Vacances romaines : Kill Bill


Un week-end à Rome, dixit Daho ? Une étape déconfite, diluée, malgré Audrey.   


Débuts reconnus, oscarisés, d’Audrey, développement-renouvellement du littéral « Hollywood sur Tibre », dans le sillage des sandales prosélytes de Quo vadis (LeRoy, 1951). Au début, cérémonie de procession, escarpin symbolique, la royale Ann s’ennuie et nous aussi. Plus tard, piazza di Spagna, sur le célèbre escalier, munie d’un cornet glacé, elle interroge son compagnon d’occasion, à propos de la puérilité de ses projets pour la journée. Ensuite, à domicile, face au rédacteur en chef indocile de la feuille de chou d’exil, Joe résume l’absence éthique d’article stratégique : « Il n’y a pas d’histoire ». En effet, hélas, et le film lui-même paraît par trois fois signifier cela. En pilotage automatique, appliquant platement avec sa caméra une doxa inanimée, soignée, anesthésiée par sa star à la grâce de danseuse, au physique dessiné par les privations de la guerre davantage que révolutionnaire, William Wyler, itou producteur, s’entoure de Georges Auric & Henri Alekan, comme s’il voulait répéter le prodige artisanal, enchanteur réenchantement national, de La Belle et la Bête (Cocteau, 1946), encore un conte de fées au couple éphémère, défait. En réalité, certes moins sucré que la résistible série-trilogie des Sissi à venir (1955-1957, tous les trois commis par Ernst Marischka), pâtisserie lacrymale qui finit par faire vomir Romy Schneider, prisonnière de sa mère aux sympathies nazies, d’une cage dorée, décolorée, Vacances romaines (1953) procède d’un révisionnisme similaire. Si l’Autriche de Hitler se verra vite relookée en duché abstrait, d’opérette viennoise au sentimentalisme abrasif, une pensée pour la Bavière crépusculaire de Visconti accueillant l’impératrice et l’actrice en caméo de tombeau (Ludwig ou le Crépuscule des dieux, 1973), la Rome de Wyler devient désormais une capitale d’amnésie, un simulacre hédoniste, un territoire touristique auquel la restauration numérique rend décemment son élégance en noir et blanc.



La scène des ex-voto cristallise cette volonté de se taire, de s’en tenir à la surface, celle des dépliants désolants, des courbettes, des amourettes simplettes. Peck, impeccable, explique à Audrey, adorable, que les plaques murales remercient le Seigneur, il cite l’épisode donné historique d’un père et de son fils rescapés des bombardements, bombes balancées par les Alliés ou les Allemands, qu’importe la marotte. À peine effleurée par le fascisme, la ville estampillée d’éternité s’avère ainsi inoffensive, réduite à un terrain de jeux a priori joyeux, amoureux. Rome, ville ouverte (Rossellini, 1945) et Le Voleur de bicyclette (De Sica, 1948) peuvent aller se rhabiller, voici Sa Majesté bien habillée par Edith Head, voici toute une galerie de silhouettes indigènes au-delà de la caricature et de l’imposture, chauffeur de taxi impatient, propriétaire tolérant, femme de ménage en parangon de décence, coiffeur guincheur. Une certaine insolence, une arrogance inconsciente, innervent ces images d’un autre âge, oublieuses d’hier et ripolinées à la sauce aigre-douce US. Quelque chose de spectral nimbe la romance minimale, sa bande sonore à peine composée de dialogues dispensables et de notes falotes. L’Italie vue et promue par les États-Unis ressemble au western selon Mondwest (Crichton, 1973), à une représentation méta pour duo sympa, à une terre d’élection, de pasteurisation, pour colons en quête de coûts de production-imposition minorés, d’escapades ensoleillées. En matière de récit, de tempo, le plus gros défaut de Vacances romaines réside dans son arythmie, dans sa léthargie. La comédie, ou non classée à l’italienne, contemporaine, même les amateurs de drames souvent surfaits le savent, ne supporte pas la mollesse, la théâtralité de studio, à Cinecittà ou pas, et la scène d’exposition au journal se signale par sa lenteur, sa lourdeur, sa durée outrée.



Même quand il s’essaie, in fine, à l’ambassade, sans embrassades, en contre-plongée, en travelling arrière, en profondeur de champ coutumière, au réalisme de classes, au pragmatisme de la mélancolie, élément tout sauf contradictoire de l’imagerie, supplément-soubassement lucide et stimulant du sourire, du baiser, Wyler ne saurait rivaliser avec Blake Edwards, pas seulement celui de Breakfast at Tiffany’s (1961), ou avec la sensibilité raffinée d’un Vincente Minnelli (écho assagi de Madame Bovary, 1949). Pareillement, il ne suffit pas d’un tour au marché, à la dérobée, pour rimer avec le néo-réalisme, caractérisé noir ou rose, d’une poignée de plans en vespa (scooter local en parallèle à la « taille de guêpe » homonyme de Mademoiselle Hepburn), en plein air, pour présager de la Nouvelle Vague, n’en déplaise à l’une des intervenantes spécialisées des suppléments scolaires, justification de la dénomination édition collector du DVD Paramount paru en 2002, pas plus qu’une coupe de cheveux courte n’annonce le féminisme, ou alors, le ridicule ne tuant pas, pouvant même se vendre parfois, faisons fissa de Jeanne d’Arc une Femen et amen. Franchement, les malheurs médiocres d’une pauvre petite fille riche, un brin hystérique, donc sous sédatif, par conséquent Belle au bois dormant envapée, promise à grandir en vingt-quatre heure de loisirs, à se réinventer en princesse rentrée, responsable, en Cendrillon assez cassante avec ses laquais, pardon, ses sujets, on s’en contrefout, on se moque des monarques et l’on n’éprouve que dédain pour les kleenex des collections Harlequin. Les cinéphiles les plus indulgents ou militants s’escrimeront à lire un sous-texte réformateur – alléger le protocole, autoriser le mariage roturier – mais pas moi, pas cette fois, je préfère considérer le scénario sous pseudo, ou plutôt prête-nom, du père Dalton Trumbo en pure panouille alimentaire, pas un brin littéraire, cet auteur de valeur alors en plein psychodrame maccarthyste.



Déjà vu/paru anecdotique à l’adolescence, Vacances romaines se visionne vingt ans après, à la Dumas, en cas d’école frivole, en démonstration de contrefaçon, en preuve du vide hollywoodien, imaginaire économique et idéologique régi par le plus petit dénominateur commun, consensuel, désincarné, irréel, à la truelle. Il exista, il existera toujours, y compris à Hollywood, royaume d’âmes damnées, de pitoyables épiciers, d’hégémonistes de la money, du mode de vie (et de pensée) américain, des êtres talentueux, généreux, des artistes cosmopolites, fraternels, fréquentables et admirables, par exemple Audrey Hebpurn, Gregory Peck, Dalton Trumbo et William Wyler. Mais ça ne suffit pas, surtout en 2018, ça ne nécessite aucune réévaluation, réhabilitation, résurrection avec révérence. Un « classique » peut équivaloir à une coquille vide, ne pas se confondre avec un « chef-d’œuvre », et Vacances romaines, je le déplore le premier, sans manichéisme, sans marxisme, le vérifie, tant pis. Au sein du marasme pour midinette, de l’aventure guère antonionienne, de la féerie si jolie, si propre sur elle, à des années-lumière de la sueur, de la peur, du sang et de la danse (macabre) des Chaussons rouges (Powell & Pressburger, 1948) ou du romantisme freudien, serein, humoristique et tragiquement prophétique de La Main au collet (Hitchcock, 1955) on trouve cependant un bref instant de vie, à presque vous donner envie de subir les longues cent treize minutes de l’ensemble. Les deux menteurs énamourés, flanqués du photographe (Eddie Albert, womanizer et cascadeur, arbore une barbiche à la van Gogh), se retrouvent devant la fameuse Bouche de la Vérité, Greg glisse sa main dans la fente fraîche et improvise, avec l’aval de Wyler, un gag macabre, provoquant la surprise stridente, amusante, d’une Audrey horrifiée par sa mimine croquée.



Là, pas ailleurs, le métrage respire enfin, séduit par sa simplicité, son sens du cadre, du timing, de l’effet à la fois mécanique et organique, aimable moment de comédie romantique exécuté par un trio à aimer illico. Allez, allons, cessons de macérer dans la rumination, les regrets, pardonnons leurs modestes offenses-errances à des gens attachants, vibrants, qui surent, autrement, voire à contretemps, nous séduire et nous divertir. Consolons-nous avec Audrey dans Sabrina (Wilder, 1954), Drôle de frimousse (Donen, 1957), My Fair Lady (Cukor, 1964) Voyage à deux + Seule dans la nuit (Donen & Young, 1967), avec Gregory dans La Femme modèle (Minnelli, 1957) ou La Malédiction (Donner, 1976), avec Dalton rédigeant Spartacus (Kubrick, 1960), Seuls sont les indomptés (Miller, 1962), Papillon (Schaffner, 1973) ou écrivant-réalisant Johnny s’en va-t-en guerre (1971) et avec le William de L’Insoumise (1938), Ben-Hur (1959), L’Obsédé (1965) ou même l’imparfait Funny Girl (1968). Liquider Bill ? Pas vraiment, rassurez-vous, juste ne pas s’attarder sur son film de vacances dépourvu de vitesse, d’ivresse, de vivacité, de vitalité, muni de men in black à la rescousse, à la flotte, et hop, de correspondants francophones en VO du Figaro (baisemain de chic parisien), de Ici Paris, oh oui. Et céder la terrible douceur de vivre à Federico Fellini (La dolce vita, 1960), et célébrer la Jézabel bette davisienne du sincère William Wyler.



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