The Wiz : Nostalghia

 

La voie et la voix, le conte et le décompte, le superficiel et l’essentiel…

Chez Woo, on pleure en souriant ; chez Lumet, on déchante en chantant. Le sentimental tueur de The Killer (1989) et le magicien politicien de The Wiz (1978) animent des mélodrames étymologiques. Pourtant, pas de ralenti ici, d’oiseau symbolique, de colombe catholique, au lieu d’un aveuglement, un égarement, du « mythique » remodelé en « ethnique ». Au rebelle Badham substitué, par Cohen & Gordy, par Jones & Schumacher escorté, le New-Yorkais Sidney, souvent sérieux, essaie de fusionner le féerique et le réalisme, comme si Car Wash (Schultz, 1976), pareil avec Pryor, croisait illico Serpico (1973), patchwork (d’)équivoque en partie assemblé par le maestro (et matte artist) Albert Whitlock, collaborateur de Carpenter, Disney, Hitchcock ou Lynch, cf. en l’occurrence la séquence de la yellow brick road délocalisée du côté de Coney (Island Baby, susurre bien sûr Lou Reed). Échec critique et public transposé d’un succès de Broadway, le métrage d’un autre âge, celui, disons, de la blaxploitation, de l’essor (presque) en solo d’un certain Jackson, du (coûteux) tournage en studio et des desiderata de la « diva » (« Dirty ») Diana, bénéficie du beau boulot du directeur photo Oswald Morris (Oliver !, Reed, 1968 ou Un violon sur le toit, Jewison, 1971) et de la maestria de la monteuse Dede Allen (Bonnie & Clyde, Penn, 1967 ou The Breakfast Club, Hughes, 1985). Les quelques extraits disponibles en ligne témoignent de la volonté assumée de Lumet de conserver à la fois la frontalité, la staticité de la scène, de limiter au maximum l’usage des travellings, des panoramiques, des plans à la grue – le mouvement des corps en mouvement, dansants, doit donc se dérouler au creux du cadre, tandis que ce dernier se signale par son immobilité, fi des arabesques chorégraphiques et cinématographiques d’un Minnelli.

En ceci, pas si curieusement, il retrouve et retravaille le classicisme œcuménique du didactique Magicien d’Oz (1939) de Fleming, référence encombrante et obstacle à contourner. Que l’on prise ou méprise cette décision esthétique, les deux séquences par mes soins proposées en possèdent l’exemplarité, sinon la radicalité. Sis au sein d’une décennie prodigue en expérimentaux musical movies – énumérons Cabaret (1972) de Fosse, Jesus Christ Superstar (1973) d’encore Jewison, Phantom of the Paradise (1974) de De Palma, Tommy (1975) de Russell, Bugsy Malone (1976) de Parker, La Fièvre du samedi soir (1977) de Badham again, Grease (1978) de Kleiser ou Que le spectacle commence (Fosse, 1979) + The Rose (Rydell, idem), liste US subjective tout sauf exhaustive –, The Wiz, d’une certaine façon, dialogue avec la fameuse (et discutable) « transparence hollywoodienne » d’un Funny Lady (Ross, 1975), allez, Barbra (Streisand) délivrera d’ailleurs en 1985 sa propre version de la chanson faisant l’éloge (de saison de contamination) de la maison. Ce titre-ci procure l’occasion d’une écoute comparée, alors j’invite vite le lecteur auditeur et la lectrice complice, si le cœur (et l’oreille) leur en dit, à (re)découvrir les variations de la créatrice Stephanie Mills, réenregistrée en 1989, de la juvénile et tactile Whitney Houston, de l’estimable Mireille Mathieu, fidèlement infidèle texte français dû à Eddy Marnay, grâce à laquelle, merci Mimi, je me dirigeai vers celle de la tendre et féroce Diana Ross. Avant sa coda de grand moment, portée par un plan-séquence assez sidérant, la consolatrice Dorothy se voit à son tour réconfortée par une bonne fée, la sudiste et directrice Glinda/Lena, petit exercice sans malice, construit en champs-contrechamps excitants, entrecoupé de faces enfantines impassibles mais rendues expressives via un montage éloquent à la Koulechov, de « développement personnel » à la truelle, admonestation de motivation transcendée par l’intensité de la légendaire (et pionnière) Miss Horne, irrésistible sur la crête du risible et du sublime, sa svelte silhouette ornée d’une robe bleutée, très étoilée, à la Delphine Seyrig (Peau d’âne, Demy, 1970).


Survient ensuite la supplique domestique, instant expressionniste avec effet de travelling arrière à dessein de défilé spectral, rétrospectif, en surimpression. Si Sidney (ses interprètes point suspectes) pratique la technique du lip synch, comme on dit outre-Atlantique, Diana (& Lena) donne toutefois de la voix, visez-moi ces cordes vocales sculpturales, tout son visage valse à l’unisson des émotions de la valeureuse composition de Charlie Smalls, itou auteur parti trop tôt de la BO aussi noire de peau, cependant davantage blues, du méconnu Drum (Carver, 1976), suite du célèbre et déjà « interracial » Mandingo (Fleischer, 1975). Tant de lyrisme janséniste de la part de Lumet certes surprend et néanmoins n’étonne, remember l’énergique romantisme transgenre de Un après-midi de chien (1975). Par l’entremise de ce morceau (crescendo) unique de son unique comédie dramatique en musique, le cinéaste atteint une abstraction de perfection, filme sur fond noir le fond du désespoir et la résistance de l’enfance, qu’importe dès lors la trentaine réelle de la chanteuse gracieuse, tresse la tristesse à l’ivresse, se met à l’aristocratique service d’une beauté lobbyiste, d’une actrice vocaliste d’une sincérité absolue, bienvenue, qui bouleverse et renverse, non plus sur l’arc-en-ciel éternel de la tragique Judy, qui en regard caméra s’adresse à toi et à moi, sommet de mysticisme mélodique et laïc dont l’objectif doucement se détache afin, in fine, de mieux s’en rapprocher. Diana/Dorothy valide la valeur du voyage intérieur et par conséquent celui, par définition picaresque, de la vie, acmé magnifique, poétique et politique, d’une « femme de couleur » aux pieds parés d’escarpins argentés, désormais de retour au home, au foyer de notre mélangée, isolée, misérable et admirable humanité, au et surtout au-delà du ciné !

Commentaires

  1. Mireille Mathieu ~ A quoi tu penses, 1972
    https://www.youtube.com/watch?v=WlTzGjziil0
    Le chant de MM si beau si poignant si pur qu'on en reste sans voix...

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    1. Merci pour ceci, émouvante démonstration du "Chanter des larmes plein les yeux" de Je voudrais tant que tu comprennes...
      Mireille & Michel, double tandem :
      https://www.youtube.com/watch?v=qFBwEKql6lk
      https://www.youtube.com/watch?v=VySV7aHLVqU

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    2. Double couche :
      https://www.youtube.com/watch?v=yaUiwxRI5CE

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    3. Mireille, son élégance radieuse miraculeuse : "Addio" de Vline Buggy et
      Laurent Rossi https://www.youtube.com/watch?v=u9fdgJtmFV4
      et si digne dans la douleur de la perte d'un être cher...
      https://www.parismatch.com/People/Musique/Mireille-Mathieu-inconsolable-mort-Laurent-Rossi-818903

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    4. Femme en blanc, fille autant :
      https://www.youtube.com/watch?v=ZJuAPn_oZsg

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    5. Vers ces années-là de la chanson de MM, je me souviens de la collègue de bureau de la mère d'un ami d'enfance,
      une jeune fille originaire de Propriano,
      j'ai encore en ma rétine l'image de sa silhouette élancée, avec son dos tout courbé mais son allure digne et fière malgré tout, altière avec sa chevelure bouclée et noir de geai, elle sortait avec les autres employées d'une entreprise à la consonance américaine située en proche banlieue parisienne, en même temps que je la regardais ce jour-là, (accompagnant mon camarade de classe venant chercher sa mère déjà veuve à la sortie des dits bureaux ) me revenait les bruits de couloirs de ce bureau, on lui reprochait de faire comme les jeunes filles de son âge soit sortir faire la fête alors qu'elle devait subir une grave opération, laquelle opération a échoué, le coeur a lâché avait-on dit, il semble me souvenir... qu'elle avait 26 ans...elle doit reposer en son Ile de Beauté désormais en paix comme cela se dit...
      j'aurais aimé réaliser un film autour de cette histoire, avec la musique de "Une Fille Cousue de Fil Blanc" ...ou être capable d'écrire un roman pour immortaliser quelque chose de cette figure singulière dans cette époque déjà si mercantile...

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    6. Merci ici aussi, pour tout ceci, preuve supplémentaire de vos dons d’observation et d'évocation...
      Une rime en musique :
      https://www.youtube.com/watch?v=1MHa2h__5XU

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    7. Très belle et émouvante découverte de ce titre, grand merci !

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    8. Double couche :
      https://www.youtube.com/watch?v=Ut11fHheX-I

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