Delirium : Sabrina
Petite et grande mort autour de la grandiose et morose Serena Grandi.
Les Yeux de Laura Mars (Kershner, 1978) meets Caligula (Brass &
Guccione, 1979) : la charmante, célibataire, propriétaire-héritière d’un « magazine
de charme », euphémisme de jadis, avant la massification des masturbations
en ligne, affronte son propre frère un peu trop épris, surtout de ses formes
opulentes. Le vrai-faux crevé sur escalator
finira terrassé au niveau des testicules, au bord de la piscine nocturne, par un malin voisin voyeur et
harceleur, accessoirement agresseur de rêve/cauchemar muni d’une lampe torche
molto phallique, lui-même cloué sur un fauteuil roulant à la James Stewart (Fenêtre
sur cour, Hitchcock, 1954), à cause du choc psychologique, traumatique,
d’un accident de voiture où décéda sa bien-aimée, vous suivez ? On
pardonnerait presque sa marotte au petit (saligaud) Tony, puisque la généreuse
Serena Grandi, enceinte selon Joe D’Amato (Anthropophagous, 1980), gorgone pour
Luigi Cozzi (Les Aventures d’Hercule, 1985) puis muse du caro Tinto (Miranda, idem, Monella, 1998), de Risi, Corbucci, Avati ou Sorrentino, incarne
la sister en question. Certes, dorénavant
veuve joyeuse, licencieuse, Serena se déshabille pour les photos du générique
et deux scènes de sexe superflues, expédiées, placées sous le signe de
l’humidité, avec son ex-tourmenteur
amateur de chair humaine, George Eastman, of
course, mais la plupart du temps, du métrage, elle reste sage, un chouïa
bourgeoise, et démontre ses (manifestes, modestes) capacités d’actrice, pas
encore récupérée par la létale télé-réalité. Co-écrit par Gianfranco Clerici, buddy de Deodato ou fidèle de Fulci, et
le frérot de Sergio Martino, Luciano, Delirium (1987) se situe dans la
filmographie de Lamberto Bava après le diptyque démoniaque et méta de Démons
(1985-1986), avant la pentalogie de fantasy
télévisuelle de La Caverne de la rose d’or (1991-1996) ; notons itou que
l’ancien assistant de son célèbre papa ou d’un certain Dario Argento, sa Daria
(Nicolodi) entrevue ici, scream queen en Renault 5, mince, écrira l’an
suivant le Sanctuaire de Soavi.
Tout ceci pour signifier que Lamberto
B mérite mieux que l’amnésie de niche ou le mépris poli à l’ombre paternelle,
sempiternelle. Le foto di Gioia, titre original, joue sur le double
registre : images de l’éditrice et images à pénis, quelle malice. Devenue
Gloria dans la VA, Serena la sculpturale sert d’arrière-plan à des mises en
scène macabres en rime avec celles du contemporain et claustrophobique Bloody
Bird
(Soavi aussi, script de Eastman,
boucle bouclée de CQFD). Exit le
hibou relou, bienvenue à des hallucinations de saison, en rouge profond, en
bleu sérieux, car notre tueur guère bandeur perçoit les modèles, évidemment peu
bressoniens, tu t’en doutes, en freaks
à œil de cyclope ou à tête d’insecte. Que fumait le fils Bava à l’époque ?
On s’en moque, on s’amuse et on frissonne à ce giallo sis dans le milieu de la
photographie. Surprise de taille, pour ainsi dire, la sympathique Sabrina
Salerno, Lara Croft de momies lubriques, succombe au sortir de sa douche à un
essaim d’abeilles louches. Aucun garçon à la con ne sauvera hélas l’ondine de
clip flashy, coloré, un brin
décolleté, elle finira en statue de cimetière, de studio, son pauvre visage
défiguré, bouffi, par les amies pas sympas de Maya. Sous l’imagerie du slasher délocalisé, en réalité retourné
aux origines de La Baie sanglante (Bava, 1971), catalysé par un conflit
foutrement freudien, se tient une sorte de cartographie historique sur la
manière dont on filmait le thriller
transalpin à la fin des années 80, sur la façon de shooter, sens duel, prendre,
descendre, des filles interchangeables embauchées-débauchées par une industrie
impitoyable. Kim, en couverture de la bien nommée revue spécialisée Pussycat,
précédemment enfourchée, flanquée à la flotte, gît à présent au creux d’une
benne à ordures, à proximité du kiosque à journaux et en écho à Marilyn
Chambers à l’ultime plan de Rage (Cronenberg, 1977).
Comment définir une playmate ? Disons qu’il s’agirait
d’une déesse suspecte, d’un corps mort, fixé par l’objectif, supposé exciter
l’adolescent transpirant en train de tourner des pages de papier en effet
glacé, autant excitant que refroidissant. La pose équivaut à l’immobilité du
tombeau, les natures littéralement mortes s’accumulent sur pellicule. Si des
hommes immortalisent des « prostituées », une femme soupire d’amour
univoque, saphique Flora fanée aux traits courroucés de Capucine en capitaliste.
Rassurons le lectorat : tout s’achèvera dans la joie, abri d’hôpital et
bouquet réconcilié. Concluons par une curiosité sonore, Serena susurrant sur
les notes ad hoc de Simon Boswell (notamment Phenomena d’Argento en
1985, le Lord of Illusions de Barker dix ans plus tard ou l’éprouvant The
War Zone de Tim Roth en 1999) les éléments majeurs, intérieurs et
extérieurs, de la Gestalt du giallo, Dio mio. Filmé avec soin et sincérité, ni
transcendant ni pesant, Delirium constitue un aimable et
distrayant divertissement dédié à une certaine idée de la vulgarité, pas
uniquement berlusconienne, qui la côtoie sans se compromettre, qui vaut la
peine qu’on lui consacre une heure trente de sa cinéphilie italienne, sexy, réflexive, in fine sereine, bise soufflée de la féline fellinienne et amen.
PIRELLI CALENDAR 2011 by Karl Lagerfeld : https://www.youtube.com/watch?v=IZY4iDYFQlk
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=ZjjJChNDLLc
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