Too Naughty to Say No + Trashy Lady : Initiation perverse

 

Pédagogie adulte, témoignage de tumulte…

Voici à nouveau du X narratif, selon des contes d’éducation pas si concons. Si Trashy Lady (Scott, 1985) relit/renverse My Fair Lady (Cukor, 1964), donc Pygmalion de Shaw, Too Naughty to Say No (Knipe, 1985) dialogue à distance avec Alice in Wonderland: An X-Rated Musical Fantasy (Townsend, 1976), lui-même inspiré par Les Aventures d’Alice au pays des merveilles de Carroll. Croque-mort nécrophile du second, l’estimable Harry Reems (Gorge profonde, Damiano, 1972) rempile en gangster esseulé du premier. Épris d’une petite provinciale très jolie, trop polie, pendant la période de la prohibition, il va fissa la transformer, escorté de la coriace souris de son meilleur et emprisonné ennemi, en disons dame infâme, gare à la réputation à l’approche de la libération. Tourné en deux jours et demi, sans permis, Trashy Lady, assez soigné, plutôt impersonnel, manque de rythme, congédie toute misogynie, permet de retrouver Cara Lott (Body Double, De Palma, 1984), Amber Lynn, Tom Byron ou Mark Wallice, Rocky (Avildsen, 1976), bis. Tandis que la dénomination du truand de son temps, Dutch Siegel, adresse un double clin d’œil à Schultz & Bugsy, pythies pour Bill Burroughs & Warren Beatty, le métrage d’un autre âge s’achève via un arrêt sur image, métamorphose finie, main féminine aux fesses masculines, manière de parapher son féminisme soft, d’affirmer in fine des femmes fortes, face à des hommes affaiblis, assagis, sinon impuissants et passifs. Trashy Lady possède de surcroît une dimension méta, puisqu’il met en scène et en abyme, à deux reprises, le désir de personnages « genrés », c’est-à-dire leurs fantasmes de fait actualisés, filmés, à l’instar, en miroir, de celui du spectateur, de la spectatrice.

En dépit de copulations aussi peu excitantes et sincères que les allocutions mensongères d’un hexagonal et méprisant président, l’ouvrage vintage vaut sa découverte, surtout grâce à la grâce de Ginger Lynn, j’y arrive. Cette même année de consécration, cf. la récompense de Best New Starlet aux AVN Awards, la chère Ginger, par ailleurs mère célibataire, survivante d’un sexué cancer, participe itou à une mémorable scène de triolisme, à l’occasion du davantage novateur New Wave Hookers (Dark, 1985). Actrice ludique et lucide, à cheval sur le ciné aux majeurs réservé, mainstream, telle ses consœurs de corps et de cœur Ashlyn Gere, Nina Hartley, partenaire tardive d’une rencontre amicale, remarquable (When Ginger Met Nina 1, Annelle, 2009), la plus plantureuse et parfois morose Traci Lords (Not of This Earth, Wynorski, 1988 ou Excision, Bates Jr., 2012), vraie-fausse rivale, pareillement poursuivie, pas, toutefois, pour fraude fiscale, Miss Lynn, bientôt Allen, incarne par procuration et au carré une comédienne, dont le rôle a priori conformiste, de soumission sexiste, lui procure, in extremis, une puissante émancipation. Aperçue et appréciée par exemple chez Ken Russel (La Putain, 1991) & Rob Zombie (The Devil’s Rejects, 2005) ou les gars de Metallica (Turn the Page, 1998), séduisant un certain Scorsese, à défaut de figurer au générique de son Casino (1995), Sharon Stone s’y colle, la performeuse malicieuse se révèle en sus une rédactrice perspicace, lisez en anglais son billet, parallèle pertinent et personnel à « l’affaire Harvey Weinstein ». Ici, elle subit, impassible, une levrette experte, d’entretien malsain, d’embauche et de débauche, avant de se réinventer en moitié assumée, assurée, après exploration des positions d’un « plan à trois » sympa et des délices complices du saphisme à domicile, merci à la didactique domestique.


Précédemment, elle donnait la réplique, chic, à une Angel angélique, elle-même protagoniste espiègle de l’onirique Too Naughty to Say No. Lorsqu’elle se réveille de son rêve, s’évade de son voyage d’outrage(s), un brin sadien, parce qu’elle le vaut bien, sa Betty en doublure de la pure Justine, la Catherine de Ginger, remarquez la reformulation de son suivant prénom, Katherine, diminué en explicite Kitty, en sœurette de Juliette, elle rectifie avoir non pas dormi mais médité, n’en déplaise à la Thaïs de Massenet. Produite par la Britannique et d’abord « photographe de charme » Suze Randall, écrite et réalisée par son mari Humphry, la fable affable enchaîne les saynètes presque suspectes, à notre mode du gros gonzo en réseau. Durant sa dérive humide, l’héroïne lectrice de la Bible, s’interrogeant sur le sens du terme bigamie, croise par conséquent des identités dédoublées, citons la religieuse relookée en maquerelle, le prêtre promu évêque, le jardinier devenu « Mr. Love », Jerry Lewis s’en fiche, en compagnie d’une bonne pelletée d’obsédé(e)s, pensionnaires de bordel en reflet inversé, illico, des donzelles de l’établissement catho, colonel nazi, pseudo-accent allemand compris, sénateur salace, cinéaste célèbre, tandem incrédule de flics athlétiques, exhibitionniste risible et, last but not least, mateurs nocturnes, équipés en cuir, d’étreintes lesbiennes, en bagnole on s’isole, on caresse nos corolles. Comme l’Annie de Gall & Gainsbourg, le spécialiste Jamie Gillis aime les sucettes suspectes, s’endort à la suite de l’effort, possible sodomie en catimini, ah, le derrière de Ginger. L’essentiel cependant se situe au-delà de tout cela, à côté de l’écho en laiteuse auto d’une séquence similaire du Sexe qui parle (Lansac, 1975), film français là-bas distribué.

Satirique et solide, scoré par deux thèmes, le premier sexy, le second sentimental, par un soupçon de Wagner, Coppola opine, Too Naughty to Say No rend en réalité un respectueux hommage à son interprète principale, lui fait traverser des stations de masturbation, d’observation, de sexe en réunion, de rapprochée participation, épisodes multiples de paradis infernal, afin de mieux magnifier sa beauté, sa santé, sa vitalité, sa dignité. Mise aux enchères, Angel se fait la belle, l’art imite la vie, la jeune fille guère stakhanoviste surgit, s’impose, disparaît, ce qu’elle expérimente à présent, nul ne le sait. Demeure néanmoins cet item jamais obscène, curieusement émouvant, qui associe en baiser baudelairien la boue et l’or, la grande et la « petite mort », la résurrection et la succion. Qu’une candide « Sleeping Beauty », en cercueil sertie, en blanc immaculé, soudain se ranime au prix d’un cuni, qu’elle revive et revoit, nous avec, les étapes de son périple psychique, odyssée sexuelle révélatrice, vaine, qu’elle s’éveille, again, cette fois-ci au milieu de poubelles cruelles, qu’à l’ultime plan elle regarde droit dans la caméra, vers toi et moi, sourire irrésistible, clin d’œil idem, ceci excède le cadre de la routine, de la déprime, de la mélancolie de la pornographie, « empire de la tristesse » sous le filigrane de la fesse, auquel je consacrai jadis un essai tout sauf onaniste. À leur modeste mesure, fi de forfaiture, Too Naughty to Say No et Trashy Lady résistent à l’usure des décennies, des envies, des pandémies, des agonies, éclairent d’une lumière douce-amère, celle des étoiles noires d’un siècle de désespoir, celle de l’énergie de Ginger et de l’aura d’Angel, sirènes immortalisées en 35 mm, immortelles, éternelles, au moins autant que le souvenir et le vent, qui tout emporte, les princesses et les cloportes, qui les emporta, qui nous emportera, on le savait d’autrefois, on y va vite déjà…             

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