L’Emprise : L’Intrus

 

Le vagin et le vide, le destin et l’exil…

Écrit par Frank De Felitta (Audrey Rose, Wise, 1977), réalisé par Sidney J. Furie (Ipcress, danger immédiat, 1965 ou Aigle de fer, 1986), photographié par Stephen H. Burum (La Foire des ténèbres, Clayton, 1983, Outsiders + Rusty James, Coppola, idem, Retour vers l’enfer, Kotcheff, 1983, Body Double, De Palma, 1984, St. Elmo’s Fire, Schumacher, 1985, La Promise, Roddam, idem, Huit millions de façons de mourir, Hashby, 1986), monté par Frank J. Urioste (Get to Know Your Rabbit, De Palma, 1972, Conan le Destructeur, Fleischer, 1984, Kalidor, Fleischer, 1985, Hitcher, Harmon, 1986, RoboCop, Verhoeven, 1987, Piège de cristal, McTiernan, 1988), musiqué par Charles Bernstein (Cujo, Teague, 1983 ou Les Griffes de la nuit, Craven, 1984), L’Emprise (1982) au box-office n’égala Poltergeist (Hooper, 1982), effara des féministes, séduisit Scorsese. Face au solide Ron Silver (Blue Steel, Bigelow, 1990), la remarquable et remarquée Barbara Hershey (Bertha Boxcar, Scorsese, 1972, L’Étoffe des héros, Kaufman, 1983, Le Bayou, Kontchalovski, 1987, La Dernière Tentation du Christ, Scorsese, 1988, Chute libre, Schumacher, 1993, Lantana, Lawrence, 2001, Black Swan, Aronofsky, 2010), qui méritait un Oscar, même dérisoire, qui put se consoler avec sa spécialisée, sexuée récompense, donnée durant le « Festival international du film fantastique d’Avoriaz » en France, incarne une mère célibataire, harcelée, agressée, par l’invisible, voire invincible, indéterminée entité de l’intitulé anglais (The Entity). Déjà chez Hooper, la jolie et svelte JoBeth (Williams) subissait un assaut quasi similaire, aussi sur son lit, à domicile, certes davantage acrobatique et pudique, présence du producteur et scénariste Steven Spielberg oblige.

Fable affable à base de fifille de pasteur – amitiés au souvent sérieux, sinon malheureux, Ingmar Bergman & Michael Haneke – abuseur puis génitrice juvénile et ensuite mariée endeuillée, de famille recomposée ou plutôt décomposée, inceste songé, dirigé, rédigé, rejeté, inclus, de freudisme universitaire victime volontaire de « contre-transfert », L’Emprise bien sûr se souvient de la satanée salle de bains de Psychose (Hitchcock, 1960) et de son viol virtuose, métaphorique, emblématique, à l’instar de ceux des Oiseaux (1963) et de Pas de printemps pour Marnie (1964), de la psyché solipsiste, homicide et tourmentée de Répulsion (Polanski, 1965), en plus de la parapsychologie expliquée par les livres de Carrie au bal du diable (De Palma, 1976), un carton de coda situant d’ailleurs cette année-là le « true incident » transformé fissa en « fictionalized account », en sus d’annoncer l’invisibilité pourvue de perversité, presque d’impunité, de Hollow Man (Verhoeven, 2000). Toutefois le film (m’)intéresse surtout via sa dimension méta. On le sait, au ciné, pas seulement celui dit d’effroi, ce que l’on montre, et de quelle manière, modérée ou spectaculaire, compte autant que ce que l’on ne montre pas. À sa mesure héritier du style suggestif, allusif, de Jacques Tourneur (La Féline, 1942) & John Carpenter (La Nuit des masques, 1978), Furie trame ainsi, muni d’une modeste maestria, rien moins qu’une tragédie du regard, où voir et croire participent d’une dialectique esthétique et physique, poétique et politique. Si les viols en série du ciné US ou français des années soixante-dix – je vous renvoie vite vers un texte consacré à ce trauma de cinéma – peuvent en partie être reliés au MLF, interprétés en problématiques traductions d’occasion(s), l’actrice incarne, au sens littéral du terme, une Carla Moran indépendante, émancipée, qui n’associe sexualité et saleté, qui ne prodigue aucune misandrie, qui conserve, en dépit de tout ce qu’elle subit, la lucidité de son esprit, qui souffre, après les multiples atrocités à son intimité miroitée infligées, de n’arriver à susciter la crédibilité, la légitimité.

Trois témoins vont devoir attester, contre leur volonté très secouée, au propre et au figuré, de la mentale santé de Madame Moran, leur malmenée maman – ses enfants… Ici, Furie frise l’infilmable, l’irreprésentable, selon une scène jamais obscène, et bien inoffensive, tout sauf ineffective, comparée au concours concon de scandaleuses insanités du surfait, lui-même molto méta, A Serbian Film (Spasojevic, 2010). Adepte de la « demi-bonnette », grisé par le plan « débullé », c’est-à-dire deux procédés désorientés, appréciés par le Brian précité, de profondeur de champ artificielle, surnaturelle, de déséquilibre dramatique, le cinéaste substitue à l’effet spécial organique de Barbara & Labiosa l’homonyme optique des éclairs vénères, pendant un instant d’hystérie partagée au croisement du sublime et du risible, mitoyenneté accoutumée, flexibilité en reflet, celle de Jennifer (Carpenter) dans L’Exorcisme d’Emily Rose (Derrickson, 2005). Réaffirmons-le : en filigrane de l’imagerie hématique, horrifique, se dissimulent à demi les fluides humides et les fondations d’effusions du mélodrame. L’Emprise le vérifie encore, y compris dégagé de gore, au cours de la séquence suivante, démonstration d’intimidation et leçon de caractérisation, de précision, d’utilisation du son. Une fois la nouvelle épreuve, ou tempête domestique, passée, il suffit que son amie Cindy valide que ce qu’elle vient de voir, de vivre, et nous itou, pour que (re)surgisse son sourire, que la courageuse et pas douteuse Carla reprenne confiance, réactive sa résilience. La réalité n’existe pas en soi, elle existe comme consensus, correspondance des points de vue, relisez par exemple Le Système du docteur Goudron et du professeur Plume du spécialiste Poe.


Plus tard, en écarlate laboratoire, en maison d’exposition, en piège de stratège(s) d’à l’identique reproduction, notre couple en déroute, notre clique de chics scientifiques, placés sous la direction du bien nommé docteur Elizabeth Cooley, assistent à une saisissante et refroidissante épiphanie. L’hélium liquide, déversé, bleuté, solidifie l’haïssable insaisissable, bloc d’abîme démentissant tous les paresseux « tu hallucines », sa rapide explosion permettant la libération de la malédiction et la réplique ironique, d’insulte sexiste, de l’épilogue over the top : « Welcome home, cunt. » On le devine, L’Emprise ne constitue un traité misogyne, salace et doloriste, adressé au « deuxième sexe » de la décennie, n’en déplaise au sardonique Sardou, par le représentant d’un supposé « male gaze » balèze d’item à malaise. Au contraire, il parvient à créer, grâce une actrice en état de (dis)grâce, un portrait de femme affable, à la fois fragile et forte, qui préfère l’action à la soumission, la confrontation à la victimisation. Au carrefour du parfait contemporain The Thing (Carpenter, 1982), du médiatique et crétin Loft Story, donc de la visualisation et de la vidéo-surveillance, la séquence supra instrumentalise un simulacre filmé au carré, afin de faire advenir une image du pire, éphémère et superbe, façon de signifier l’authenticité de la facticité, l’émotion de la monstration. Au bout de la nuit et de l’insomnie, le modèle de la nervalienne vraie vie s’installe au Texas, le territoire, sarcastique hasard, de Massacre à la tronçonneuse (Hooper, 1974) et y mène une existence moins odieuse, même si les « attaques » persistent. En 1973, la gosse de L’Exorciste signé Friedkin in extremis déménageait pareillement, grandie, guérie, rétablie ou dépossédée apparemment. Les ténèbres traversées, nous avisent et nous ravissent des survivantes valeureuses et vaillantes, à saluer, à célébrer, CQFD.      

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