Sans un bruit : Family Man
Une parabole acoustique ? Un sermon prosélyte.
ASL & ILM, puisque voilà une
histoire en langue des signes américaine avec créatures informatiques à l’ouïe en
effet très fine. Mené au milieu d’un supermarché de province mis à sac,
abandonné, le prologue donne dans l’eschatologie jolie, le consumérisme passé
de mode, et l’on se dit que, peut-être, Sans un bruit (2018) va suivre le
sillage satirique de Zombie (1978). Hélas, tant pis, John
Krasinski ne s’avère jamais un émule de George A. Romero et son métrage
tellement sage choisit vite de magnifier la Famille, cette viande avariée
dévorée par la gamine guère reconnaissante de La Nuit des morts-vivants
(1968), s’en prenant à sa pauvre maman, mon Dieu. Le supposé Seigneur s’immisce
ici aussi, à l’occasion du protagoniste masculin aux faux airs de prophète (ou
de Nanni Moretti rendu mutique), du sentiment de culpabilité partagé, d’un
bénédicité mains serrées, d’un sentimentalisme musical agraire (écoute en
sourdine le Harvest Moon de Neil Young, mon amour), d’un Moïse humide
relooké en nourrisson planqué dans un caisson oxygéné. Finalement, le Père se
sacrifie et la Mère prend son fusil. Un bon Indien ? Un Indien mort. Un
bon extra-terrestre ? Un extra-terrestre explosé dans le décor. Fait pour
faire renifler les parents, effrayer gentiment les enfants, étayé sur une
astuce d’argument à peine digne d’un épisode de La Quatrième Dimension et
de sa durée, clairement conservateur, mécaniquement manichéen, A
Quiet Place nous ressert par conséquent la moralité armée, la
sacro-sainte cellule familiale et l’héroïsme des anonymes, de la majorité dite silencieuse,
qui élut récemment un redoutable abruti au sommet des États-Unis (malmenée par
un misérable banquier, la situation française incite certes à l’humilité). À la
fois western et home invasion sis au sein d’une Americana
à la Terry Malick, le film s’étire et conspire à tenir un discours balourd. On
rappellera au passage à son auteur que l’essentiel statistique des violences
contemporaines, hormis bien sûr le cadre des conflits militaires, se passe en
famille, justement, et que son apologie sanguine, divine, semble un brin
ressassée, rassie.
Tu te croyais débarrassé de ces
conneries de généalogie et de missel depuis Nietzsche et Burroughs ? Tu ne
pouvais prévoir le rebond de la Réaction, disons manifestations droitistes
contre le mariage homosexuel, remise en cause idem du droit d’avorter, ni la mainmise de l’islamisme,
accessoirement du créationnisme, sur les jours et les nuits des survivants, en
Occident ou en Orient. Le téléfilm de luxe ne manque pas, toutefois, d’une
modeste prestance due à la directrice de la photographie Charlotte Bruus
Christensen (La Chasse, Vinterberg, 2012) et bénéficie d’une distribution à
l’unisson, bien dirigée par JK des deux côtés de sa caméra au classicisme
consensuel, insipide. Mais la partition de Marco Beltrami, collaborateur de
Craven, del Toro, Richet, Proyas, j’en passe et des pires, au sinistre motif à
deux notes répété jusqu’à la nausée, ne parvient pas à donner corps à un conte
médiocre, à base de survival
autarcique et de deuil traumatique. Nulle surprise si Michael Bay, filmeur
réputé pour sa finesse, sa complexité, comme chacun sait, co-produit le
strudel-soufflé aussitôt retombé, malgré son succès, sa suite autorisée, à la
psychologie d’anémie, à l’idéologie pourrie. Krasinski, novice dans le domaine classé
fantastique, acteur à la filmographie tout sauf excitante, entendait traiter de
parentalité, de responsabilité, de résistance et d’enfance. Malheureusement
pour le spectateur, son effort ne s’impose pas, ou alors pour les mauvaises
raisons supra. Un certain Stephen
King, amateur notoire de champ de maïs et de maltraitance enfantine, l’adouba
pourtant. En tant que cinéphile et citoyen, en tant qu’athée désarmé, en tant qu’énamouré
d’horreur(s), on préférera orienter le lecteur vers La Nuit du chasseur
(Laughton, 1955) – munie de ses propres munitions bien moins à la con, Lillian
Gish ne rougit pas face à Emily Blunt, Britannique naturalisée US au parcours
étique et en sus Madame Krasinski à la ville –, La Maison du diable (Wise,
1963) et Berberian Sound Studio (Strickland, 2012), deux acmés de
terreur sonore, le Take Shelter (2011) de Nichols (papa parano), le Vampyr
(1932) de Dreyer (écho de la scène du silo) et même La Guerre de mondes (Spielberg,
2005) + La Malédiction Winchester (Michael & Peter Spierig, 2018),
qui paraissent presque, mis en parallèle, au moyen de thématiques communes, des
modèles adultes d’évocation et d’interrogation.
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