Euthanizer : Un homme et son chien
Silence de la souffrance, morts en miroir, nouveau départ arrivé trop
tard.
Comédie dramatique drolatique,
émouvante, intelligente, Euthanizer (2017) repose sur un trio
de personnages : un tueur avec du cœur, un mécanicien magouilleur (presque
pléonasme) et une infirmière sincère. Autour d’eux gravite une fine équipe de
nationalistes racistes (pléonasme plein), qui va précipiter le drame et pousser
le héros dans ses derniers retranchements d’embrasement, puisqu’il incendie le
responsable infernal de l’immolation de son canidé rescapé, avant de se
renverser dessus le reste d’essence, suicide surprenant et cohérent. L’épilogue
le portraiture en momie à la Polanski, celui du Locataire (1976), en tout
cas, similaire sismographie sociétale, son amoureuse à son chevet lui demandant
s’il veut écouter de la musique, euphémisme pour signifier une euthanasie
jolie. D’une main bandée, il caresse le visage de la jeune femme à la beauté
singulière, au sourire roux radieux, de l’autre, il lui tapote l’épaule, telle
elle-même auparavant, lors de la première scène sexuelle triviale et
sentimentale, amusante et inquiétante, son penchant pour « l’asphyxie
érotique » la portant aux portes du royaume des mortes, allongée sur un
lit oh oui de muguet, comme si La Fille de Ryan (Lean, 1970), dans
sa forêt de dépucelée, se découvrait désormais des tendances SM, mazette. Mais
Vatanen, « l’homme aux mille vagins », patron du carbonisé précité,
ne s’émeut pas pour si peu, se divertit de voir son meilleur ennemi à son tour
transi. En réalité, notre exterminateur taciturne, qui se soucie des dernières
secondes des bestioles, qui les gaze ou les descend en musique, en silence, en
souvenir sinistre de la Shoah, voilà, qui sait dire à leurs propriétaires –
depuis quand possède-t-on un être vivant, putain ? – leurs quatre vérités
vraies, à propos de leur solitude, de leur manque de mansuétude, de leur
avarice ou de leur bêtise, dissimule un secret d’adolescence expliquant son
apparente misanthropie (tu y viendras un jour, avec l’âge et les outrages).
À treize ans, orphelin de mère clamsée
entre les arbres, crise cardiaque durant le ramassage de baies, il sort de
l’hôpital, tabassé par son papounet épris de sa bouteille, et fout le feu à
l’étable familiale, peuplée de bêtes affamées, abandonnées, y compris par le
vétérinaire surbooké, de quoi vous forger le caractère vénère et vous tenir à distance
des bipèdes du voisinage. Sous ses allures de satire pince-sans-rire, Euthanizer
raconte en vérité une fable (pas celles de La Fontaine, quoique) de gravité,
donne à voir une conversion au Mal et une damnation capitale. Quand le
misérable, pitoyable, implore la pitié du justicier à main armée, ce dernier,
assis sur un jerrican, lui répond par
le récit de ses origines et confesse qu’il reçut déjà sa sentence. Dans ce film
modeste et remarquable, des fascistes chantent, une femme en bleu déchante et
le cinéaste livre en Scope élégant une œuvre évocatrice, racée, cadrée au
cordeau, souvent en caméra portée équilibrée. Le sujet pourrait a priori irriter les adeptes de la SPA,
les supporters de PETA, malgré la
traditionnelle formule rassurante du générique final. Pourtant, Teemu Nikki,
fils d’éleveur porcin, auteur autodidacte formé à la publicité, au clip, à la
TV, ici scénariste, costumier, monteur et décorateur, ne maltraite personne, ni
la chienne in extremis sauvée, puis
sacrifiée, boomerang à la Lawrence
d’Arabie (Lean, 1962), ni son couple mal assorti, choisi, attachant, ni le père alité, hospitalisé, occis à la morphine.
S’il attribue une balle dans la jambe aux risibles « Soldats de la
Finlande », s’il esquisse, en moraliste, sans jouer au juge, une
culpabilité partagée, à la Jim Thompson, il ne filme à aucun moment des pantins
pour petit plaisantin, des supports à démonstration sociologique.
Avec ses personnages avérés, incarnés
par les excellents Matti Onnismaa, Jari Virman et Hannamaija Nikander, boucle
bouclée patronymique pour l’incipit
de cet article, avec sa cruauté vaccinée contre la bien-pensance politique,
correcte, silhouette de la doctoresse disons bestiale, remise à sa place, à
quatre pattes, pare-brise de voiture neuve vandalisé, balade punitive en forêt
afin d’enterrer le putois renversé, olé, avec ses instants de poésie sonore,
par exemple un train passant tout près d’une correction pour pêcheur de saumon
à la con, avec sa brièveté de bon aloi, son lyrisme discret, sa grisaille de
funérailles, Euthanizer permet de découvrir un réalisateur sans peur, pas
sans esprit, qui sait tresser la trivialité, la dureté, à la tendresse, à la
détresse. Alors que le « débat sur l’euthanasie » persiste à susciter
des réticences, des soutiens, ce film finlandais déplace la polémique et la situe
avec pertinence au sein d’une dialectique humaine-animale, manière de redéfinir
ce qui nous identifie et nous différencie de nos « compagnons » à la
fois fantasmés, choyés, martyrisés, filmés au carré au cours du script par un complice d’immondices. Visionnez
vite cette pépite mélancolique et lucide, sorte d’élégie en catimini pour une
humanité familière jusque dans son inhumanité, troisième long métrage d’un
admirateur de Don Siegel auto-produite par sa société cinéphile, baptisée It’s
Alive Films, en hommage agréable, sinon tutélaire, à Larry Cohen. Ainsi vous
rencontrerez, n’oublierez pas, Veijo, Petri et Lotta, vous comprendrez itou que
l’on peut tuer avec/par amour et se garder de guérir du pire, clébard ou
corbillard.
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