musclé, triste et gay, marié, Schrader quasiment l’omet,
sa veuve ne le lui pardonnera, on interdira Mishima là-bas, se trouve
sommé de réaliser son infime et sublime projet, de passer de la « répétition »,
des « lignes », des signes, des situations, des projections, à une
concrétisation unique, absolue, définitive, d’accomplir une création de
destruction, un chef-d’œuvre vaseux et valeureux, atroce et grandiose. Tout
l’élan de Mishima (1985) tend vers ce moment puissant, poignant, où le commando sado-maso, mais moins que
l’ersatz de saint Sébastien sadien, martyrisé de son plein gré par une dominatrice
complice, une propriétaire délétère, à la Barbet Schroeder (Maîtresse,
1975), j’aime le mal et l’usure que tu me procures, femme impitoyable,
supérieure, j’en jouis et j’en meurs, se met une dernière fois en scène, mélodrame
pudique et obscène, n’en déplaise au public sarcastique, afin de faire advenir,
au milieu de la vie réelle, matérielle, décevante, clivante, une incarnation incontestable,
discutable, admirable, de la trame romanesque (Chevaux échappés),
des images à domicile, pro domo, fi du kendo, en miroir mouroir (Yūkoku
ou Rites d’amour et de mort, Mishima, 1965), dont ce Mishima-ci
restitue, quelques secondes en mode méta, le tournage schizo et le simulacre de
couteau, accessoire dérisoire face à la lame « pièce de musée ».
Paul, apôtre à distance, doté de
prestance, choisit d’achever sa biographie officieuse via un travelling
compensé, c’est-à-dire une attraction-répulsion, un accord et un écart, un aval
et un adieu. Mishima n’y perd son mystère, ressuscité sous les traits du solide
et subtil Ken Oagata, coutumier du cinéma de Fukusaku & Imamura (La
Ballade
de
Narayama,
1983, idem acclamé à Cannes), il nous
éclaire de sa sombre lumière, de sa complexité cohérente, contradictoire,
formulée, assumée, appose le point final de son destin jamais serein, au moyen
d’un seppuku à plusieurs, pas fou, sans pleurs, vomi au visage d’un monde
estimé immonde. A contrario d’Isao, le terroriste sportif,
épris d’une « pureté » parfaite, « impossible », dixit l’adulte diplomate, Mishima, figé
fissa, n’assassine personne, ne réussit rien, n’avise ni l’incendie du détruit
pavillon joli, ni le soleil levé de la forêt ensanglantée : son seul
embrasement de couronnement provient de la partition, de sa superbe combustion, de son irrésistible illumination, acmé positionné juste avant la chute d’un Icare carburant au tumulte, le
conjurant à l’écriture nocturne, jusqu’à ce qu’elle ne suffise plus, en dépit
de son élégance, de son importance, de sa pertinence, et qu’il lui faille, au
bas du ventre, ouvrir une faille, ne faillir, défaillir, en rime anatomique,
rituélique, prosaïque, à la toile de Sardanapale & Delacroix trouée supra. La toile de l’écran, petit ou
grand, du quotidien, du contraint, du contrôle, de la gloriole, comment, de nos
jours, à Hiroshima ou ailleurs, mon amour, oser se risquer à la déchirer, au
risque de s’y ruiner, de déchanter, de décéder ? En uniforme coupé par le
tailleur de notre inénarrable de Gaulle, l’admirateur amusant et séducteur de
Thomas Mann, l’artiste mis en abyme, qui réclame, en riant, plus d’ombres sur
le set immaculé, faisons plaisir aux
cinéphiles français, répond à sa façon, souveraine.
Et le scénariste de Yakuza
(Pollack, 1975), Taxi Driver (Scorsese, 1976), Obsession
(De Palma, pareil), Mosquito Coast (Weir, 1986), l’auteur de Hardcore
(1979), American Gigolo (1980), First Reformed
(2017), similaires et différenciées moralités, dépressives ou rédimées, en sus
connaisseur du dénommé Ozu, propose la
sienne, stimulante et incertaine, ni complaisante ni malsaine. Co-produit par
Coppola & Lucas, sorti au siècle dernier, Mishima montre une voie,
donne à entendre une voix, un cri de cabot kamikaze et d’idéaliste tenace, auquel
rendre hommage. On peut certes refuser l’ensemble, surtout à la suite de la radicale
démystification de l’abrasif Hara-kiri (1962) du compatriote
Masaki Kobayashi ; néanmoins, l’item
mérite sa redécouverte, ne se limite à un récit fatidique, interroge en
virtuose et, réversibilité en reflet, finit par portraiturer, plus encore que
son modèle lui-même modélisé, inspirant, inspiré, le principal intéressé, étranger
exilé, lesté de sensibilité, d’intimité avec son divin et démoniaque
objet/sujet.
"Dans le cas de Mishima, ce projet d’autopréservation était prémédité. L’auteur admettait que, quand bien même l’art permettrait de survivre à travers les œuvres qui perdurent, cela n’allait pas sans poser des problèmes. Dans un essai datant d’octobre 1967, au titre provocateur de Comment vivre éternellement ?, Mishima médite sur les difficultés rencontrées par les artistes qui s’inscrivent au cœur de leur art – soit en auteur d’une fiction autobiographique, soit en tant qu’acteur dans un film ou une pièce de théâtre – dans le but d’atteindre ce qu’il appelle « une immortalité fourbe et trompeuse ».
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Merci de ceci ; suicide, suite :
Supprimerhttps://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2016/11/hara-kiri-ronin.html