The Green Inferno : La Forêt d’émeraude
La faim justifie les moyens, a fortiori dans la
zolie Amazonie.
« Per Ruggero » : le
générique de fin s’achève par une grosse dédicace loquace et paraphe The
Green Inferno en film d’amour adressé au caro Deodato, à un sous-genre
cinématographique, horrifique, celui de l’anthropophagie, filmographie
sélective offerte in extremis, un
salut singulier à Ursula Andress topless
dans La Montagne du dieu cannibale, émoustillement d’adolescence maté en VHS, à
Lorenza Izzo, aussi, actrice radieuse aux grands yeux expressifs, jeune femme
dynamique et sympathique, accessoirement compagne du réalisateur et sa
partenaire de jeu sur le peu mémorable Aftershock. Film de femmes, film de
cannibales, film choral, cet enfer vert qui ne connut les honneurs d’une sortie
en salles hexagonales, alors que tant d’excréments s’y bousculent chaque
mercredi après-midi, merci, s’apparente à un conte défait pour adultes, où
l’ingénue manque de se faire manger non plus par l’ogre du Petit Poucet mais
par une ogresse peinturlurée, avatar délocalisé de la marâtre royale ennemie de
Blanche-Neige. Après le sommet de Hostel, surtout le second tome, The
Green Inferno pourra paraître en retrait, voire régressif, car cette
comédie noire et rouge se déleste de l’acuité, de l’émotion du deuxième volet
hôtelier consacré au tourisme sexuel et au sadisme mondialisé. D’humeur badine
et guère magnanime, Eli Roth, sur les pas du Mario Bava de La Baie sanglante, règle
son compte au moralisme numérique et associe dans un même mépris humoristique
l’activisme du fric et le capitalisme néocolonial. Le jeu de massacre mâtiné
d’humanitaire et d’écologisme se déploie en deux temps, en deux lieux, à
New-York puis au Pérou.
Film programmatique, The
Green Inferno affiche la couleur, écarlate, de bonne heure, dès le
début, quand l’héroïne se réveille aux cris d’une manif estudiantine au sujet
d’une mutuelle et d’agents d’entretien, parce qu’ils le valent bien, quand
derrière son lit se devinent les affiches de 37°2 le matin et Moi,
Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée…, remerciements en français
à l’inénarrable Beineix inclus dans les end
credits. La jolie Juju va donc friser la folie, entichée d’un leader forcément charismatique, bien
qu’un peu inquiétant, corrige sa copine décolorée, oiseau de mauvais augure dans
le vrai, Juive pouvant se permettre en pleine rue une vanne a priori antisémite, se marre le casher Roth. Elle va subir itou une
pelletée d’outrages, certes moins sexuels et urbains que sa compagne allemande
camée d’histoire vraie. Ici, a contrario
du Deodato, point de viol boueux, point d’animal maltraité, point de vertige réflexif.
Cannibal
Holocaust, avec son titre over
the top malicieusement emprunté au feuilleton télévisé homonyme
transformant la Shoah en telenovela, Peter Biskind ne nous contredira pas,
constitue un chef-d’œuvre méta en soi et un titre incontournable pour
comprendre l’Italie de ces années-là, molto plombées, politisées. L’inspiré
Ruggero y livrait une réflexion en actions et en abominations sur le
journalisme à sensation, sur le voyeurisme du spectateur, sur le caractère
macabre du cinéma, art des fantômes au carré, mis en abyme avec des images
d’outre-tombe immondes promises au JT transalpin, que ceci ne vous coupe pas la
faim. Le métrage s’inscrivait dans le sillage relativiste de Lévi-Strauss à
propos de barbarie réversible et développait jusqu’à un point de non-retour les
imageries et les thématiques de Portier de nuit et Salò
ou les 120 Journées de Sodome, pour demeurer au pays infernal de Dante.
Roth à son tour sait parfaitement
filmer des visages et des paysages en Scope ad hoc, un choc culturel recuit à l’ironie,
pourtant The Green Inferno se situe à l’écart de la rugosité courbaturée
d’un Werner Herzog, du réalisme millimétré de Ruggero D. Pour résumer, le film
aimable d’Eli ne mord jamais, n’indispose à aucune seconde, ne secoue que les
mous, les adeptes du droit-de-l’hommisme et leurs minables semblables, leurs
antérieurs prédécesseurs, remember le
mirifique sac de riz du médiatique messie Bernard Kouchner venu éradiquer à la
TV la famine des gamins somaliens au loin. À cette bonne conscience de bobo, à
ces trémolos d’indignations éphémères, routinières, en série, à cette
hypocrisie 2.0 désormais peuplée d’OC sous pseudonyme vous accusant d’obscénité
s’il vous prend l’envie de vous glisser dans l’esprit d’un terroriste à Nice,
d’inquisiteurs tourmentés si vous démolissez d’une manière lapidaire ou
argumentée les risibles The Revenant et Under the Skin, de
féministes froissées par vos réserves sexuées envers les idéologies de
victimisation à la con, sans compter les névrosé(e)s vous adulant hier, vous
snobant aujourd’hui, les délatrices de « porcs » et les lyncheurs
homos de stars du porno, une pensée
pour la regrettée August Ames, quel dommage que Vichy ne disposait pas encore
des réseaux sociaux, on se contentera, à défaut de tondre votre toison de
contamination, de vous suggérer d’aller vous suicider, olé, face à ce ramassis
de saloperies pharisiennes, Mister
Roth oppose les ressources graphiques de son mauvais esprit, les excès assumés
du Grand-Guignol et l’allégresse d’un récit initiatique dont l’altruisme se
confond avec le cynisme et la fascination avec la répulsion.
Même en 35 mm, format déjà obsolète,
à l’instar des tribus disséminées, déplacées, spoliées, The Green Inferno possède
une propreté, une simplicité, une légèreté qui en font à la fois le prix et la
limite. Il s’agit d’un divertissement, pas d’un essai, d’un pamphlet, il s’agit
de faire sourire, constamment, même au pire instant, je pense à cet égorgement
de captive lesbienne illico enchaîné sur sa dépouille oralement garnie de
cannabis, gorge profonde inventive afin de rendre envapés les gourmets après
leur banquet carné, eh ouais. Bien sûr, ce type d’humour ne déridera pas les
cinéphiles sinistres, les encartés du « septième art », les avocats
des droits civiques cosmopolites, pourtant Roth se garde bien de dénigrer ses
assassins sereins, ils les filment avec un réel respect, une tendresse avérée,
plus proche de Montaigne & Rouch que du paternalisme œcuménique de Frédéric
Lopez, le guide languide de Rendez-vous en terre inconnue. Comme
souvent avec les films dits d’horreur, le tournage, toutefois physique,
exotique, se déroula dans un excellent climat, les villageois eux-mêmes égayés
par les frasques ritales, dans un esprit bon enfant dont le film porte la trace
en creux, tandis que tant de supposées comédies donnent libre cours au fascisme
ontologique des cinéastes, ces petits tyrans autorisés, enluminés, renommés.
L’ami Eli, lui, s’en prit plein la gueule à l’époque de Hostel, ouvertement influencé par les exactions irakiennes des soldats de Bush, et un plaisantin
plumitif créa fissa le néologisme torture
porn, promis à une fortune catégorielle, pour décrire le diptyque précité.
Rappelons aux amnésiques et aux myopes que le cinéma de terreur, en écho à son
homologue mainstream, parfois
familial, plus respecté, largement moins respectable, ne saurait totalement se
départir d’un sous-texte politique, que faire du ciné, gore ou non, revient toujours à produire au sein de la Cité, à
faire advenir, à donner à voir, un regard, une conception optique et poétique
de l’existence, peu importe le moment et le talent.
The Green Inferno ne cherche pas la finesse, la
délicatesse, il énonce sa thèse sarcastique avec une candeur enrobée dans de
goûteux effets, dans un classicisme raisonné renforçant la déraison dionysiaque
de la situation fictionnelle et irréelle, tant pis pour les associations
antiracistes et leurs remontrances, leurs appels à la repentance. Le métrage,
finalement assez sage, outre rimer davantage avec Le Dernier Monde cannibale,
premier méfait de Deodato en mode direct, sans la structure en miroir adoptée
ensuite, rappelle, curieusement ou logiquement, Voyage au bout de l’enfer,
similaire-réfractaire requiem de
l’idéalisme étasunien, et Cimino, on le sait, lui-même accusé par la critique
gauchiste US d’être un émule révisionniste de Leni Riefenstahl, rien que ça, amen, je renvoie, bis, vers Biskind, puis vite laminé par le naufrage de La
Porte du paradis, convertit ses blessures professionnelles et narcissiques
en la rage froide et romantique de L’Année du dragon. On retrouve un
peu de cela dans The Green Inferno, film mal-aimé, à part par un certain Stephen
King, néanmoins succès commercial à la suite prévue/avortée via sa coda par satellite. Justine, bien
peu sadienne en vérité, hélas, néantise tout ce qui vient de se passer, de lui
être infligé, délivre un gros mensonge dans l’air émollient et navrant du
temps, autant légendaire que chez John Ford, se lave les mains, à la Pilate, devant
son papa juriste, impeccable Richard Burgi, ex-tortionnaire
de Hostel
II
+ mari de Desperate Housewives, et des officiels compréhensifs, d’avoir
abandonné son guère réglo, un brin collabo, Alejandro, futur Che Guevara de t-shirt, aux mains des Peaux-Rouges
amateurs-décorateurs de peau de fuyarde, avant elle de Noir amical, énamouré,
en surcharge pondérale, miam, miam, idéal pour débuter la grande bouffe en effet
maousse, en respectant l’ordre inique des morts chronologiques, remarquent les
défenseurs des « minorités » outrés.
Dans The Green Inferno,
l’audacieux curieux découvrira en outre une leçon en accéléré, à l’université,
sur l’excision, une scène de crash
très efficace, un évocateur personnage de matriarcat souriant, testant d’une
pointe artisanale l’hymen virginal
des donzelles, toutes déflorées, se lamente le vampire assoiffé de Paul
Morrissey, à l’exception de qui vous devinez, des fourmis carnivores, j’adore,
se régalant avec un barbu ligoté en clin d’œil radouci au traumatisant
empalement féminin de Cannibal Holocaust, of course, une amitié impossible, entre
filles, à coup de flûte de pendentif, à vous couper le sifflet, un noir
jaguar impassible sur sa roche marine, pas celui, on s’en doute, du mécanicien
du rire ressassé dénommé Francis Veber et même un cauchemar de campus à la Carrie. Après le prometteur Cabin
Fever, après la noirceur stimulante des Hostel, The
Green Inferno s’avère un film en permanence plaisant, une aventure
amusante et tout sauf complaisante ou dégradante, pour la distribution ou à la
projection. Pour parler du monde immonde contemporain avec ses propres moyens,
pour évoquer le vortex des
technologies, des tribalismes, des mises en ligne, des snuff movies, des milices paramilitaires, des odyssées manipulées,
des engagements sanglants, horrifiants, on préférera sans hésitation Land
of the Dead de George A. Romero et Redacted de Brian De Palma, deux
films majeurs, deux films sans peur, deux films qui finissent par faire
foutrement peur, dans leur capacité à illustrer, recréer, immortaliser, notre
modernité filmante, clivante, massacrante, n’en déplaise à tous les culs bénis
qui envisagent leur prochain en voisin humaniste ou en cible à sermonner. The
Green Inferno ne se situe pas à ce niveau-là, il privilégie la surface
à la profondeur, la sensorialité à la complexité, le survival à la mise en cause.
So what ?
Durant quatre-vingt-seize minutes, plus un tandem
anecdotique d’entretiens et des miettes de making-of,
le dernier pan de la trilogie apocryphe d’Eli Roth mérite sans hésiter d’être
visionné, en DVD ou e-ciné, à sa juste mesure et sans caricature. Rajoutons en
conclusion qu’il s’orne d’un superbe poster
le cristallisant habilement, mélange de Munch, de pietà, d’hystérie tactile et de gang
bang métaphorique, point d’orgue d’une symphonie de l’horreur en mineur, en
rouge et vert valant le parcours, pétrie de beauté, d’atrocités, de démence et
de résilience – ah, l’horrible grandeur au cinéma, tu m’en reparleras,
chère Lorenza…
La réalité dépasse souvent la fiction : avaler de "l'humain pain quotidien " sans le savoir ?
RépondreSupprimer"Méthode du compostage humain
Selon Mme Spade, le processus consiste à placer un corps et l'enfermer dans un conteneur hexagonal en acier rempli de luzerne, de copeaux de bois et de paille.
Au bout de 30 jours, le corps naturellement décomposé produit deux brouettes de terre.
Il a été révélé en début de ce mois qu'un processus similaire a été utilisé pour feu Luke Perry.
L'acteur a été enterré dans un "costume champignon" en Californie."
https://www.bbc.com/afrique/monde-48365616#:~:text=M%C3%A9thode%20du%20compostage%20humain,produit%20deux%20brouettes%20de%20terre.
Je t'aime, je te mange :
Supprimerhttps://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2016/12/amours-cannibales-la-masseuse.html